Rhinocérite

En revenant sur une multitude de faits accumulés ces derniers mois, une logique se dégage : celle de l’abandon des principes fondamentaux de notre République, des droits humains, du droit international. Sans fracas, l’affreuse contagion gagne.
Cette semaine, un président de la République, la nôtre, a cru possible de valider le principe d’une guerre préventive, en l’espèce celle d’Israël contre l’Iran… On institue ainsi qu’un pays a « le droit » de se défendre en attaquant un autre pays. Sur les plateaux et dans les journaux, la détestation générale du régime iranien vaut argument. Au diable le respect du droit international qui peut nous prémunir de la généralisation de la guerre.
Ce mercredi et ce jeudi, le ministre de l’Intérieur, encore un Trump aux petits pieds, a déployé plus de 4000 policiers dans les gares et dans les bus pour débusquer des sans-papiers. Sur les plateaux télé, les critiques se limitent à dénoncer une opération de com’ sans rien dire du scandale de cette chasse à l’homme.
Depuis quelques temps, un ministre qui se dit de la Justice prépare l’incarcération à l’isolement total et pour 5 ans des 200 plus grands narcotrafiquants. La pratique par notre pays de ce qu’il est convenu d’appeler la torture blanche n’est pas débattue. Qui pour défendre les droits humains, refuser la torture et s’opposer à ce qui s’apparente à un retour de la peine de mort ? On pérore sur l’habileté politique du ministre qui montre qu’il en a. Qui se soucie de l’inéluctable engrenage ? Une nouvelle échelle de la répression se construit sous nos yeux. On acceptera demain que les voleurs de poules soient bien maltraités dans les commissariats.
Quelques semaines plus tôt, un petit prétendant au poste de président de ce qu’on appelle la République, faisait voter une loi supprimant l’excuse de minorité face à la justice et adopter la comparution immédiate pour les enfants récidivistes. C’est donc du Conseil constitutionnel qu’est venu ce rappel des « exigences du principe fondamental reconnu par les lois de la République, en ce qu’il exige la mise en place de procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs ».
Au Sénat, vient d’être rejetée une proposition pour défendre le principe d’égalité : faire contribuer les milliardaires à la dépense publique. La mesure « Zucman » a été décriée au nom de l’importance supérieure à toute autre exigence : conserver nos riches et pour cela, leur céder en tout.
Toutes ces dérives – et il y en a d’autres, loin de tous les principes fondamentaux de la démocratie, de la République, du droit international et des droits humains – sont conduites par les plus hautes autorités de l’État, par la majorité des députés et des sénateurs. On se rassure en pensant que cela n’a pas toujours de conséquences immédiates. Mais non : leur effet – et sans doute leur objet – le plus tangible est de nous habituer à débattre de l’efficacité de ces ignominies et non plus de leur caractère ignominieux. Désormais, on commente l’habileté de l’un ou de l’autre dans la course aux petits chevaux qui doit conduire à 2027 !
Hélas, quand on entend des voix « d’éditorialistes de gauche », elles sont si souvent elles-mêmes imprégnée des postulats de base. La justice devient vengeance ; la loi et la police doivent être dures contre les immigrés ; il faut se plier au chantage des plus riches et se défier des pauvres toujours tentés par la fraude.
La valorisation absolue du pragmatisme et de l’efficacité à la base du « en même temps » est en train de produire un désastre. En décrédibilisant tout débat idéologique devenu même un gros mot, ils nous désarment face à l’idéologie bien campée du fascisme qui monte. Quand la mode est au vert de gris et à la force, qui pour tenir tête ? Qui a encore les idées claires ?
Comme le héros de la pièce de Ionesco Rhinocéros, nous voyons l’attraction pour le troupeau inhumain se diffuser, se propager, en commençant par les amoureux de l’ordre. Même la femme du personnage principal, sa chère Daisy, succombe au charme de la masse homogène et à la puissance du troupeau. On apprend aux lycéens que Rhinocéros est une pièce emblématique du théâtre de l’absurde. Vraiment ? Si seulement.