Villiers-le-Bel: une rhétorique guerrière

Villiers-le-Bel: une rhétorique guerrière

Le 4 octobre s’est ouvert à Nanterre le procés en appel des tireurs présumés de Villiers le Bel (lire l’article d’Alain Bertho). Le verdict devrait être rendu en fin de semaine. Retour sur les mots et usages d’une guerre en banlieue.

Au cours des auditions des policiers, les avocats des parties civiles mettent l’accent sur le caractère exceptionnel de ces « émeutes ». Chaque policier qui témoigne à la barre se voit invariablement poser la même question : «  Aviez-vous déjà été confronté à une situation comme celle-là ? » Les réponses sont unanimes. « Non, jamais. Et pourtant j’ai 20 ans de métier. J’ai fait les dockers, les marins pêcheurs à Rennes en 1994… Mais là, c’était la guerre. » « Je n’ai jamais vu des assaillants venir au contact comme ça. C’est comme s’ils étaient calqués sur nos méthodes d’intervention. » « J’ai fait 2005. J’ai vu des copains tomber en 2005. Sauf que là il y avait une véritable volonté de tuer. C’était la guerre. C’était Mad Max. » « Ce n’était pas une opération de maintien de l’ordre. C’était une guérilla urbaine. » « Les rôles étaient inversés. C’est eux qui tenaient les charges et c’est nous qui subissions. » À l’issue de ces auditions, force est de constater que les policiers ont parfaitement assimilé la rhétorique guerrière qui alimente depuis plusieurs années les discours sur les banlieues. Ils insistent même sur l’organisation « quasi-militaire » des jeunes « émeutiers ». « Ils nous attendaient. Ils étaient prêts.  » « Les jeunes étaient organisés dans une stratégie de guerre, qui leur est inculquée par les plus grands. » « Les émeutes étaient organisées, les rôles étaient distribués.  » « Pour les cocktails Molotov, ils étaient déjà équipés. » Un officier de police chargé de restituer une synthèse du déroulement des faits, établie sur la base de témoignages de policiers, décrit sur Powerpoint les « stratégies de déplacement » des jeunes. « Mais enfin, ils ne pouvaient tout de même pas prévoir qu’il y aurait cet accident », s’étonne Me Konitz, tant il est vrai que la thèse d’une « bande organisée » – retenue dans le chef d’inculpation et considérée comme une circonstance aggravante – évacue d’emblée la mort des deux jeunes garçons, pourtant à l’origine de ces révoltes.

Il ne s’agit pas ici de minimiser les blessures et les traumatismes subis par les policiers au cours de ces affrontements, mais s’il faut parler de guerre, alors il semble bien qu’à l’échelle nationale on compte davantage de victimes dans le camp des banlieues que dans les rangs de la police. Et si ces policiers se plaignent d’avoir « manqué d’hommes » et de « moyens » ce soir-là — un policier au pseudo en jeu de mot, Gilles Eparbal, allant jusqu’à évoquer sur le site des Inrockuptibles , « des casques qui avaient fait mai 68, des équipements pompidoliens et des munitions pré-René Coty » subissant les « tirs croisés » de « snipers en survêtements » —, ils semblent oublier la débauche de moyens utilisés par les forces de l’ordre au lendemain de ces révoltes. Dans son livre L’Ennemi Intérieur, Mathieu Rigouste raconte : « À Villiers-le-Bel, les forces de l’ordre ont eu recours à plusieurs matériels et techniques dérivant du répertoire de la guerre urbaine : hélicoptères équipés pour la surveillance, snipers, vision nocturne. Avec l’aide d’éléments des unités anti-terroriste de la police (RAID) et de la gendarmerie (GIGN), une stratégie de saturation et de bouclage (un millier d’agents ratissant les rues pour empêcher toute circulation) a été mise en place. (…) Il s’agissait d’organiser un quadrillage du quartier selon les principes de la contre-guérilla en milieu urbain.  »

Lors de la révolte des quartiers populaires en novembre 2005 déjà, Dominique de Villepin avait instauré un couvre-feu en s’appuyant sur la loi du 3 avril 1955, votée à l’époque pour instituer l’état d’urgence en Algérie. Dans son discours sur la sécurité du 29 novembre 2007, soit le lendemain des révoltes de Villiers-le-bel, Nicolas Sarkozy annonce le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, préfigurant ainsi ce qui sera entériné par la publication en 2008 du Livre blanc sur la sécurité intérieure et la défense nationale qui « supprime la frontière entre défense nationale et sécurité intérieure». L’ennemi viendrait de l’intérieur… Cette théorie ne date pas d’hier. Selon Mathieu Rigouste : « Certains des présupposés idéologiques essentiels qui structuraient hier les théories contre-subversives appliquées par l’armée française dans les guerres d’Indochine et d’Algérie contribuent à structurer de façon décisive le “nouvel ordre sécuritaire” dans la France d’aujourd’hui. À l’ancienne figure de l’“ennemi intérieur” communiste ou colonial s’est substituée celle d’“un ennemi intérieur postcolonial”, désigné comme à la fois local et global, dissimulé dans les quartiers populaires, surtout parmi les non-Blancs pauvres. »

Le risque d’une « justice de compromis »

Ne pas faire de ces cinq accusés des boucs émissaires, tel est donc l’enjeu de ce procès en appel. À première vue la tension qui régnait en première instance semble s’être considérablement apaisée. Des avocats de la défense aux accusés en passant par les collectifs de soutien, tous s’accordent à dire que le climat est plus serein. Cela tiendrait beaucoup à la personnalité du président Jean-Pierre Getti. « Aujourd’hui les choses sont très bien faites », déclare Me Konitz. « Il y a moins de pression du côté de la police. L’ambiance est carrément différente. À Pontoise on avait l’impression que la juge prenait partie, alors que là, le président fait preuve d’impartialité », confie Maka Kanté. La libération de Samuel Lambalamba à l’issue de la première journée d’audience – sur la base d’une jurisprudence qui permet aux accusés en appel de comparaître libre dès lors qu’ils ont comparu libres en première instance – confirme l’apaisement des tensions. Mais rien n’est joué pour autant. Si, comme l’affirme Me Dumont, « au regard de ce qu’il y a dans le dossier, ils devraient tous être acquittés », il n’en demeure pas moins que les acquittements en appel pour des accusés condamnés en première instance à quinze ans de prison sont plus que rares dans l’histoire de la justice. « Le risque est que le verdict s’apparente à une justice de compromis, c’est-à-dire qu’on ne les charge pas plus que cela, mais qu’on les condamne quand même histoire de satisfaire tout le monde  », s’inquiète Me Dumont. Et d’ajouter :« Il faudrait beaucoup de courage à la cour et aux jurés pour prononcer un acquittement. » Parce que prononcer l’acquittement reviendrait à désavouer le travail des juges qui siégeaient au premier procès. Parce qu’admettre que ces cinq-là sont innocents c’est accepter que les coupables courent toujours, que les crimes commis restent à ce jour impunis, et qu’il faudra alors faire face au mécontentement des policiers victimes des tirs. Parce qu’enfin, oser l’acquittement dans cette affaire serait synonyme d’échec au regard de l’injonction du chef de l’état : « Mettez les moyens que vous voulez, ça ne peut pas rester impuni. » Du courage ? Disons plutôt de l’intégrité et gageons qu’ils n’en manqueront pas, pour que les tribunaux ne soient pas des « zones de non-droit » pour les habitants des banlieues, de Villiers-le-bel ou d’ailleurs. Verdict en fin de semaine.

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire