La retraite à 72 ans ? Certains y pensent sérieusement…

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Le cabinet de conseil de Nicolas Bouzou bouleverse la science : demain, Homo Sapiens vivra jusqu’à 140 ans ! Alors, la réforme des retraites de Macron et Borne, c’est si peu de choses… Décryptage d’Éric Le Bourg, chercheur retraité du CNRS en biologie du vieillissement.

Les cabinets de conseil, chers à nos gouvernants (et encore plus aux contribuables), ont pour mission de fournir des études de haute qualité. On s’attend donc à la rigueur d’analyse, de calcul, de contrôle des sources, etc. Le cabinet Astérès a ainsi publié une étude sur les technologies anti-vieillissement. Étude qui vaut son pesant de cacahuètes !

 

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Que nous dit cette étude ? Se basant sur des expériences chez les souris, « Asterès retient l’hypothèse d’un gain d’espérance de vie à horizon 2070 semblable aux résultats de l’expérience de Jaijyan et al. », soit +41%. Astérès « considère qu’il faut compter 7 ans avant de réaliser de premières expériences sur des êtres humains […], 15 ans pour compléter la phase d’essais cliniques […] et 10 ans en moyenne pour la diffusion du traitement », soit un total de 32 ans avant les applications cliniques. Puis, Astérès redessine la pyramide des âges en 2070 : « Les personnes âgées de 111 ans à 119 auraient ainsi autant de chances de décéder que les personnes âgées de 80 à 89 ans aujourd’hui et les personnes âgées de 120 ans ou plus auraient autant de chances de décéder que les personnes âgées de 90 à 110 ans aujourd’hui ». Enfin, « certaines personnes atteindraient 140 ans en 2090 ».

Tout ceci est-il sérieux ? En particulier, des personnes âgées aujourd’hui d’environ 75 ans bénéficieraient donc des applications cliniques d’ici une trentaine d’années, à l’âge d’environ 105 ans, puis atteindraient les 140 ans vers 2090. Pour que des personnes âgées de 105 ans, qui sont rares, atteignent les 140 ans, il faut probablement que la plupart d’entre elles aient leur vie prolongée pour qu’au moins certaines vivent jusqu’à 140 ans. Le traitement en question aurait donc une efficacité redoutable, en prolongeant drastiquement la vie de grands vieillards normalement assurés de mourir très prochainement, puisque le taux de mortalité vers l’âge de 105 ans est d’environ 50% par an[[Les articles de l’auteur sont disponibles auprès de lui sur demande.]] : tout ceci semble bien improbable, pour le moins. L’étude conclut que « Asterès a délibérément choisi d’analyser l’impact d’un scénario radicalement optimiste, l’hypothèse centrale étant que les résultats obtenus sur des souris en 2022 (Jaijyan et al.) seraient transposables aux êtres humains et seraient déployés, au vue (sic) des moyennes, dans la décennie 2050. » Hélas, la possibilité de transposer aux humains les résultats en question semble nulle puisqu’il s’agit d’un enzyme actif chez la souris – la télomérase – mais inactif chez les humains, sauf dans les cellules germinales et… cancéreuses. Sans entrer dans les détails, disons aussi que ce qui augmente la longévité des souris n’a pas forcément le même effet chez les humains. Par exemple, la restriction de nourriture augmente souvent la longévité des souris, ce qui est utilisé comme argument par des entreprises commerciales proposant de jeûner, avec pour résultat tangible l’amaigrissement du portefeuille des clients, mais la restriction de nourriture n’augmente pas la longévité humaine.

Cette étude du cabinet d’Astérès, quelle que soit la manière dont on l’aborde, n’a aucune pertinence scientifique. Mais la publier le 7 février 2023, au moment où la majeure partie de la population n’accepte pas le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ne peut qu’inciter ceux qui la lisent à se dire que, finalement, 64 ans est un moindre mal.

Cette étude du cabinet d’Astérès, quelle que soit la manière dont on l’aborde, n’a donc aucune pertinence scientifique ou démographique, et on peine à comprendre qu’il ait été décidé de la rendre publique. Le cabinet Astérès en conclut que « si les recherches sur la lutte contre le vieillissement tiennent leurs promesses, l’âge de départ à la retraite pourrait être porté à 72 ans en 2070 » pour assurer le même ratio de cotisants/retraités que celui attendu en 2070 si l’âge de départ était porté à 64 ans. On a envie de dire : nous y voilà ! Publier cette étude le 7 février 2023, au moment où la majeure partie de la population n’accepte pas le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ne peut qu’inciter ceux qui la lisent à se dire que, finalement, 64 ans est un moindre mal, d’autant plus que cette étude a été commentée dans un quotidien. Dans ce contexte, l’étude du cabinet Astérès ne peut être considérée que comme un coup de main à l’adoption du projet de réforme des retraites, soutenu par son dirigeant Nicolas Bouzou, même si c’est au prix de rendre son cabinet de conseil ridicule. Décidément, les cabinets de conseil servent à tout…

 

Éric Le Bourg

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