TRIBUNE. Article 4 de la loi sur les dérives sectaires : danger !

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Si lutter contre les charlatans ne pose aucun souci à notre contributeur Éric Le Bourg, il s’inquiète des possibilités de censures du débat scientifique induites par la loi des dérives sectaires.

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture un projet de loi sur les « dérives sectaires » s’attaquant aux « gourous 2.0 » qui pullulent sur internet. Ces gens proposent des moyens miraculeux de guérir les maladies, de retarder le vieillissement, etc. Cela peut se faire en détournant les malades de la médecine, avec toutes les conséquences qu’on imagine quand on retarde par exemple un traitement anti-cancéreux, en recourant au jeûne, à des cures « détox », « paléo » et à tout ce qui passe par la tête, parfois en disant se baser sur des travaux scientifiques. Les conséquences peuvent être dangereuses, voire mortelles, et vont donc bien au-delà de l’escroquerie, ce qui motive le projet de loi. Pour que les choses soient bien claires dans la suite de cet article, j’ai dénoncé ces remèdes et individus dans des articles scientifiques, de presse, ou dans des livres.

Le projet de loi, dans son article 4, ajoute au code pénal un nouvel article :

  • Art. 223-1-2. – Est punie d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées, de toute personne atteinte d’une pathologie à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne visée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique. 
  • « Est punie des mêmes peines la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
  • « Lorsque la provocation prévue aux deux premiers alinéas a été suivie d’effets, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
  • « Lorsque la provocation s’accompagne d’une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé et que les conditions dans lesquelles cette provocation a été faite ne remettent pas en cause la volonté libre et éclairée de la personne, les délits définis au présent article peuvent ne pas être constitués.
  • « Pour l’application du quatrième alinéa, lorsque la personne est placée ou maintenue dans un état de sujétion psychologique ou physique, l’information donnée est présumée ne pas permettre de garantir la volonté libre et éclairée de la personne.
  • « L’information signalée ou divulguée par le lanceur d’alerte dans les conditions prévues à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ne constitue pas une provocation au sens du présent article.
  • « Lorsque ces délits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Cet article poursuit donc les charlatans et, après amendement, protège les « lanceurs d’alerte », les députés ayant fait remarquer en séance que Irène Frachon, qui a dénoncé le scandale du Mediator, aurait pu être poursuivie puisque, « en l’état des connaissances médicales », le Mediator était prescrit. Cet article 4 avait d’abord été critiqué par le Conseil d’État, parce que, du fait des lois déjà existantes, « ni la nécessité, ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées » et qu’il convenait « de ne pas remettre en cause, par une incrimination de contestations de l’état actuel des pratiques thérapeutiques, la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte ». L’article 4 a été supprimé par l’Assemblée, mais le gouvernement a imposé une deuxième délibération aboutissant à son adoption après l’inclusion de l’amendement sur les lanceurs d’alerte. Le parcours parlementaire n’est toutefois pas fini puisque le projet de loi part en commission mixte paritaire.

Malgré l’amendement sur les lanceurs d’alerte, le problème de l’article 4 reste entier car il aboutirait à poursuivre des scientifiques qui, de bonne foi, penseraient à tort qu’un traitement médical n’est pas adapté ou dangereux. En effet, selon la loi, « un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général ». Ces informations peuvent ne pas en être car fausses, par exemple en reflétant — de bonne foi — les conceptions erronées du scientifique, et c’est exactement ce qui se passe dans le cas des controverses scientifiques. Prenons un exemple lors de la crise du covid.

Si on arrivait à des sanctions administratives ou pénales contre des chercheurs parce qu’ils disent des erreurs ou ont des positions discutables, on aboutirait à ce que les autres chercheurs concluraient qu’il devient prudent de se taire, quel que soit leur domaine de compétence. Ce serait la fin de la science et, au passage, donnerait le statut de martyrs aux sanctionnés et renforcerait la force de leurs arguments dans le grand public.

Le sociologue Laurent Mucchielli a publié en août 2021 un article sur Mediapart, retiré par ce site et republié ailleurs, dans lequel il affirmait que, à l’époque, près de mille décès en France seraient liés à la vaccination, cette hypothèse étant « considérablement renforcée lorsque les décès surviennent très rapidement après la vaccination ». En somme, Laurent Mucchielli tirait d’une concordance dans le temps de deux événements la conclusion d’une causalité plus que probable, ce qui est une erreur souvent faite par le public mais que ne fait pas normalement un chercheur. Le CNRS publia un communiqué pour dire que Laurent Mucchielli « s’exprime à titre personnel sur la vaccination anti-covid ». Au même moment, une jeune association, Citizen4science, après avoir écrit que Laurent Mucchielli affirmait que la vaccination « aurait conduit à potentiellement 100 000 morts en France », alors que Laurent Mucchielli parlait de 1000, intimait au CNRS de « le sanctionner à la hauteur de ses agissements et à titre exemplaire » en ajoutant qu’ils seraient « vigilants à la suite » que donnerait le CNRS. Cette association s’inscrivait dans un mode de fonctionnement qui rappelle, disons-le, celui de la chasse aux sorcières du sénateur américain Joseph MacCarthy et de Trofim Lyssenko à l’académie des sciences soviétique de 1948. Qui plus est, en donnant des ordres au CNRS, on peut se demander si cette association ne se disait pas que le temps était venu d’instaurer en France le même climat délétère et pour elle de tenir le rôle de procureur. 

Imaginons un instant que l’article 4 ait été promulgué à l’époque : le sociologue, par son article, ne risquait-il pas, dans le contexte du virus infectant presque toute la population avec des conséquences mortelles pour les plus fragiles, de conduire en critiquant la vaccination « toute personne atteinte d’une pathologie à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne visée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique » ? Cette association, ou d’autres, n’aurait-elle pas pu s’appuyer sur l’article 4 pour poursuivre le sociologue qui — soyons clair — ne tenait pas son discours dans un but d’enrichissement personnel et était parfaitement sincère, contrairement aux « gourous 2.0 » ?

Il faut donc rappeler que les controverses scientifiques, même quand elles témoignent d’erreurs grossières ou de positions discutables, ne se règlent pas au tribunal ou par voie de sanctions administratives, mais par débats entre les scientifiques. En 2019, des « chercheurs russes », comme les appela la presse, déclarèrent que Jeanne Calment n’avait pas vécu 122 ans et que sa fille avait pris sa place. Cette hypothèse ne reposait que sur de faux raisonnements et aucune donnée, mais la réaction des scientifiques — et en particulier la mienne — a été de réfuter les arguments avancés et non de demander aux autorités scientifiques russes de « sanctionner » les « chercheurs russes ». La science ne fonctionne et ne progresse qu’ainsi, dans le débat et la libre confrontation des idées et opinions, parfois rude. Si on arrivait à des sanctions administratives ou pénales contre des chercheurs parce qu’ils disent des erreurs ou ont des positions discutables, on aboutirait à ce que les autres chercheurs concluraient qu’il devient prudent de se taire, quel que soit leur domaine de compétence. Ce serait la fin de la science et, au passage, donnerait le statut de martyrs aux sanctionnés et renforcerait la force de leurs arguments dans le grand public, ce qui serait d’autant plus dramatique si ceux-là ne reposent sur rien. 

On dira qu’un tel danger n’existe pas et, en particulier, que le gouvernement — ou un autre — ne s’appuierait pas sur cet article 4 pour museler des chercheurs. On aimerait le croire, mais force est de constater qu’on a bien osé utiliser les lois anti-terroristes pour saisir… des casseroles. Le mieux pour éviter toute nouvelle dérive autoritaire est, s’il n’est pas possible de réécrire cet article 4, de le supprimer avant l’adoption définitive du projet de loi. 

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1 commentaire

  1. Demare le 25 février 2024 à 17:20

    Perso, l’histoire de l’interdiction des casseroles est très symptomatique du type de démocratie délabrée que nous vivons. Non-seulement, ils manquent d’humour, mais ils se comportent comme des rois dans une République dite démocratique mais en fait, exclusivement représentative délégataire. De l’hypocrisie puissance 1000._ maintenant. Il ne faudrait pas pour autant que les chercheurs publient n’importe quoi sans vérifications , histoire de faire perdurer le désarroi des peuples et maintenir les pouvoirs d’obstruction des scientifiques parfois aveugles ou de conflits d’intérêts et contraire à des processus démocratiques adéquats commençant par le bas pour restituer le droit de regard de chaque citoyen/ ne/s dans des domaines publics qui les concernent aussi afin d’ améliorer la démocratie au lieu de la faire péricliter par leurs droits de vétos dans les décisions de défense de ces droits communs. Donc, ce cas précis est effectivement dangereux. Et les lanceurs d’alerte qui ne visent pas systématiquement les blocages de la société doivent être protégés. Pour le reste, tout cela doit être vérifié democratiquement d’abord, cad sans recours immédiat à la justice pendant la recherche. Encore faudrait Il faire respecter la règles des trois ans minimales pour rendre possible une vaccination obligatoire pour tous et toutes…et pour la covid, cela n’a même pas été le cas…Un travail de vigilance juridique manque manifestement dans les milieux scientifiques. Mais une clarification de cette législation pour défendre la majorité et les minorités est sans doute aussi indispensable sans les mettre en opposition.

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