Lettre à Jean-Luc Mélenchon

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Bernard Marx adresse une lettre au candidat à la présidentielle, attendant de lui qu’il précise son positionnement politique vis-à-vis de la guerre en Ukraine : qu’il s’agisse de l’accueil des réfugiés, de la défense européenne, de l’Otan ou des sanctions économiques prises contre la Russie.

Cher Jean-Luc Mélenchon,

Bien qu’en désaccord sur plusieurs points avec vos propositions et votre positionnement politique, j’envisageais de voter pour vous au premier tour de l’élection présidentielle. M’y incitent les désaccords, souvent encore plus profonds, que j’ai avec les lignes politiques et les programmes des autres candidats de gauche et du candidat écologiste. Et je ne minimise pas l’importance qu’un candidat de gauche puisse atteindre le second tour et affronter, selon toute vraisemblance, Emmanuel Macron, le Président des milliardaires français.

 

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Mais l’histoire du vieux continent a effectivement basculé le 24 février avec la guerre d’agression livrée par la Russie à l’Ukraine. La façon dont vous en traitez les enjeux pour la politique de la France et pour celle de l’Union européenne me font douter profondément. Il est normal que votre programme L’avenir en commun ne constitue pas une réponse à la situation nouvelle créée par cette guerre. Mais à ce stade, les réévaluations et les précisions apportées, notamment dans votre discours à l’Assemblée nationale le 1er mars, ne m’ont pas rassurées.

Pour le dire d’un mot : ce qui concerne la politique de l’Union européenne dans votre programme m’apparaît profondément inadapté. Le chapitre 12 de L’Avenir en commun s’intitule « Europe ». Il est le seul à ne pas afficher un objectif politique. Les deux sous parties s’intitulent « Utiliser tous les leviers d’actions face aux institutions européennes » et « Désobéir chaque fois que c’est nécessaire pour mettre en œuvre notre programme ». Cela ne suffit pas. Face à la guerre de Poutine et face à la réalité nouvelle qu’il tente d’installer, il faut, il faudra une politique de l’Union européenne, et il faudra être Européen.

L’on peut espérer que la résistance armée du peuple ukrainien et les efforts diplomatiques auront raison de la guerre menée par Vladimir Poutine et l’armée russe. La défaite militaire entraînerait certainement sa défaite politique et une réalité nouvelle pourrait émerger pour l’Europe et le monde. Pour être autre chose qu’une nouvelle humiliation du peuple russe et un renforcement des règles du jeu inadaptées du monde d’avant la guerre, il faudrait des initiatives fortes. Celles que vous préconisez – notamment une conférence internationale sur les frontières européennes – pourraient être alors les bienvenues.

Mais quelle que soit l’envie qu’on en ait, il nous faut et il vous faut se situer dans l’hypothèse où les efforts diplomatiques déployés n’obtiendront ni un cessez-le-feu immédiat, ni un retrait total des forces militaires russes, ni une reconnaissance de la souveraineté de l’Ukraine dans le cadre de ses frontières de 1991. La guerre va durer encore avec son cortège poutinien de crimes de guerre, comme on l’a déjà vu en Tchétchénie, à Alep ou ailleurs. Elle risque fort de s’achever sur une occupation russe de tout ou partie de l’Ukraine.

J’ose présumer que vous Président refuserez toute réalisation durable des buts de guerre de Vladimir Poutine et des menaces que sa politique et son idéologie feront peser sur les autres peuples d’Europe et sur la paix et la sécurité de tous.

Mais cela pose bien des questions auxquelles j’attends de vous des réponses beaucoup plus convaincantes.

Les réfugiés qui sont actuellement, majoritairement, des réfugiées.

« Nous sommes, dites-vous, avec les réfugiés d’Ukraine qui sont à présent plus d’un million et que nous devons accueillir comme tous les réfugiés ». Elles et ils seront certainement encore beaucoup plus nombreux. Vous avez entièrement raison. Mais avec quelle politique et quels moyens en France et en Europe ?

Les sanctions.

Dans votre discours à l’Assemblée nationale, vous avez dit votre opposition à la coupure du réseau interbancaire Swift aux opérateurs russes. Mais vous n’avez pas réclamé d’autres sanctions économiques et financières. Au reste vous n’avez, alors, même pas prononcé le mot de sanctions. La question reste donc posée : vous Président, quelle politique de sanctions chercherez-vous à mettre en œuvre en France, en Europe et à l’échelle internationale ?

La politique de sécurité et la sortie de la France de l’Otan.

Comment prendrez-vous en compte les inquiétudes légitimes de nos partenaires de l’Union européenne et les réponses qu’ils y apportent en ce qui concerne les dépenses et les alliances militaires ? Dans le contexte d’une occupation russe de l’Ukraine, vous Président, ferez-vous effectivement sortir la France de l’Otan ?

Les députés européens de la France Insoumise ont, pour leur part, voté la résolution du Parlement européen du 1er mars 2022 sur l’agression russe contre l’Ukraine. La résolution « rappelle que l’OTAN constitue le fondement de la défense collective des États membres qui sont des alliés de l’OTAN ; se félicite de l’unité entre l’Union européenne, l’OTAN et d’autres partenaires démocratiques partageant les mêmes valeurs face à l’agression russe, mais souligne la nécessité de renforcer son dispositif de dissuasion collective, sa préparation et sa résilience; encourage le renforcement de la présence avancée rehaussée de l’OTAN dans les États membres géographiquement les plus proches de l’agresseur russe et du conflit ; […] demande une nouvelle fois aux États membres d’augmenter leurs dépenses en matière de défense, de garantir l’existence de capacités plus efficaces et de tirer pleinement parti des efforts conjoints de défense dans le cadre européen, notamment la coopération structurée permanente (CSP) et le Fonds européen de la défense, afin de renforcer le pilier européen au sein de l’OTAN, ce qui accroîtra la sécurité des pays de l’OTAN comme des États membres… ».

Les députés de la France Insoumise ont expliqué avoir voté « contre les points appelant au renforcement de l’OTAN, en particulier à proximité des frontières de l’Union européenne et de la Russie ». Mais entre le renforcement et le départ de la France de l’Otan il y a une plus qu’une marge. Ils disent, également, être opposés aux paragraphes qui se prononcent en faveur des livraisons d’armes à l’Ukraine, car selon eux, « ils entraîneront un plus grand déchaînement de violence dont le peuple ukrainien sera la première victime ». Les Ukrainiens n’auraient donc rien de mieux à faire que de renoncer à résister par les armes et de capituler. Est-ce votre position ?

Les conséquences économiques de la guerre.

La guerre et les sanctions prises contre la Russie entraînent déjà deux chocs économiques majeurs à l’échelle mondiale concernant l’énergie et les produits de base alimentaires. D’autres pénuries sont à craindre. L’inflation et la baisse du pouvoir d’achat des classes populaires menacent de s’accélérer à nouveau. Sans compter les risques de crise financière et de grave récession économique.

Alors que le président de la République parle seulement d’une extension du bouclier tarifaire du gaz jusqu’à la fin de l’année et d’un « plan de résilience », il annonce surtout un programme commun avec les autres candidats de droite et d’extrême droite consistant à abaisser encore les cotisations sociales patronales, les impôts payés par les entreprises et les dépenses publiques.

Pour votre part vous avez réclamé un blocage des prix des carburants, de l’énergie et de l’alimentation. C’est une mesure d’urgence. Mais est-elle viable face à des chocs qui vont perdurer ? Et elle ne constitue qu’une partie des réponses à apporter. N’est-ce pas le moment de montrer concrètement la nécessité de la planification, de la bifurcation écologique, de la politique industrielle ou de la réforme financière que vous préconisez ?

Mais, là aussi, la politique de l’Union européenne sera très importante si non décisive. L’occasion est belle pour disqualifier définitivement le pacte budgétaire européen. Mais aussi pour dire quelle politique énergétique et quelle nouvelle politique agricole communes, il conviendrait d’urgence de mettre en œuvre.

Comme vous, je pense qu’il ne faut pas laisser le monde s’installer dans une ère nouvelle d’affrontements de plus en plus militaires entre puissances impérialistes.

« Notre attention doit aller à la Chine », écrit dans une tribune publiée le 4 mars, l’ancien Premier ministre Lionel Jospin. « Les envahisseurs devront quitter l’Ukraine pour que la crise actuelle puisse se résorber. La Chine a intérêt à peser dans ce sens », explique-t-il.

Il invite à déployer une intense activité diplomatique en ce sens. Je partage ce point de vue. Rien n’indique que le Président Macron ait pris des initiatives fortes dans cette direction. Quelles seraient les vôtres ?

Notre attention doit également se tourner bien davantage vers le « Tiers-Monde ». Comme l’écrit de son côté le philosophe Slovène Slavoj Žižek, « pour vraiment contrer Vladimir Poutine, nous devrions construire des ponts vers les pays du Tiers-Monde, dont beaucoup ont une longue liste de griefs pleinement justifiés contre la colonisation et l’exploitation occidentales. Il ne suffit pas de « défendre l’Europe » : notre véritable tâche est de convaincre les pays du Tiers-Monde que, face à nos problèmes mondiaux, nous pouvons leur offrir un meilleur choix que la Russie ou la Chine ». Dans ce domaine, je vous donne volontiers le point. Vos propositions d’une diplomatie altermondialiste s’inscrivent, me semble-t-il, dans cette perspective.

J’espère trouver des réponses à ces questions dans vos interventions publiques d’ici l’élection présidentielle.

Cordialement,

 

Bernard Marx

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