Assemblée nationale : on s’engueule plus sur les retraites que sur l’Ukraine

Nos politiques ont débattu dans l’hémicycle, ce lundi 3 mars, au sujet du bellicisme russe et du basculement diplomatique américain. Des discours qui cherchent à se démarquer, malgré des convergences de vue.
Le débat à l’Assemblée nationale prend un écho renforcé à l’aune des décisions trumpiennes de la nuit : suspension avec effet immédiat de l’aide militaire américaine à l’Ukraine ; hausse des droits de douane à 25% avec le Mexique et le Canada et 20% avec la Chine ; licenciement sur le champs de la plupart des salariés de USAid qui dispensaient près de la moitié de l’aide humanitaire mondiale.
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Introduit par un discours du premier ministre, formellement très réussi et aux convictions franches, les échanges entre les groupes parlementaires ont confirmé des positions contrastées. François Bayrou a, bien plus nettement que les dirigeants européens, affirmé le changement d’époque. Contrairement aux Anglais ou Polonais, pas une fois il n’a voulu se référer à l’amitié historique et aux liens entre la France et les États-Unis. Ceux-ci n’ont bien sûr pas disparu mais pour l’exécutif français, ils ne peuvent plus être la boussole : il faut acter la rupture. La suite de son plaidoyer portait sur la force des Européens. Il a voulu convaincre, au-delà de l’enceinte des députés, de la possibilité pour l’Europe de se constituer en puissance autonome :« Nous sommes forts et nous ne le savons pas. Et nous nous comportons comme si nous étions faibles ».
La suite des interventions a montré que ce discours puissant ne suffisait pas à lever désaccords et objections. L’union nationale n’est pas au programme. Le clivage est plus fort sur les retraites et le droit du travail que sur l’Ukraine. Les différences de sensibilités se sont clairement énoncées hier dans l’hémicycle. Mais les positions ne sont pas apparues aussi clivées que bien des fois. Le ton des différents orateurs était grave et l’attention soutenue. Le poids de l’histoire nationale s’est fait sentir. Et l’ombre du général de Gaulle a plané dans bien des discours.
L’union nationale n’est pas au programme. Le clivage est plus fort sur les retraites et le droit du travail que sur l’Ukraine. Le poids de l’histoire nationale s’est fait sentir. Et l’ombre du général de Gaulle a plané dans bien des discours.
Laissons de côté Éric Ciotti et ses obsessions minables sur l’immigration. De façon attendue, la droite et l’extrême droite ont fait porter leurs critiques sur la question du parapluie nucléaire, affirmant qu’il ne saurait être partagé. En fait, personne ne le dit ni ne le propose. Après les tentations trumpistes de Jordan Bardella, Marine Le Pen a éludé toute analyse sur les États-Unis et n’a pas eu un mot sur la responsabilité de la Russie. Mais elle a dû commencer son discours par un soutien aux Ukrainiens.
Les interventions de Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, et de Boris Vallaud, président du groupe socialiste, étaient emprunts du soutien à l’Ukraine. Tous les deux ont dit leur conviction que la Russie ne doit pas gagner et ont réaffirmé leur foi dans l’espace européen. Le porte-parole des insoumis, Aurélien Saintoul, a livré un discours solide, ne pouvant se priver d’une arrogance mal placée « qu’il est douloureux d’avoir eu raison 20 ans durant » – avant même les insoumis, que c’est drôle ! Mais il démontrait la vanité d’une défense européenne quand les armes sont américaines et l’appareil productif dévasté. Le porte-parole du groupe communiste et ultramarin, Jean-Paul Lecoq, a fait le lien entre les enjeux sociaux et les efforts demandés : si les premiers ne sont pas assurés alors les seconds seront mal compris. En clair, 5 milliards pour les retraites ne peuvent être un mur infranchissable quand 40 milliards de plus pour l’armement serait une exigence. Aurélien Saintoul relevait lui aussi le paradoxe à propos des moyens mobilisés pour le climat. L’orateur communiste, à la différence de tous et singulièrement du premier ministre, insista sur les transformations du monde au-delà de la déflagration Trump : « Penser la paix ne pourra se faire qu’entre européens. De nombreux pays ont à cœur que l’Ukraine retrouve la paix ». Et de citer l’initiative conjointe Brésil-Chine pour des négociations de paix.
Relevons que la fin de l’atlantisme, actée par les uns et les autres, permet de nouveaux espaces de convergence en particulier au sein de la gauche. Les différends sur la construction européennes entre socialistes et écologistes d’une part, communistes et insoumis d’autre part, demeurent. Mais ils ne sont plus lestés de cette ombre portée américaine qui enserrait la pensée et le projet dans une histoire et un système économique, le capitalisme sous toutes ses formes.
L’heure est très grave, « la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale » a dit François Bayrou. Le pouvoir doit en prendre la mesure, pas seulement militaire. La gauche doit s’en convaincre et travailler à sa convergence, nécessaire et davantage possible.