Darmanin et Attal peuvent-ils se passer de l’État de droit comme bon leur semble ?
L’ambition des ministres de l’Intérieur et de l’Éducation leur fait enjamber l’État de droit, le respect de la moindre procédure légale. Et cette question : combien de temps la justice peut-elle rattraper leurs agissements ?
Le 29 avril dernier, Cécile Duflot tweetait ceci : « Dites, au bout de combien d’arrêtés sciemment illégaux (et suspendus conséquemment par la justice) y-a-t-il une sanction pour ses auteurs ? (dont la mission est de faire respecter la loi…) » On venait, alors, tout juste d’apprendre la suspension par la justice de l’interdiction du rassemblement syndical aux abords du Stade de France, pour la finale de la coupe de France de football. Une décision politique, un préfet zélé, et le tout finit par être retoqué par la justice… a posteriori. On ne compte plus les fois où ce genre de situation s’est produite1. Que de temps et d’énergie perdu pour le système judiciaire !
Et cette semaine, ça continue. Dès le début du conflit entre le Hamas et Israël, Gérald Darmanin a fait interdire toute manifestation pro-palestinienne, le ministre de l’Intérieur affirmant « qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public » et leur prêtant des sous-intentions antisémites. Pourtant, ce mercredi 18 octobre, le Conseil d’État a rejeté ce principe d’interdiction systématique des manifestations pro-palestiniennes, indiquant qu’il « regrette la rédaction approximative » des consignes du ministre aux préfets, et rappelle enfin « qu’il appartient aux seuls préfets », « au cas par cas et sous le contrôle du juge administratif », « d’apprécier s’il y a lieu d’interdire une manifestation ». En clair : monsieur le ministre, respectez la loi s’il vous plaît.
Concurrence en vue de la présidentielle de 2027 oblige, le ministre de l’Éducation joue la même partition. À l’Assemblée nationale, Gabriel Attal informe les parlementaires que 179 élèves ont « fait le choix d’insulter la mémoire de nos professeurs », ne respectant pas la minute de silence en hommage à Dominique Bernard. Conclusion du ministre : « 179 saisines du procureur de la République partent ce jour pour engager des poursuites contre ces élèves, 179 procédures disciplinaires qui partent également. Et pour les cas les plus graves, plusieurs dizaines d’entre eux, qui relèvent de l’apologie du terrorisme, j’ordonne ce jour l’exclusion de ces élèves dans l’attente des procédures disciplinaires ». Or, un ministre ne peut pas dire, ni faire ça. Une exclusion ne peut être décidée que par les conseils de discipline de chaque établissement, dans le cadre donc d’une procédure disciplinaire, engagée par le proviseur. Ce que propose Gabriel Attal est donc en dehors de tout cadre légal. À la guerre comme à la guerre ?
La démocratie attendra
Le problème, quand la politique fait pression sur la justice, voire l’enjambe, c’est que tout l’édifice démocratique chancelle. Et peu importe, d’ailleurs, ce qu’il se passe après. Peu importe que la justice finisse par dédire l’action politique, le mal est déjà fait. Et pas un éditorialiste télé2 n’y trouve à redire. Trop vite, trop loin, trop tard. C’est que la politique et la justice n’ont pas la même temporalité. La première est performative, la parole des dirigeants fait figure d’action. Si le président de la République dit quelque chose, alors ça se fait – sauf à mentir éhontément, mais c’est un autre sujet. La seconde est une construction profonde, historique, faite de lois, de règles, de procédures, mis en œuvre par de nombreux acteurs. La justice étant garante de la paix civile, elle ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi. Or, c’est le politique qui est garant de cette justice…
Le procédé est le même que celui qui pousse Élisabeth Borne à utiliser désormais le 49.3 avant même les débats parlementaires, parce que « de toute façon, ils vont bloquer » ; le même que celui de certaines fake news attribuant à des personnes des propos qu’elles n’ont jamais tenus, parce que « c’est tellement probable qu’elles le disent ». Une sorte de principe de précaution malhonnête. Sauf que ça touche à la loi, à la démocratie.
Empêchée par l’État de droit, la Macronie songe donc à changer les lois. Ainsi Olivier Véran a annoncé ce mercredi 18 octobre que la future loi Immigration contiendra une disposition permettant d’expulser un étranger sans qu’il ait commis d’infraction pénale, « mais démontrant des comportements non conformes à nos valeurs ». Or, l’État de droit, ça n’est pas réductible à la loi. Tel qu’il est définit sur vie-publique.fr, il s’agit d’« un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit ». Et là encore, nul doute que le Conseil constitutionnel sera saisi au sujet de cette loi Immigration et jouera son rôle de contre-pouvoir.
Des remparts à la dérive électoraliste, il y a en heureusement encore, parmi lesquels les associations. Ce sont bien souvent elles qui saisissent en catastrophe la justice face aux abus politiciens. Faut-il alors s’étonner de voir l’exécutif tenter de les intimider, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur envers la Ligue des droits de l’homme en mars dernier ?
Le seul argument de ces décisions illégales et de ces velléités de les légaliser, c’est la sécurité. « La première des libertés », comme ils aiment l’affirmer. Et c’est la plupart du temps avec le truchement de l’arsenal juridique antiterroriste que l’État surveille, met sur écoute, fiche, arrête et emprisonne, en un mot « protège »… non pas contre des terroristes, mais contre des manifestants, des journalistes, des citoyens. « Pensons un instant à ce qu’un gouvernement RN ferait avec tous ces outils de surveillance à sa disposition », tweetait l’essayiste Mathieu Salma. À méditer.
Merci merci , mille fois merci pour votre article qui pointe parfaitement du doigt les dérivés autoritaires, dictatoriales de ce gouvernement , de son président et de sa 1ere ministre
Continuer c’est vital pour la liberté.