Vieux fantasme national : le RN veut rouvrir les maisons closes
Derrière la proposition de l’extrême droite, il n’est pas question de sécurité et encore moins de féminisme. Seulement de la frustration de l’homme français et de sa place dans la hiérarchie du sexe.
Le Rassemblement national a remis sur la table une idée bien rance : rouvrir les maisons closes. Le tout sous un autre nom (coopératives, espaces dédiés, « lieux d’accueil »), comme si changer l’étiquette suffisait à effacer la domination et le contrôle. À écouter les porte-voix du RN, il s’agirait d’une mesure moderne, pragmatique, presque féministe. Disons-le, le RN ne s’intéresse pas à la protection des prostituées, mais à la protection du plaisir masculin qu’il imagine menacé. Tout le reste n’est qu’enrobage.
Sur le travail du sexe, la gauche et les féministes ne parlent pas d’une seule voix. Faut-il abolir la prostitution, considérée comme un système structurel de violences et d’inégalités ? Ou bien reconnaître, sécuriser et encadrer l’activité de celles et ceux qui la revendiquent comme un travail, avec des droits, des protections, un statut ? Ce débat est complexe. Il dit quelque chose de nos contradictions, de nos angles morts, des manières différentes de penser l’émancipation. Il est mené, en général, à partir d’un principe commun : faire primer la sécurité, la dignité et l’autonomie des personnes prostituées.
Rien de tout cela dans la proposition du RN. Le parti d’extrême droite ne part ni de l’analyse féministe, ni de la réalité matérielle des travailleuses du sexe, ni de la lutte contre les violences. Il part d’un constat tout différent : la frustration de l’homme français, celui qui, dans l’imaginaire nationaliste, devrait pouvoir exercer sans entrave son droit ancestral à consommer du corps, souvent féminin. Que le RN se préoccupe soudain du sort de femmes précaires, migrantes, souvent racisées, devrait nous rendre méfiant : ce parti n’a jamais défendu leurs droits, ni dans l’hémicycle, ni dans la rue, ni dans les urnes.
Dans la vision du RN, la « maison close » est un décor pour réactiver la mythologie d’une France où l’ordre viril se maintient jusque dans la sexualité.
S’il agite aujourd’hui le spectre nostalgique de la maison close, c’est qu’elle coche toutes ses cases idéologiques : une sexualité hiérarchisée, une division nette entre celles qui servent et ceux qui consomment, un ordre moral bien gardé, une France d’avant, fantasmée, dominante et propre sur elle. Ce n’est pas un hasard si l’extrême droite se plaît à défendre des espaces où l’impunité sexuelle masculine peut s’exercer à l’abri du regard public. La prostitution, débarrassée de son chaos contemporain, re-emballée dans les rubans d’un « cadre », permet de rejouer cette mise en scène d’autorité patriarcale qui rassure son électorat.
Ici, la prostituée n’est jamais une travailleuse avec des droits : elle est une fonction sociale. Et la fonction prime sur la personne. Les travailleuses et travailleurs du sexe réclament des protections concrètes : des droits sociaux, une fin des violences policières, l’accès aux soins, la possibilité d’exister sans clandestinité ni menace d’expulsion. Rien de cela ne figure dans la vision du RN. Dans ce projet, la « maison close » n’est pas un outil de protection. C’est un décor. Un décor pour réactiver la mythologie d’une France où l’ordre viril se maintient jusque dans la sexualité. Un décor où les premières concernées n’ont pas voix au chapitre.
L’extrême droite n’a pas de position sur le travail du sexe : elle a une position sur la sexualité des autres. Ce n’est pas la sécurité des prostituées qu’elle veut garantir, mais le confort des clients, ceux qu’elle imagine comme son peuple naturel. Dans ce débat, le RN n’est pas un interlocuteur. C’est un intrus, qui entend installer sa vieille obsession : remettre de l’ordre dans les corps et les sexualités.