Villiers-le-Bel : les enjeux d’un procès

Le 4 octobre s’est ouvert à Nanterre le procès en appel des tireurs présumés de Villiers le Bel (lire l’article d’Alain Bertho). Le verdict devrait être rendu en fin de semaine.

Rappel des faits. À Villiers-le-Bel (Val d’Oise-95), le 25 novembre 2007, aux environs de 17 heures, deux adolescents, Lakhamy Samoura et Moushin Sehhouli, sont tués dans une collision entre leur moto et une voiture de police. Refusant d’accréditer la version officielle qui conclue rapidement à un accident, les habitants laissent éclater leur colère. S’ensuivent plusieurs jours de révoltes (du 25 au 28 novembre) au cours desquels des dizaines de policiers sont blessés par des tirs d’armes à feux (chevrotine). Le lendemain de ces révoltes, le 29 novembre, à l’occasion de son discours sur la sécurité devant 2000 gendarmes et policiers, Nicolas Sarkozy déclare : «Je réfute toute forme d’angélisme qui vise à trouver en chaque délinquant une victime de la société, en chaque émeute un problème social. (…) Mettez les moyens que vous voulez, ça ne peut pas rester impuni, c’est une priorité absolue. On va donner plus à ceux qui veulent s’en sortir honnêtement et on va également donner plus à ceux qui ne veulent pas s’en sortir mais dans l’autre sens, (être) plus sévère à l’endroit de celui qui n’a comme seule idée qu’empoisonner la vie des autres.»

Puisqu’elle a carte blanche, l’instruction ne recule devant rien. Le 1er décembre, les policiers distribuent dans les boîtes aux lettres des habitants de Villiers-le-Bel des appels à délation anonyme accompagnés de la mention « tout élément susceptible d’orienter favorablement les enquêtes en cours pourra faire l’objet d’une rémunération ». Une première qui semble faire recette puisque le 4 juillet 2010, Abderhamane Kamara, Adama Kamara, Ibrahima Sow, Maka Kanté et Samuel Lambalamba, inculpés pour « tentatives d’homicides volontaires au préjudice de fonctionnaires de police dans l’exercice de leur fonction et ce, en bande organisée », sont condamnés en première instance à des peines allant de trois à quinze ans de prison. Principalement sur la base de témoignages sous X et rémunérés. À l’issue de ce procès, les avocats décident de faire appel pour ceux ayant écopé des condamnations les plus lourdes (9, 12 et 15 ans). De son côté, le parquet contre-attaque et demande le renvoi en appel pour Maka Kanté (port d’arme de 4ème catégorie) et Samuel Lambalamba (accusé d’avoir fourni une arme) condamnés à trois ans de prison. Depuis leur incarcération en 2008, les cinq accusés de Villiers-le-Bel n’ont jamais cesser de clamer leur innocence.
Fin du premier acte.

« Une sous-justice »

Dès le premier jour du procès en appel, le 4 octobre dernier, Mme Lefort, expert-psychologue, met à mal la crédibilité d’un des témoins-clés de l’accusation, M. Christopher Bénard. Ce dernier avait affirmé avoir entendu, alors qu’ils partageaient une cellule dans les sous-sols de la cour d’appel de Versailles, Adama Kamara et Maka Kanté se vanter d’avoir respectivement tiré sur un policier et frappé un commissaire. Missionnée le 28 décembre 2007, dans une autre affaire, pour une expertise psychologique de M. Bénard, l’expert conclue à un trouble grave de la personnalité, relevant de ce qu’on appelle les « états-limites », à la frontière entre la psychose et la névrose. À la suite cette audition, Me Konitz déclare : « Ce qui s’est passé est d’une gravité extrême. On ignorait que la juge (en première instance) avait ce document à sa disposition. C’est insensé qu’elle n’ait pas versé ces éléments au dossier.  » Toujours le même jour, alors que le juge procède à l’appel des témoins, Me Konitz insiste pour que David Ruelle, alors absent, se présente à la barre avant la fin du procès. « C’est capital, indispensable », martèle t-il. Codétenu en 2008 d’Abderrhamane Kamara, il prétend avoir vu ce dernier fanfaronner au cours de la promenade, affirmant qu’il avait « fumé un flic ». Mais lorsqu’il comparaît à la barre le 13 octobre dernier, les avocats de la défense ont tôt fait de réduire sa crédibilité à néant. Il leur suffit de lire ses différentes déclarations à la police dans lesquelles il affirme tour à tour avoir assuré la sécurité de Nicolas Sarkozy, avoir travaillé à l’ambassade des Nations unies à Genève, avoir appartenu au RAID, posséder plusieurs discothèques en Suisse, etc. Entre des témoins anonymes, des témoins affabulateurs comme David Ruelle, des témoins qui se rétractent, dénonçant des pressions policières à l’instar de Stéphane Farade ou Christopher Bénard, les avocats de la défense ne cessent de décrier le travail de l’instruction. Mais cette fois-ci, anonymes ou pas, ils exigent de pouvoir interroger les témoins, et dans le cas contraire, demandent à ce qu’ils soient écartés. Seront-ils entendus ?

Du côté de la balistique, l’expert est formel : « Aucune arme saisie ne correspond aux étuis retrouvés sur place. » Pas d’arme, donc. Reste le témoignage du policier José-Manuel Vergara, qui, lui, a eu un « choc» en pleine audience (2010), puisqu’il a soudainement reconnu Abderhamane Kamara comme étant l’un des tireurs. Un brusque sursaut de mémoire qui intervient plus de deux ans après les faits, alors qu’au lendemain des révoltes il affirmait ne pouvoir identifier aucun tireur. Pourtant, le 10 octobre dernier, il confirmait son témoignage à charge auprès de la cour d’appel de Nanterre.

Si le dossier de l’accusation présente de nombreuses failles, et non des moindres, la défense est quelque peu brinquebalante sur la question des alibis de certains accusés. C’est le cas notamment d’Abderhamane Kamara qui nie avoir été présent sur les lieux alors que dans une première déclaration son frère disait l’avoir aperçu. Mais si les avocats des parties civiles parviennent à démontrer qu’il était sur place, cela ne prouvera pas qu’il a tiré. L’équation ne va évidemment pas de soi. « Parce que c’est ça la vraie question de ce procès. Or le dossier est vide. Il n’existe pas de preuve que ces cinq-là ont tiré sur les policiers. Ils ne devraient même pas être dans le box des accusés. (…) Le procès en première instance était clairement à charge. Nos témoins étaient écartés contrairement à ceux de la défense. (…) C’est de la sous-justice pour des gens considérés comme de la sous-population », lâche, amère, Me Dumont.

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire