TRIBUNE. Les quartiers et la Palestine : une longue histoire
Il y a urgence. Plus que jamais le peuple palestinien est menacé d’une nouvelle nakba. Cela nous concerne, cela vous concerne !
Nous, actrices et acteurs des luttes de l’immigration et des banlieues, appelons à la mobilisation générale pour la Palestine ! En fait, nous n’avons jamais cessé de vibrer aux combats des Palestiniens pour la Libération. « Nous aussi, nous aimons la vie, quand nous en avons les moyens », comme l’écrivait le poète Mahmoud Darwich. Et, comme les Palestiniens, nous voulons nous donner les moyens de la lutte contre la déshumanisation et contre la réduction à la condition coloniale de hors-sujet de l’Histoire. Dès les années 70, nous avons créé les premiers Comités Palestine en soutien à la résistance palestinienne naissante. C’était aussi le temps des ratonnades en France… Mais nous n’étions pas que des victimes et nous étions alors la génération fedayin.
Dans les années 80, nous avons marché aussi en mémoire du peuple martyr des camps de Sabra et Chatila… Des Minguettes à Nanterre, nous étions la génération keffieh dressée contre les arabicides, les beaufs flingueurs et autres bavures policières.
Dans les années 90, nos luttes dans les quartiers populaires ont résonné avec la révolte des pierres, du camp de Jabalia à Gaza à tous les bleds de Palestine. Nous étions alors la génération intifada et l’un de nos slogans était « Qui sème la hagra1 récolte l’intifada ! »
Dans les années 2000, nous sommes partis par milliers en missions civiles dans tous les coins de Palestine, pour porter assistance et solidarité aux populations spoliées, écrouées ou claquemurées dans des prisons à ciel ouvert. Et nous étions alors la génération Palestine.
Et encore et toujours, ils nous pointaient du doigt les rédempteurs des « bienfaits » de la colonisation et le large spectre de la bien-pensance contre la pseudo-dérive islamo-indigéniste des quartiers.
Aujourd’hui, en 2023, nous avons bravé les interdits de se rassembler ou de manifester, les interdits de s’exprimer publiquement, jusqu’aux interdits d’exister ! Il faudrait toujours se justifier, tandis que nos démocraties virant à l’autoritarisme fournissent armes et soutien inconditionnel à la machine de guerre israélienne. Mais nous sommes en colère et nous refusons de montrer pattes blanches nous autres actrices et acteurs de luttes de l’immigration et des banlieues ! En colère contre les fanatiques du gouvernement israélien, sa soldatesque et ses alliés occidentaux dans « un combat des enfants de la lumière contre les enfants des ténèbres » virant à la dérive génocidaire. En colère aussi contre nos institutions dites démocratiques qui restent sourdes aux appels des ONG ou même de l’ONU pour arrêter la furie et la rage de vengeance contre la population palestinienne. En colère contre la propagande politico-médiatique déchaînée au service du narratif israélien d’une guerre de la civilisation contre la barbarie. Animalisés et diabolisés, perçus comme une horde sauvage, congénitalement terroriste, les Palestiniens sont traités comme quantité négligeable et même leurs morts n’auraient pas de visage !Et nous en savons quelque chose de cette entreprise de déshumanisation et de caporalisation de l’opinion publique, nous autres actrices et acteurs de luttes de l’immigration et des banlieues ! Car plus que jamais ils nous pointent du doigt, les enragés d’un racisme néocolonial décomplexé et le large spectre des politiciens lepennisés et d’une médiacratie bien-pensante repliée dans son État sécuritaire contre un phantasmatique « grand remplacement ».
De quoi le refus de voir le martyr de Gaza est-il le nom aujourd’hui en France, sinon celui d’un retour du refoulé colonial et d’un rejet des héritiers de l’immigration ? La colonisation, en Algérie, en Afrique, dans les territoires ultramarins comme en Palestine, nous la vivons toujours dans notre chair. Et le peuple palestinien reste l’emblème des populations opprimées par l’impérialisme occidental plus d’un demi-siècle après nos premières mobilisations.
Forts de cette longue histoire qui est notre histoire, nous appelons toutes et tous à participer activement aux manifestations, aux veillées, cérémonies, levées de drapeaux et à la foison d’initiatives que chacun-e voudra développer partout dans nos cités, nos quartiers et nos places publiques pour soutenir la lutte du peuple palestinien et exiger de nos gouvernements qu’ils sifflent la fin de partie pour les criminels de guerre israéliens et imposent tout de suite : la fin des massacres génocidaires et tentatives d’expulsion des Palestiniens ; un cessez-le-feu permanent ; la levée immédiate du blocus de Gaza ; la fin de la colonisation et des persécutions dans tous les territoires de Palestine.
Nous resterons mobilisés jusqu’à l’obtention de ces résultats et intensifierons la mobilisation sur la durée. Nous irons dans tous les quartiers pour des séances publiques de formation Palestine, car il est urgent de faire connaître cette histoire et les enjeux actuels.
- Toutes et tous en manifestation pour la Palestine ce week-end des 16 & 17 décembre.
- Chaque région appellera à un rendez-vous ce week-end après les manifs pour organiser la suite des mobilisations.
En région parisienne, nous appelons à organiser des marches aux flambeaux inter-quartiers pour la Palestine avec passage de relais de ville en ville.
Nous proclamons que la Palestine est notre boussole et que la lutte des Palestiniens pour leur libération est cousine de notre lutte pour la justice et l’égalité.
Premiers signataires :
Samir Abdalla, Fatiha Abdelbasset, Yamina Aïssa Djabri, Akila Aïssat, Myriem Allal, Moussa Allem, Adel Amara, Rachid Amghar, Salah Amokrane, Toumass Aniya, Meryem-Bahia Arfaoui, Sophia Arouche, Hervé Arteaud, Seba Asmaa, Djamel Atallah, Boualam Azahoum, Nadia Azoug, Samir Elyes Baaloudj, Bally Bagayoko, Fazia Bali, Joy Banerjee, Marwan Baraka, Celine Beaury, Yasmina Bedar, Sohir Belabbas, Mehdy Belabbas, Najat Belaid, Farid Bennaï, Yamina Bendahmane, Brahim Benramdan, Hakim Beraïs, Nouma Bordj, Ahmed Boubeker, Sylvine Bouffaron, Julia Bougon, Mana Boukaouma, Fatima Bouzadiyi, Youcef Brakni, Samah Chaaban, Chérif Cherfi, Paul Chiesa, Wafa Dahman, Slimane Dazi, Soumaia Dazi, Faimé Dazi, Fatima Boulouiz Dazi, Cheikh Djemaï, Joss Dray, Ali Essafi, Adil Fajry, Jérôme Faÿnel, Moncef Guedouar, Cristel Husson, Ayda, Kawthar & Thouraya El Ghoul, Nacira Guenif, Toufik Ihyaoui, Nacer El Idrissi, Assia El Kasmi, Fatima El Kenz, Rabia El Massaoud, Ali Haddad, Kaddour Hadadi (HK), Samir Hadj Belgacem, Sonia Hamdouchy, Aarab Hamza, Nadia Hathroubi, Khier Hemici, Hadi Issahnane, M’hamed Kaki, Tarek Kawtari, Almamy Kanouté, Zak Kedzi, Yasmina Kherfi, Yazid Kherfi, Samia Kriens, Kolin Kobayashi, Naïma Laafou, Khadidja Lahlali, Abdelkader Lahmar, Annie Lahmer, Guillaume Leconte, Landry Lorougnon, Lounès Lounis, Kheridine Mabrouk, Madani Marzuk, Aziz Mazari, Boubakar Mazari, Moustapha Mazari, Mina McCamery, Zouina Meddour, Cherif Medouni, Farouk Meghenini, Zahir Meliani, Linda Mendy, Fatima Milizi, Sabrina Mokdadi, Bénédicte Monville, Josée Moudilou, Mohand Mounsi, Ahmed Nadjar, Nadia Noui, Karima Ouaghenim, Nora Ouahi, Esperanza Orquin, Hervé Paris de Bollardière, François Pradal, Hala Bounaidja Rachedi, Khaoula Rais, Ali Rahni, Farida Remilla, José Reynès, Omar Slaouti, Mohamed Trabelsi, Assa Traoré, Diangou Traoré, Sammy Wolff, Nabil Yajjoux, Jennifer Yezid, Sonia Zaoui, Salah Zaouiya
- Hagra = injustice + mépris ↩︎
Bonjour,
Je ne dis pas bravo à Roger Martelli et Clémentine Autain d’avoir accueilli une telle tribune dans Regards.
Marc LESAUVAGE
Montrouge
La voix pacifique pour le peuple palestinien a toute sa place ici. Une vie palestinienne vaut une vie israélienne, comme une vie ukrainienne vaut une vie russe. La haine, le racisme, la guerre comme seules solutions existentielles doivent être combattues par la l’intelligence et la raison. Vive la Paix.
Bonjour. Au moment où je lis cette tribune dans Regards, je reçois cet appel « Pour une gauche démocratique et internationaliste » ( https://leftrenewal.net ), une réflexion qui se veut constructive sur l’avenir des gauches à partir des réactions au drame de Gaza. Je vous copie ci-dessous un tout petit extrait de la traduction française, qui fait à mon sens directement écho à la tribune de Regards. Il faut lire cet appel dans son intégralité, j’espère que les auteurs de la tribune pourront le faire, je remercie Regards de permettre cette confrontation des points de vue.
Fétichisation du conflit Israël/Palestine
Le conflit Israël/Palestine est devenu un drame moral central pour une large part de la gauche contemporaine, de la même manière que le fut l’Afrique du Sud pour la génération précédente.
Certains reportages et commentaires journalistiques grand public utilisent un cadre intellectuel orientaliste pour décrire toute la région, faisant le portrait d’Arabes barbares et pré-modernes, à l’opposé d’Israël habituellement représenté comme une démocratie libérale moderne.
Par ailleurs, les organes de presse dominants, tout comme la presse engagée à gauche, accordent beaucoup plus d’attention au conflit Israël/Palestine qu’à la Syrie, au Kurdistan, au Soudan, à l’Éthiopie, à la RDC, au Sri-Lanka, au Myanmar ou à tout autre endroit du monde où des états militaristes (ou des acteurs non-étatiques) oppriment des minorités nationales et ethniques ou se livrent à des massacres.
Il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie morale ou politique des oppressions dans le monde ni de prioriser l’attention et l’action en fonction du degré de souffrance. Il s’agit plutôt de montrer que la solidarité avec les Palestiniens doit trouver sa source dans un engagement universel en faveur des droits fondamentaux, ce qui suppose également la solidarité avec toutes les autres luttes contre l’oppression.
En fétichisant le conflit Israël/Palestine et en idéalisant la lutte des Palestiniens dans une imagerie romantique, les partisans des gauches se font le miroir de la déshumanisation des Palestiniens régnant dans l’opinion générale. L’effet de cette fétichisation du conflit Israël/Palestine par les gauches est de faire des Palestiniens comme des Juifs israéliens les personnages abstraits d’un récit politique plutôt que des êtres humains de chair et de sang, susceptibles de réagir de diverses manières à leur condition et leurs expériences.
appel plein de bon sens.
Comment l’état d’Israël peut il croire éliminer le « problème Palestinien » (et le Hamas), en détruisant Gaza, tuant ou déportant ses habitants, accélérant la colonisation sauvage en Cisjordanie.