Lettre aux socialistes

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On ne va pas se mentir, je suis de gauche mais pas socialiste. Je pense que ce n’est pas un problème pour vous. En tout cas, moi, je vous respecte et c’est pour cela que je vous écris pour comprendre et débattre sur votre choix étonnant de ne pas censurer le gouvernement Lecornu. Il y a tant à débattre. Je me limiterai à deux questions. 

  • Cette promesse de suspension des retraites mérite-t-elle que ce gouvernement perdure ? 
  • La crainte de voir le RN arriver au pouvoir à la faveur d’une dissolution sera-t-elle évitée par votre geste politique ?

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Je ne fais pas la fine bouche sur l’annonce de la suspension de la réforme des retraites. Encore faut-il qu’elle se concrétise dans les faits… Ce qui n’est vraiment pas acquis. Je n’oublie pas non plus que François Bayrou vous avait fait la promesse que, en échange de votre absence de censure, le débat sur les retraites reviendrait au Parlement, ce qui n’a jamais été le cas. Nous nous sommes tant battus contre cette réforme ; cela fait trop longtemps que nous ne gagnons pas pour ne pas y voir un encouragement aux luttes. Enfin, je sais que des millions de salariés (on parle de plus de 3 millions) gagneraient 3 ou 6 mois de retraite. Ce n’est pas tout ce que nous voulons mais ça nous donne de la force pour continuer. Au passage, il faut aussi mettre un terme à la réforme Touraine. On souhaite bien du plaisir aux candidats qui viendront proposer un allongement de la durée des cotisations et donc une reprise du conflit. Cela aussi nous l’avons gagné pour demain. 

Mais comment avez-vous fait pour ne pas entendre que Sébastien Lecornu a promis que son coût serait “compensé”, c‘est-à-dire payé par des économies ? De fait, il prévoit dans son budget une liste incroyable de malfaisances. Un véritable « musée des horreurs » déjà préparé par son prédécesseur. Nous n’avons pas dit que nous voulions partir plus tôt au prix d’une baisse des pensions par le biais de l’année blanche, qui s’appliquera aussi aux prestations sociales. Nous n’avons pas dit que nous acceptions en contrepartie que l’on sacrifie l’écologie avec ses milliards d’investissements qui sont supprimés en particulier pour accompagner les collectivités locales. Nous ne voulons pas que se prépare l’allocation unique regroupant toutes les prestations sociales en un versement qui ne pourra excéder 75% du SMIC comme le premier ministre l’a annoncé hier dans ses réponses à Laurent Wauquiez. Nous n’avons pas dit que nous acceptions que se perpétuent les injustices fiscales, que nous acceptions les déremboursements et les économies à hauteur de 7 milliards dans la santé. Nous n’avons pas dit que nous étions OK pour la Dati-holding qui fragilisera le service public de l’audiovisuel public ? Nous n’avons pas dit que nous validions les projets contre le logement social. J’arrête là la liste. Tout ceci, vous le savez, se prépare. C’est inscrit dans le projet de budget. Vous ne pouvez pas, par votre geste qui prolonge le gouvernement Lecornu, le passer sous silence. Vous me direz sûrement que vous êtes d’accord avec moi pour refuser ces reculs parfois structurels contre la cohésion de notre pays. 

Vous annoncez tenir compte de la réalité politique de l’Assemblée. Là, vous m’inquiétez. Voulez-vous nous faire adhérer à une conception de la politique où chacun négocie et, au final, avalise les choix majoritaires ? Cette évolution signifierait la défaite de la politique. Si vous alliez dans cette direction, vous embrasseriez une conception technique de la politique qui fait tant de mal chez nos voisins et qui n’est pas notre histoire. Il est normal que des projets s’expriment et s’opposent. Vous le savez, le macronisme se meurt aussi de cette tentative de tout concilier en niant cette essence de la politique. Cela a créé un trouble immense.

Cela m’amène à mon second point. Vous dites faire un pari risqué pour éviter la dissolution et éviter que le Rassemblement national n’arrive au pouvoir. Ce raisonnement n’est pas absurde : le risque est réel, et personne à gauche ne veut voir l’extrême droite diriger la France. Mais convenez que vos choix dilatoires ne font pas une stratégie : la peur du pire ne fonde pas une espérance. Votre président de groupe, Boris Vallaud, annonce vouloir faire la clarté par le vote. Avec cette composition de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, vous le savez, nous le savons, nous perdrons. Installer dans les votes, texte après texte, l’alliance de la droite et de l’extrême droite n’est pas une idée fameuse. La clarté faite, il restera nos défaites et leurs victoires. La clarté, c’est dire encore que nous ne voulons pas d’un futur de malheur, que nous nous opposons au macronisme et que nous proposons un chemin. Pas que nous semons la confusion.

Notre pays tient debout par la politique et par la démocratie : les citoyens arbitrent des choix globaux et ne peuvent être les spectateurs de négociations derrière des portes closes. Soyez un parti et parlez au pays. Battez-vous. Ne paraissez pas craindre le retour aux urnes. C’est délétère. 

Il faut construire une alternative à ce cuisant échec qu’est le macronisme. Sinon, le RN a gagné la partie. Cela suppose a minima de ne pas apparaître comme allié ou lié au pouvoir. Et cela suppose que la gauche soit porteuse d’un discours clair. Évidemment, tout le monde ne dit pas la même chose : vous le savez comme moi, la gauche est diverse. Mais ce n’est qu’ensemble que nous pouvons constituer une alternative et une perspective solide face à la force de l’extrême droite française, portée par le trumpisme mondial. Le risque serait de laisser la colère du pays sans horizon. Car cette colère ne s’évapore jamais : elle se transforme. Et si la gauche renonce, elle tombe dans le ressentiment, donc dans les bras de l’extrême droite. 

Vous devriez considérer que ce qui nous fracture n’est pas bon. Vous devriez vous souvenir de ce que les électeurs de gauche pensent d’un PS qui ne s’assume pas de gauche. Le cercle de la raison est déjà refermé. La place est prise et n’est pas enviable. Ne courez pas derrière. Pour exister à nouveau, vous n’êtes pas obligés d’enfoncer toute la gauche.

Rappelez-vous de ceux qui vous ont précédés. Souvenez-vous que le courage n’est pas seulement dans la nuance, mais dans le choix. Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. Alors luttez. 

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16 commentaires

  1. Berthelot Jacques le 16 octobre 2025 à 12:04

    « Motion de censure de LFI rejetée: sept députés frondeurs chez les socialistes, un chez les LR »
    Voilà c’est fait le PS a sauvé Lecornu , comme il l’avait fait pour Bayrou.
    Donc le PS rejoint « le socle commun ».
    En échange d’une » suspension » provisoire de la réforme des retraites.
    loin de l’abrogation que le PS soutenait dans le projet du NFP.
    De plus cette suspension va se faire par des économies drastiques sur les services publics, par « l’année blanche » pour les pensions, toutes les allocations, prestations sociales.
    Ce choix de casser l’unité à gauche ( toutes les autres formations de gauche vont voter la censure ) , annonce de futures défaites , sauver la Macronie moribonde , détestée , c’est ouvrir un boulevard au RN.

  2. Stephane Denis le 16 octobre 2025 à 14:45

    C’est une bonne nouvelle ! Le PS vient d’acter sa très prochaine disparition . À toutes les prochaines (d)échéances électorales ils seront laminés. Enfin! Finalement c’était la meilleure chose à faire pour que nous soyons définitivement débarrassés de cette engeance bourgeoise et pleutre qui usurpe les valeurs de la gauche.

    • P. Hedouin le 20 octobre 2025 à 16:12

      Ce que je comprends de cette « engeance bourgeoise » – et pleutre , c’est qu elle ne veut pas de changement politique dans ce pays . Qu elle fera toutes les manoeuvres possibles pour maintenir les institutions de la 5e et préserver l ordre bourgeois qui la rassure et dont elle est issue . La charité oui , mais le changement non !

  3. lanstroffer le 16 octobre 2025 à 15:16

    Remarquable article Pablo que je valide en élargissant la focale. Faire face à la crise systémique mondiale qui débute impose de changer radicalement de modèles de sociétés.
    En situation d’urgence (écologique, sociale, démocratique et géopolitique), les demi mesures, les accords d’appareils, la novlangue, les « en même temps » et autres « petits pas » sont mortifères. Les peuples l’ont déjà compris et sanctionnent les gauches molles et autres partis de la « raison » au profit des programmes les plus radicaux ; quitte à succomber aux pires pulsions. Et malheureusement, nous y sommes presque.

  4. Lucien Matron le 16 octobre 2025 à 15:51

    Le refus d’un grand nombre de députés socialistes de voter la censure confirme leur rupture par rapport au Nouveau Front Populaire qui a pourtant permis à beaucoup d’entre eux d’être élus sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Sur le fond, je souscris pleinement à la lette de Pablo. Pour autant, nous ne devons pas oublier que quelques députés socialistes ont voté pour le censure et que vraisemblablement, une partie de l’électorat socialiste ne soutient pas la position d’Olivier Faure et de Boris Vallaud-Belkacem. Il appartient aux autres forces du NFP, avec toutes celles et tous ceux qui veulent en finir avec le macronisme, de ne pas oublier cet électorat socialiste. La mobilisation et surtout les actions contre un projet de budget de budget antisocial doivent permettre de rassembler pour en finir avec Macron, ce sera également la meilleure façon de lutter contre les ambitions mortifères de l’extrême droite et de ses complices.

  5. Lemarchal le 16 octobre 2025 à 17:28

     » je vous écris pour comprendre et débattre sur votre choix étonnant de ne pas censurer  »
    C’est être bien naïf !
    https://contre-attaque.net/2025/10/16/le-parti-socialiste-na-pas-trahi-il-est-juste-fidele-a-son-histoire-2/

  6. Got Michel le 16 octobre 2025 à 19:24

    Je ne lit plus trop Regards, en raison de la façon dont est analysé la stratégie et les prises de positions de LFI.
    je suis souvent en désaccord mais cette fois ci, je viens vous dire combien je partage cette analyse.
    La seule différence avec vous, c’est que je pense, comme beaucoup d’autres, que le PS n’est pas de gauche, en tout cette gauche dont nous avons besoin aujourd’hui.
    C’est pour cela que l’épisode actuel devrait permettre de clarifier notre camp. Le PS a décidé de se tourner vers les électeurs macronistes
    Je ne partage pas votre avis sur la nécéssité de l’union, c’est dans la clarté que nous pouvons gagner.

    • Lemarchal le 17 octobre 2025 à 17:51

      Entièrement d’accord. La NUPES et le NFP était de graves erreurs. Cela a eu pour effet de remettre en selle le PS qui était moribond.

  7. Claire le 16 octobre 2025 à 21:36

    Tout est juste, merci.
    Je suis litéralement attérée. On commençait à tendre l’oreille à quelques idées de gauche, il suffit de miettes, sur quelques mois et une saignée partout, pour que les socialistes se couchent. Sur les plateaux, les éléphants du moment disaient, il n’y a pas que la retraite, nous avons 3 demandes, au final, la retraite ça fait joli et une micro « suspension » suffit !Pour 3 mois de retraite, on double franchises, participations forfaitaires et leurs plafond respectif, on cautionne le renoncement aux soins que cela va engendrer. C’est sur qu’avec une prise en charge plus tardive, la population aura bien besoin de gagner un trimestre sur sa retraite. Enfin non, pas la population, juste ceux qui sont tous bientôt concernés, les autres, leur santé, à la poubelle, qu’ils sachent, ce qu’ils ne savaient pas déjà, la santé ça coute…
    Quel risque ce PS courrait à marquer, même après les questions au gouvernement, que non, ça ne suffit pas, d’autant que dans tous les sens, puisque cette concession sera dans le PLFSS, pour l’avoir il faut valider le PLFSS, et que dans tous les sens, s’il y avait uen majorité assurée pour la censure avec le PS, il n’y aura pas de majorité contre le doublement des franchises, forfaits, plafonds et toutes ces joyeusetés révoltantes ! D’autant que le Sénat n’a pas la moindre envie de laisser passer… Mais non, le bureau, les commissions à l’AN sont bien équilibrées, il n’y a pas eu de magouilles, mais le PS, confiant, triomphant, valide, enfin refuse d’invalider. Il manquait si peu pour montrer que le PS a retenu les leçons de la présidence Hollande, toujours pas. Le PS a du mal à rester à gauche, triste jour.

  8. Lemarchal le 17 octobre 2025 à 17:57

    Ne pas considérer le PS comme un ennemi politique à faire disparaître au plus vite, et continuer à les voir comme des «partenaires», serait une erreur fatale.

  9. A Laurent le 18 octobre 2025 à 15:24

    Chapeau lecornu ! Avec Faure, il a cajolé le petit, flatté son ego pour qu’il se tienne tranquille. Maintenant, ce sera « tu as voulu un geste pour la réforme des retraites, c’est fait. Alors, tais-toi et signe le reste… »

  10. J Claude Lacombe le 18 octobre 2025 à 21:17

    Non le PS n’est pas de gauche, il trahit (encore une fois ) les travailleurs et les travailleuses. N’oublions pas que en 1981, F Miterrand pour atteindre son double objectif (Président de la république et mettre le PCF à – 5%) a fait monter le FN!!. L’idéologie dominante depuis cette époque c’est la social démocratie, béquille du capitalisme! Le PS et sa succursale Cfdt, bien relayés et encouragés par une majorité de média trompent les électrices et les électeurs et , avec la Macronie, font le lit du RN. Au moins, la situation sur l’échiquier politique est claire, le PS s’est mis en dehors du NFP. Attention : Il ne faut pas oublier l’électorat socialiste qui lui aussi est fortement déçu des dirigeants du PS;

  11. Broca-75005 le 18 octobre 2025 à 21:21

    Stratégiquement, les caciques du PS disposent encore des mairies de grandes villes, de quelques régions et CD. C’est leur socle acquit depuis 1981, un peu comme les communistes qui ont toujours fait des pieds et des mains plus ou moins pas propres pour garder leurs élus et les reversements d’indemnités qui vont avec. La seule logique PS du moment, c’est de ne pas perdre les élus qu’ils leurs restent. Le reste (RN …) leur importe peu, même pas de garder leurs militants, seulement leur base électorale des classes moyennes repus qui elles, votent avec l’impression d’être de gauuuche. Pour le moment, l’abstention aux élections leur est profitable et ils pensent que cela va continuer. Ils n’ont pas forcément tort, sauf que peut-être … ils ont fait un grand pas en avant au bord du précipice (Félix Houphouët-Boigny, lui aussi, comme planche pourrie, il n’était pas le dernier).
    En fait en avril prochain, ils joueront le rôle du parti radical avec des élus sans base militante (qui se réunissaient tous dans une seule cabine téléphonique du temps de Robert Fabre), en apportant leur soutien au plus offrant.
    Tiens, en parlant de Robert Fabre, ca me fait penser à la Charente et à Olivier Falorni qui vient d’essayer de faire passer un texte sur la « fin de vie ». Le dernier qui part, éteint la lumière … hi hi hi …

  12. Michel Nice le 19 octobre 2025 à 11:38

    Personnellement, je suis d’un peu loin la politique française (car la gauche me désole), mais ma première réaction quand j’ai entendu le soutien PS au gouvernement a été : super, je suis d’accord.
    Parce que je n’en peux plus de voir que la gauche se déchire en se gargarisant d’une victoire illusoire (car partielle) aux dernières législatives
    Parce que j’en veux toujours à la gauche parlementaire qui, lors du débat sur la réforme des retraites aurait pu faire barrage à cette réforme dégueulasse en unissant ses voix au FN. Et à cause de ça j’ai perdu 9 mois au travail (et pars à la retraite en janvier prochain à 62 ans et 9 mois).
    Parce que je ne comprends pas à quoi serviraient de nouvelles élections législatives, vu que le résultat des dernières était clair : pas de majorité pour personne, mais un montée du FN et une majorité du pays à droite (macron+droite+FN)

    • Elise le 24 octobre 2025 à 00:54

      Bonjour, du coup quelle est votre solution ? Comme la majorité du pays est à droite, on arrête d’essayer de changer les choses, on prend sa retraite, et on laisse l’union des droites gouverner ? Merci, mais non merci. C’est par contre le choix qu’a fait le PS, et permettant la survie du macronisme, et en se faisant rouler dessus sur tous les débat budgétaires depuis.
      Concernant la gauche qui se gargarise de sa victoire partielle de 2024 : perso je n’ai entendu personne se « gargariser », j’ai juste entendu des gens qui demandaient qu’on respecte l’esprit des institutions et qu’on appelle la plus grande coalition au pouvoir. Je pense que ç’aurait été difficile, voire impossible, de rester au pouvoir, mais c’était ce qui aurait du être fait.

  13. carlos_H le 27 octobre 2025 à 18:42

    tu pourrais tout aussi bien leur écrire un poême… en termes d’efficacité on sera a peu près pareil que la lettre…

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