Renouveler le combat antifasciste

Projet d’attentat, incendie du domicile d’un élu, manifestation de néo-nazis… Pendant que l’extrême droite s’active librement, la Macronie préfère diaboliser la gauche. Ça commence à faire beaucoup. Ça finit par faire sens.

Le maire de Saint-Brévin-les-Pins est le symbole d’une démission. Je ne parle pas hélas de la sienne mais de celle de l’État. Je parle d’une démission politique. Sous la menace et l’intimidation, Yannick Morez vient de jeter l’éponge en fustigeant « le manque de soutien de l’État ». Après un incendie criminel qui a touché son domicile, la peur pour sa vie et celle de sa famille l’a emporté. Le déménagement d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile avait suscité la mobilisation de riverains chauffés à blanc par l’extrême droite. Et le gouvernement a laissé faire. Il regarde ailleurs, trop occupé à mettre en garde à vue les manifestants contre sa réforme des retraites.

 

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Ce choix des priorités, nous l’avons aussi vu à l’œuvre le 29 avril dernier, lors de la finale de Coupe de France de football. La Macronie s’affairait à confisquer des cartons rouges à l’entrée du Stade de France pendant que des hooligans néonazis tabassaient l’assistant parlementaire de ma collègue Aurélie Trouvé. Théo avait tenté de filmer leurs agressions racistes à la sortie du métro. Sans doute trop concentré sur la condamnation des casserolades, le ministre de l’Intérieur n’a pas pris le temps de dénoncer ces faits gravissimes et d’interroger les priorités en matière de « maintien de l’ordre ». Un silence signifiant.

Le 6 mai, des néo-nazis cagoulés et arborant des drapeaux noirs ornés de croix celtiques manifestent en nombre dans Paris, en présence de deux proches de Marine Le Pen. Rien d’interdit, pas de dispositif policier inédit, contrairement par exemple à la mobilisation spontanée après l’annonce du 49.3 sur les retraites. La manifestation de cette jeunesse hitlérienne s’est prolongée par une soirée dans les Yvelines, à l’espace municipal – et donc public – de Saint-Cyr-l’École. Le flyer de l’événement était intitulé « Honneur et fidélité », reprenant la devise nationale-socialiste de la SS. Des chants néonazis ont été entonnés dans la salle portant le nom de Simone Veil. Et pourtant, le gouvernement, si prompt à réagir au sujet des manifestations contre sa politique, a une fois de plus brillé par son silence assourdissant.

Last but not least, Politis vient de médiatiser l’affaire « WaffenKraft », projet d’attentats impulsé par un gendarme néonazi. Je vous recommande la lecture glaçante du récit de cette opération, prise au départ bien à la légère par l’État avant qu’elle ne débouche sur un procès aux assises en juin prochain. Le petit groupe terroriste s’entraîne cagoulé avec des tirs de kalachnikovs entre deux saluts nazis. Le meneur, Alexandre G., se revendique d’un « nationalisme encore plus violent que celui de Hitler ». Dans leur viseur : les musulmans et les juifs, mais aussi « les traîtres marxistes communistes ». Les cibles se précisent : Jean-Luc Mélenchon et le rappeur Médine, le Crif et la Licra. Et pourtant, elles ne seront pas prévenues. Même le leader de l’opposition de gauche n’a pas été averti de ce projet d’attentat contre lui. Invraisemblable. Inhumain. Et depuis l’article de Politis, on attend toujours les réactions au sommet de l’État. Une nouvelle fois, silence radio.

Ça commence à faire beaucoup.

Ça finit par faire sens.

Ces faits d’une suprême gravité indiquent le « deux poids/deux mesures » dans le traitement policier et la communication du gouvernement vis-à-vis des manifestants, troubles à l’ordre public et violences. L’extrême droite n’est pas dans le viseur de la Macronie qui est mutique sur son activisme dangereux et attentatoire à nos principes républicains les plus élémentaires. Si elle laisse tranquille ses franges radicalisées qui se sentent pousser des ailes, les opposants progressistes à sa politique sont au cœur de son dispositif répressif et de ses éléments de langage qui visent à délégitimer. Ce n’est pas banal dans un État qui se prétend de droit. Ce n’est pas anodin de la part d’un camp politique qui a gagné la présidentielle d’abord par rejet de l’extrême droite au pouvoir.

La Macronie a gagné la présidentielle d’abord par un vote de rejet à l’égard de Le Pen. Et pourtant, elle porte une responsabilité hallucinante dans la percée de l’extrême droite. Par sa politique néolibérale qui crée le terreau du ressentiment, carburant du RN mais aussi des milices néo-nazis. Par sa pente autoritaire et sécuritaire qui remet en cause l’État de droit.

La mécanique à l’œuvre est plus profonde et mérite d’être bien comprise. Car voilà des années et des années que la garde a baissé vis-à-vis de l’extrême droite. Tout un univers de mots et de pratiques à son égard a évolué pour en arriver à la banalisation des idées du clan Le Pen et au détournement du regard quant à l’activisme terroriste d’extrême droite qui avance. Et, point d’orgue de ce glissement, pour accompagner la démission du combat antifasciste, nous assistons aujourd’hui à une tentative de diabolisation du camp progressiste. Un renversement historique de normes est à l’œuvre et nous ne devons pas nous-même regarder ailleurs.

L’une des marques de fabrique historique du fascisme, c’est qu’il avance masqué. De ce point de vue, Marine Le Pen est une excellente élève. Sur le fond, elle a gommé les outrances verbales, elle assume l’opportunisme programmatique le plus crasse, elle triangule en chassant sur les terres de gauche. Sur la forme, elle a su changer le profil de son mouvement devenu RN et non plus FN, se fondre dans le paysage médiatico-institutionnel, donner des gages de « respectabilité ». Là où son père multipliait les expressions de colère, la fille a développé une sorte de « positive attitude », elle qui confie à Paris Match que ses chats lui donnent « énormément de douceur dans ce monde de brutes ». Jean-Marie Le Pen aimait cliver, Marine Le Pen ne cesse de rechercher un profil d’union. Pour élargir son assiette électorale, la leader du RN préfère qu’on l’appelle « Marine » et vise une forme de neutralité[[Voir Raphaël Llorca, Les nouveaux masques de l’extrême droite, Fondation Jean Jaurès, Éditions de l’Aube, 2022]]. Or, nombre de ceux qui prétendent combattre ses idées ont donné une onction à cette mutation. Ils ont abaissé la vigilance sur les agissements des courants radicalisés d’extrême droite et leurs liens avec le clan Le Pen. Et ils ont eux-mêmes dévalé la pente de conceptions si chères à la droite néo-fascisante. En renforçant les lois sécuritaires, l’autoritarisme de l’État et la chasse aux migrants, le gouvernement et ses alliés contribuent à banaliser l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, et leur préparent même consciencieusement le terrain.

Jamais il ne faut s’habituer, jamais il ne faut minimiser l’idéologie néo-fascisante. Comprendre la violence intrinsèque de son projet est essentiel. Vouloir la régénération de la nation, sa purification, et donc chasser une partie de la population en raison de son origine, de sa culture, de sa couleur de peau, c’est assurément déboucher sur un régime de violences, un système de terreur, un appareil d’État toujours plus répressif. S’appuyer sur un ordre de nature, c’est forcément déboucher sur l’ordre des sexes et des sexualités. Chercher à mettre fin aux oppositions politiques au nom de l’unité d’une communauté imaginaire, c’est évidemment en finir avec la démocratie. C’est pourquoi l’extrême droite porte en germe le fascisme[[Voir Ugo Palheta, La possibilité du fascisme. France, la trajectoire du désastre, La Découverte, 2018.]].

Les mots employés ont progressivement mis à distance la profondeur de la menace qui se joue à l’échelle internationale, du « déjà-là » néofasciste. Trump, Orban, Bolsonaro, Netanyahou, Meloni… cette vague anti-démocratique et extrêmement réactionnaire, pétrie de racisme, de sexisme et de climato-scepticisme, est un poison pour l’humanité. Le terme de « populisme » pour les qualifier a d’abord brouillé les pistes, en mettant dans le même sac les tenants d’idéologies radicalement opposées, en donnant une forme d’onction populaire. « L’illibéralisme » a lui aussi été détourné de sa conception première pour définir ces régimes qui fleurissent à travers le monde. Quand tout est fait pour flouter le réel, il faut ajuster les lunettes de la lucidité : la barbarie est à nos portes.

En France, la Macronie a gagné la présidentielle d’abord par un vote de rejet à l’égard de Le Pen. Et pourtant, elle porte une responsabilité hallucinante dans la percée de l’extrême droite. Par sa politique néolibérale qui crée le terreau du ressentiment, carburant du RN mais aussi des milices néo-nazis. Par sa pente autoritaire et sécuritaire qui remet en cause l’État de droit. Par son calcul électoral dangereux et malsain, visant à se retrouver au second tour contre le RN pour espérer l’emporter – ce qui donne concrètement une offensive contre la Nupes, devenue ennemie numéro 1 du pouvoir en place. Par sa faiblesse coupable dans les discours et dans les actes à l’égard des agissements les plus anti-démocratiques de l’extrême droite.

Nous ne gagnerons pas en constituant un front avec ceux qui marchent dans leur pas en sapant la promesse républicaine et l’État de droit, en bafouant la démocratie, en imposant des politiques nourrissant les inégalités. L’antidote est ailleurs. Il est dans le renouveau du combat antifasciste et la bataille acharnée pour unir les forces sociales et écologistes qui tracent le chemin de la liberté véritable.

 

Clémentine Autain

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