TRIBUNE. Réformez la détention provisoire concernant les policiers

TRIBUNE. Réformez la détention provisoire concernant les policiers

Après un été émaillé de violences policières et de pressions politiques, l’avocat au barreau de Paris Hugo Partouche interpelle les députés afin qu’ils reprennent en main le pouvoir qui est le leur – et donc le nôtre à tous.

Chers législateurs, chères législatrices, 

Après une série d’événements dramatiques, la rentrée sollicitera peut-être votre avis sur la nécessité de réformer la détention provisoire lorsqu’elle s’applique aux fonctionnaires de police. Seulement, vous ne m’apparaissez pas armés pour le donner.

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Souvenez-vous : en 2020, le préfet de police de Paris déclarait que la présomption d’innocence était une « garantie démocratique qui vaut pour tous, y compris pour les policiers ».

« Pour tous, y compris les policiers » : déjà, nous trouvions la formulation insolente, privilège des puissants. 

La situation a bien changé depuis puisque les plus hautes autorités de la police nationale ont récemment soutenu que la présomption d’innocence devrait au contraire valoir davantage pour les forces de l’ordre. 

Que penser de cette idée ? Chers législateurs, chères législatrices, les professionnels de la justice aimeraient pouvoir en débattre avec vous. 

Hélas, vous ne semblez pas en état de la penser. 

D’abord, parce que beaucoup d’entre vous avez abandonné les droits de la défense, en ne les remettant pas au centre de vos priorités politiques après les états d’urgence et d’exception. Vous avez délégué votre mission politique au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire à un contrôle exclusivement « juridique ». Pourquoi ? 

Il faut se poser les justes questions : comment est-on vraiment défendu devant un juge des libertés et de la détention ? Quel est le rôle de l’avocat ? Quels sont ses moyens pour démontrer que la détention provisoire doit être évitée ?

Sans doute, les forces de l’ordre ont-elles peur des quatre premiers motifs de détention provisoire. À raison : concertation frauduleuse avec les coauteurs ou complices, pression sur les témoins, risque de destruction ou de manipulation de la preuve, quoi de plus facile pour un corps soudé, un corps armé même en dehors du service et un corps dont une des fonctions est de fabriquer la preuve pénale ! 

De même, que dire de la gravité du trouble à l’ordre public (dernier motif de placement en détention provisoire) causé par le fait que nous devions douter de la probité de ceux qui ont pour mission de nous protéger ? 

Vu ainsi, c’est vrai, la détention provisoire devrait presque être présumée nécessaire pour les fonctionnaires de police – comme elle l’est, de facto, pour les étrangers en situation irrégulière et les personnes SDF que la justice craint de ne jamais retrouver si elles sont libérées dans l’attente de leur procès. 

Mais, s’agissant des fonctionnaires de police, c’est le cinquième motif de placement en détention provisoire – « Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice » – qui leur donne l’avantage.

Les garanties de représentation de ces agents ne sont-elles pas toujours optimales ? emploi stable, casiers judiciaires le plus souvent néants, absence de risque de fuite… Privilèges de fonctionnaires. 

Mais il faut aussi faire le lien entre ces interrogations pratiques et la situation particulière du fonctionnaire : les frais de sa défense sont payés par la collectivité. 

Les honoraires de l’avocat d’un fonctionnaire poursuivi pour une infraction commise dans l’exercice de ses missions ne sont à sa charge que dans le cas où sa faute serait détachable de sa fonction – c’est-à-dire même si elle n’est pas dépourvue de tout lien avec son service, qu’elle témoigne d’une intention de nuire, présente une gravité particulière, ou constitue un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique. 

Avoir un avocat disponible, payé un juste prix, n’est-il déjà pas un privilège incommensurable sur l’ensemble des justiciables ? 

N’est-ce pas déjà l’objet de la protection fonctionnelle que de donner un coup d’avance aux fonctionnaires qui sont mis en cause pour des agissements commis en service ? 

En outre, vous devrez vous interroger sur la production des preuves par la police et sur le crédit donné à leur parole.

Ainsi, en droit, l’article 430 du code de procédure pénale dispose que « les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements ».

En pratique, combien de condamnations délictuelles sur la seule base de procès-verbaux qui devraient ne pas avoir de valeur probatoire particulière ? 

Les syndicats de police, pris dans des dynamiques de service, semblent oublier qu’au sein de l’institution judiciaire, la parole du fonctionnaire de police, quel que soit son statut en procédure, a plus de valeur que n’importe quelle autre. Les droits de la défense ne font que pallier gauchement, vainement, le déséquilibre qui en découle. 

La situation est aujourd’hui la même lorsque ces agents sont victimes ou mis en cause. Ils ont la parole et, plus que quiconque, ils sont audibles. 

Encore, que faites-vous des manquements professionnels établis par jugement ? Oui, que faisons-nous de ces procédures jugées nulles par des juridictions indépendantes en raison de certains comportements graves de fonctionnaires de police : faux, violences, insultes, intimidations ? Peut-être sont-ils rares, mais les auteurs de ces infractions qui entravent le fonctionnement de la justice pénale ne sont-ils pas encore plus rarement poursuivis ? Pourquoi les vices de procédure les plus graves ne donnent-ils quasiment jamais lieu à des enquêtes administratives voire pénales contre les agents qui ont, par leur action, empêché la poursuite d’infractions ? 

Quelle profession a ce même privilège qu’une faute ayant des conséquences lourdes n’ait que rarement de répercussion formelle sur la carrière ? 

Enfin, chers législateurs, chères législatrices, réjouissez-vous qu’une profession se soit dotée de syndicats audibles et efficaces dans leur action de lobbying. 

Mais, d’abord, rappelez au ministre de l’Intérieur qu’il n’est pas le DRH zélé des forces de l’ordre, l’oreille collée sur le rail des représentations d’intérêts : ce n’est pas sa vocation mais c’est son destin si le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire ne l’en empêchent pas. 

Ensuite, le « terrain », à le supposer fidèlement décrit aux décideurs publics par ces syndicats, s’arrête aux portes des tribunaux. Pour ce qu’il se passe après, croyez-nous. Croyez nos greffiers et greffières en grève, croyez nos magistrats et magistrates qui sortent de leur réserve, croyez la CEDH : ils vous rappellent chacun à leur manière les conséquences inadmissibles de la sous-dotation de la justice française. 

Vous le savez, chers législateurs, chères législatrices, les juristes de droit pénal s’émeuvent de longue date de votre incompréhension du fonctionnement de la justice et de votre obstination à céder à l’inflation législative et au populisme pénal. 

Alors, cette fois, avant de céder aux demandes de certains policiers, avant de légiférer encore, mesurez le chemin qu’ils ont déjà parcouru, les privilèges qu’ils ont acquis pour ne plus avoir à être exemplaires. 

Exemplarité, oui. Ce mot a-t-il même été prononcé par les syndicats de policiers les plus volubiles ? 

En un mot, chers législateurs, chères législatrices, soyez à la hauteur de votre mandat. Il commande que vous protégiez l’autorité judiciaire des saillies d’intérêts qui ne sont pas ceux de la justice ; elle n’a que la loi pour se défendre et elle n’a donc comme rempart que ceux qui la fabriquent. 

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