Israël-Palestine : comprendre et penser l’après 7-Octobre

Israël Hamas

Deux jours après l’attaque du Hamas en Israël, ayant causé la mort de plus de 700 personnes, les réactions sont nombreuses. Mais dans cette folie de commentaires plus ou moins contrôlés, que peut-on retenir d’intelligent ?

Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, sur LCI

« C’est une séquence nouvelle d’un conflit qui dure depuis pratiquement 75 ans. Ce conflit, on a pensé qu’il viendrait à s’essouffler, parce que les États dans le monde arabe ont considéré qu’investir comme ils le faisaient autrefois dans une guerre à Israël ne rapportait rien, n’aboutissait à aucun résultat et les plaçait dans une situation de précarité perpétuelle. On a cru que cet abandon, de facto, de la question palestinienne – qui n’apparaît plus dans les agendas des chancelleries, au-delà même du monde arabe – allait peu à peu aboutir à une neutralisation de la question. Or, on voit resurgir de l’intérieur de la société palestinienne, hors des logiques inter-étatiques, ce conflit. Il y a trois paramètres qui explique pourquoi ça explose aujourd’hui :

un paramètre palestinien. Il y a un mélange de frustration, de désespoir qui se mêle à l’apparition d’une nouvelle génération de jeunes Palestiniens qui n’ont pas connu les guerres de 67 et de 73, mais qui les situations d’humiliation et de grandes précarités propres à la population palestinienne. Cette jeunesse demande autre chose. Elle est déçue par toute forme d’autorité qui a pu se construire en Palestine. Il y a un besoin de relégitimation du Hamas, de se réaffirmer.

un paramètre israélien. Israël a été entièrement mobilisé, depuis de nombreux mois, autour de la question de la réforme constitutionnelle et de la justice, ce qui a complètement déplacé le curseur. Préoccupés par des mobilisations énormes, gigantesques, qui ont complètement bouleversées l’opinion israélienne, les services de renseignement ont été entravés – et l’armée a été quelque peu démobilisée. Évidemment, le Hamas a su en profiter.

un contexte régional et international. Entre le conflit ukrainien et le conflit du Haut-Karabagh, l’idée de créer un foyer de tensions internationales pouvait paraître une opportunité.

La morale de l’histoire, c’est qu’il ne faut pas jouer avec les illusions. Quand il y a une crise en relations internationales, cette crise est enracinée dans une société, profondément humaine dans sa nature : elle ne s’efface pas. On n’a pas soigné la souffrance palestinienne depuis des décennies, elle rebondit aujourd’hui et risque de connaître un nouveau choc selon la manière dont Israël va réagir. »

 « Au Moyen-Orient, il y aura un avant et un après 7 octobre », Anthony Samrani, rédacteur en chef à L’Orient-Le Jour

« Il y aura un avant et un après 7 octobre 2023, pour les Israéliens, pour les Palestiniens, et pour toute la région. Ce n’est pas que les rapports de force entre les différents acteurs ont fondamentalement évolué, mais plutôt que toutes les digues ont sauté et que tout le monde va devoir recalibrer sa position à partir de ce postulat.

Le Hamas a réalisé un coup de force sans précédent dans l’histoire de son mouvement. Son offensive risque d’être perçue comme un ‘exploit’ dans l’ensemble du monde arabe, où la supériorité israélienne est vécue comme un traumatisme collectif. Le mouvement islamiste va désormais se présenter comme le seul défenseur local de la cause palestinienne éliminant de facto un Fatah en fin de vie. Le 7 octobre enfonce ainsi le dernier clou dans le cercueil d’Oslo.

[…]

Benjamin Netanyahu, lui, l’insubmersible Premier ministre israélien, le ‘Monsieur sécurité’ rétif à la guerre qui a tout fait pour dépolitiser la question palestinienne, vient de vivre la plus grande débâcle de sa carrière politique. Il est déjà perçu en Israël comme le grand responsable de cette faillite qui va lui valoir des attaques de tous les côtés, en particulier des plus radicaux au sein de son propre gouvernement. Comment répondre à un tel affront ? […] Israël a vécu le 7 octobre comme son 11-Septembre et sa riposte a de grandes chances d’être la copie du modèle de son allié américain. Parce qu’il n’a rien à offrir sur le plan politique, le gouvernement Netanyahu va répondre par un déchaînement de violence et de haine à Gaza et ailleurs avec l’approbation de la communauté internationale. Non seulement cela ne réglera rien, mais cela devrait en plus fragiliser l’alliance avec les pays arabes et donner encore plus d’écho à la rhétorique belliciste de ‘l’axe de la Résistance’.

[…]

Et la cause palestinienne dans tout cela ? L’opération du Hamas va aboutir à la destruction de Gaza, à l’accélération de la colonisation israélienne et à la mort de milliers, si ce n’est plus, de Palestiniens. Prise en otage par l’Iran, la cause palestinienne va être ramenée des décennies en arrière tant les images des atrocités commises samedi par le Hamas sur des civils risquent de marquer les opinions publiques occidentales.

Et c’est bien là le plus grand drame – au-delà de la mort des civils d’un côté comme de l’autre – de cette séquence. Israël tue, colonise, emprisonne, enferme des Palestiniens quasiment en toute impunité depuis des décennies et ne leur laisse aucune autre alternative que la violence pour espérer vivre un jour avec dignité sur cette terre trois fois sainte. Le Hamas offre aujourd’hui à la fois la seule et la pire réponse à cette humiliation. Parce qu’il porte un projet de société rétrograde, parce qu’il tient la bande de Gaza par la propagande et par la terreur, parce qu’il fait passer les intérêts du mouvement avant ceux des Palestiniens, parce qu’il paraît de plus en plus dépendant des desiderata de Téhéran, le Hamas est un cancer pour la cause palestinienne. Mais rien ne nourrit plus ce cancer que l’arrogance et le mépris d’Israël. »

Haggai Matar, journaliste israélien, cité par Orient XXI : 

« Contrairement à ce qu’affirment de nombreux Israéliens […], il ne s’agit pas d’une attaque ‘unilatérale’ ou ‘non provoquée’. L’effroi que ressentent les Israéliens en ce moment, y compris moi, n’est qu’une infime partie de ce que les Palestiniens ressentent quotidiennement sous le régime militaire qui sévit depuis des décennies en Cisjordanie, ainsi que sous le siège et les assauts répétés contre Gaza. Les réponses que nous entendons de la part de nombreux Israéliens – qui appellent à ‘raser Gaza’, qui disent que ‘ce sont des sauvages, pas des gens avec qui on peut négocier’, ‘ils assassinent des familles entières’ ; ‘il n’y a pas de place pour parler avec ces gens’ – sont exactement celles que j’ai entendues d’innombrables fois dans la bouche des Palestiniens à propos des Israéliens ».

https://twitter.com/MarylinMaeso/status/1711269603379122280

« Attaque du Hamas en Israël : l’échec tactique de Benyamin Nétanyahou », Dov Alfon, directeur de la rédaction de Libération

« Benyamin Nétanyahou porte une lourde part de responsabilité dans cet échec stupéfiant de son pays à protéger ses citoyens : son alliance tactique avec le Hamas, visant à affaiblir tout légitime représentant de la cause palestinienne, l’a poussé à vider la frontière du sud de ses effectifs militaires pour les concentrer en Cisjordanie, conformément aux demandes messianiques de ses alliés d’extrême droite. Il en paiera probablement le prix politique ; mais c’est bien peu de chose comparé à la souffrance infligée à son peuple. »

Charles Enderlin, interviewé par Mediapart

« C’est un échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien, un échec de la conception israélienne de l’affaire palestinienne. En 2005, Ariel Sharon a retiré les colonies de Gaza avec l’idée de laisser Gaza au Hamas et d’annexer au fur et à mesure une partie de la Cisjordanie. Les gouvernements suivants et depuis 12 ans, ceux de Benyamin Nétanyahou, de Naftali Bennett et de Yaïr Lapid, ont autorisé le financement du Hamas, n’ont jamais procédé à une grande opération à Gaza ou tué leurs dirigeants. Puisque le Hamas refusant tout type d’accord avec Israël, cela permettait de bloquer le processus de paix, tout en gardant Mahmoud Abbas [le président de l’État palestinien – ndlr] à Ramallah, en Cisjordanie. Mahmoud Abbas qu’avant-hier encore les Israéliens appelaient le maire de Ramallah. La vision israélienne de gestion du statu quo vient complètement de s’effondrer. Où ça va ? On verra. Là-dessus se greffe le problème de la démocratie. […] Tout dépend d’où, comment va se terminer cette guerre. Que va-t-il se passer politiquement, socialement en Israël, est-ce que le gouvernement va tomber ? Où va mener la colère des citoyens ? Faire des projections me paraît difficile. Le Hamas vient de démontrer qu’il ne veut pas se contenter de gérer Gaza, mais se pose en défenseur des Palestiniens. Je rappelle que c’est une organisation islamique qui est opposée à l’existence d’Israël en terre d’Islam, alors que les messianiques israéliens et les nationalistes ne veulent pas d’un État palestinien en terre d’Israël. »

« Attaque du Hamas contre Israël : l’effroi et l’impasse », éditorial du Monde du 9 octobre

« Les éléments d’une déflagration étaient donc en place, le Hamas s’en est emparé. Cette déflagration a été précédée par des signes avant-coureurs caractéristiques d’un conflit asymétrique : la hausse des opérations meurtrières de l’armée israélienne en Cisjordanie ; la tentation renouvelée de la lutte armée dans une nouvelle génération de Palestiniens ; les crimes de guerre répondant aux crimes de guerre ; les provocations répétées des suprémacistes juifs de la coalition au pouvoir, dont le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est révélé le jouet. Aucun des anciens parrains d’un « processus de paix » qui s’était achevé dans une impasse n’a voulu regarder en face cet engrenage. Les diplomaties occidentales, hémiplégiques, ont invariablement reconnu à un camp plutôt qu’à un autre le droit à se défendre, comme à vivre librement. […] Du fait du désengagement des États-Unis et des Européens, la normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes – à l’exception de ceux restés dans l’orbite iranienne (Liban et Syrie) – aurait pu permettre de rouvrir une perspective politique et d’apporter une réponse à la question palestinienne, probablement imparfaite mais préférable au gouffre actuel. Cette question a été considérée, à tort, comme totalement accessoire par ceux qui ont déjà franchi le pas (Maroc, Emirats arabes unis, Bahreïn). La paix doit pourtant être la paix pour tous. Un sursaut international est impératif pour pouvoir encore espérer. »

 « Pendant des années, Netanyahu a soutenu le Hamas. Aujourd’hui, on en paie le prix », Tal Schneider, correspondante à The Times of Israel

« Pendant des années, les différents gouvernements dirigés par Benjamin Netanyahu ont adopté une approche qui divisait le pouvoir entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, en mettant à genoux le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, tout en prenant des mesures qui renforçaient le groupe terroriste palestinien du Hamas.

L’idée était d’empêcher Abbas – ou tout autre membre du gouvernement de l’AP en Cisjordanie – de progresser vers la création d’un État palestinien.

[…]

Le Hamas s’est renforcé et a utilisé les auspices de la paix tant attendue par les Israéliens comme couverture pour son entraînement, et des centaines d’Israéliens ont payé de leur vie cette omission massive.

Le terrorisme infligé à la population civile en Israël est tellement énorme que les blessures ne guériront pas avant des années, un défi aggravé par les dizaines de personnes enlevées à Gaza.

À en juger par la façon dont Netanyahu a géré Gaza au cours des 13 dernières années, il n’est pas certain qu’il y aura une politique claire à l’avenir. »

La « politique claire » du Premier ministre israélien :

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2 commentaires

  1. Justice4ALL le 10 octobre 2023 à 12:19

    Les « états-unis » ont laissé organiser et, faire des « manifestations pro-israéliennes » et, « pro -palestiniennes » qui se sont plutôt bien déroulées malgré quelques tensions !En France qui est aussi le pays des « droits de l’homme » et, de la « liberté d’expression » ,on a autorisé la « manifestation pro-israélienne » et, on a interdit la « manifestation pro-palestinienne » !Pourquoi ? On peut très bien laisser faire et, faire en sorte qu’ils se retrouvent pas pour éviter des « débordements » qui à chaque fois remuent l’opinion publique!ça en dit long sur la façon de « penser » du gouvernement et, les « otages ressortissants français » alors?!On va les laisser aussi ?!J’ai honte pour eux .Tout ses faux compatissants faussement « humanistes » .

  2. Berthelot Jacques le 19 octobre 2023 à 18:52

    un petit rappel sur le sujet n’hésitez pas à lire ce livre important :
    de Ghada Karmi  » Israël Palestine , la solution : un Etat » (la fabrique éditions 2022)

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