Penser les violences faites aux femmes

Penser les violences faites aux femmes

Alors qu’à l’étranger,
la question des
violences faites
aux femmes est élevée au
rang de discipline scientifique,
elle n’est toujours
pas considérée comme un
objet de recherche dans
les universités françaises.
Entretien avec Christelle
Hamel, chercheuse à
l’INED.

Regards.fr: Quel est l’état de la recherche
dans le domaine
des violences de genre en
France ?

Christelle Hamel: Nous sommes très en retard.
Avant la conférence de Pékin
sur les violences faites aux
femmes, organisée en 1995
par l’ONU, la France ne disposait
pas de statistiques sur ces
violences. À la suite de cette
conférence, sous la pression
des organisations internationales,
l’État a sollicité des chercheuses
proches des mouvements
féministes pour réaliser
la première enquête nationale
sur les violences faites aux
femmes (Enveff). Une véritable
révolution dans l’avancée de
la recherche. L’Enveff a révélé
que, chaque année, 50 000
femmes âgées de 18 à 60 ans
étaient victimes de viols. Depuis,
une autre enquête, plus
générale, indiquait 75 000 viols
par an sur des femmes âgées
de 18 à 75 ans, pour seulement
10 000 plaintes et 2000
condamnations. Il y a une impunité
du viol en France. Sans
l’ENVEFF, pourtant accusée
par Élisabeth Badinter d’être
une enquête idéologique au
motif que seules des femmes
étaient interrogées, l’objectivité
scientifique serait absente
du champ des crimes et délits
en France.

Regards.fr: Existe-t-il des laboratoires
de recherche
travaillant sur cette
question ?

Christelle Hamel: Il n’y a pas d’organisation de
cette recherche en France,
ces violences n’ayant jamais
été considérées comme un
objet de recherche en soi. Plus
généralement, il existe très peu
de laboratoire travaillant sur les
questions de genre. Par ailleurs,
nous sommes dans une
phase où les laboratoires de
recherche sur le genre s’invisibilisent
– eu égard à la politique
du CNRS qui regroupe
ces labos dans des unités plus
vastes – alors qu’à l’étranger
les gender studies (les études
genre) ont carrément acquis le
statut de discipline au même
titre que la sociologie. En
France, nous sommes très
loin de pouvoir revendiquer le
statut de discipline.

Regards.fr: La recherche sur ces
violences est-elle beaucoup
plus avancée à
l’étranger ?

Christelle Hamel: Oui. En France, il n’y a ni laboratoire
de recherche ni revue
consacrés à cette question,
alors que, pour exemple, aux
États-Unis, il existe une revue
scientifique reconnue, intitulée
Violence against Women,
qui traite exclusivement des
travaux réalisés dans ce domaine.
Le Québec dispose
d’un centre de recherche interdisciplinaire
sur les violences
faites aux femmes qui réunit
49 chercheurs et chercheuses, des sociologues, des médecins, des criminologues,
des statisticiennes, etc. Il est temps que
le ministère de la Recherche considère l’étude
des violences de genre comme une priorité. Il
faut qu’il y ait une impulsion politique, sans quoi
nous n’arriverons jamais à organiser une production
de connaissances qui nous permette à
la fois de comprendre l’ampleur du problème et
ses mécanismes, et de mettre en place des politiques
publiques pour lutter efficacement contre
ces violences.

Regards.fr: Les postes décisionnaires dans les universités
françaises sont majoritairement occupés
par des hommes. Cela explique-t-il
l’absence de recherche dans ce domaine ?

Christelle Hamel: Évidemment, le monde universitaire n’est
pas épargné par le sexisme. Mais surtout, il
y a cette idée très forte en France que l’égalité
hommes femmes est acquise, que ce n’est
plus une question sociale. Quand on travaille
sur des questions de genre, et plus encore
sur les violences faites aux femmes, on s’entend
dire qu’on fait des études et non pas de
la recherche, qu’on a une posture militante et
non pas scientifique.

Regards.fr: Et côté publications ?

Christelle Hamel: Il y en a très peu. Un livre comme celui de Clémentine
Autain, mêlant témoignages et analyse
politique, est important parce qu’il permet
de briser les stéréotypes sur les victimes
et les agresseurs. Pendant l’affaire DSK, on
a entendu des choses étonnantes, comme :
« Ce n’est pas possible de forcer quelqu’un
à faire une fellation. Pourquoi ne l’a-t-elle pas
mordu ? » Or on sait très bien que les victimes
se laissent faire parce qu’elles ont simplement
peur de mourir, qu’elles sont dans un
état de sidération. Ce type d’ouvrage fait sortir
la question des agressions sexuelles de la
sphère privée, en ce sens il rappelle que seule
l’action politique peut faire évoluer la question
des violences. Et cela passe aussi par
la recherche.

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