Légitimité de la rue, du parlement, du gouvernement : mais qui décide ?

Avec la mobilisation contre la réforme des retraites, et comme à chaque mouvement social, vient le débat de la légitimité.

Avec la mobilisation annoncée ce jeudi 19 janvier contre la réforme des retraites du gouvernement Borne, voilà la France replongée dans une période d’agitation sociale, faites de mouvements de grèves et de manifestations de rues.

 

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Au gouvernement – et dans quelques rédactions –, on affirme la légitimité d’un Président élu, même si les mots d’Emmanuel Macron au soir de sa réélection semblent bien vite oubliés : « Nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à l’extrême droite. Et je veux ici leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir ». Propos légers qui n’engagent que ceux qui y croient ? Ou plus sûrement affirmation d’un homme persuadé en cet instant que les Français lui donneront une confortable majorité à l’Assemblée nationale comme en 2017. La suite le prouva que non.

Faiblesse de la légitimité de la Première ministre

L’article 20 de la constitution stipule : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Oui mais voilà, si le président de la République est bien un élu du suffrage universel, tel n’est pas le cas de la Première ministre et de son gouvernement qui, eux, sont nommés.

Or, force est de constater que le gouvernement Borne souffre d’un péché originel, celui de ne pas avoir reçu la confiance de l’Assemblée nationale. Ne disposant pas de majorité au Parlement, la Première ministre n’a pas été en capacité de solliciter cette confiance, c’est au demeurant une interprétation assez contestable de l’article 49-1 de la Constitution qui indique que « le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». On peut donc « engager » la responsabilité du gouvernement, sans vote, voilà une constitution bien souple, à la limite du contorsionnisme.

Voilà donc un gouvernement qui, à aucun moment, n’a été adoubé, même indirectement par le suffrage des électeurs. Que la motion de censure déposée par la Nupes n’ait obtenu que 146 voix le 12 juillet ne change rien à l’affaire. Qu’il n’y ait pas de majorité contre Élisabeth Borne n’invalide pas le fait qu’elle n’a pas de majorité en sa faveur non plus. Un esprit taquin pourrait même rappeler les résultats du premier tour des élections législatives qui a placé en tête la Nupes avec 26,16% des voix devant Ensemble à 25,80%. Dans un pays fonctionnant à la proportionnelle, le Président aurait donc dû nommer, au moins dans un premier temps, un Premier ministre issu de la Nupes.

C’est un point de fragilité qui sape la légitimité du gouvernement Borne, dès lors qu’une opposition forte s’élève contre l’une de ses propositions législatives. C’est à l’évidence ce qui se passe avec la réforme des retraites telle qu’elle est proposée.

Souveraineté inaliénable ou souveraineté déléguée

Pour souligner le droit inaliénable à la résistance, il est parfois fait appel à la constitution de 1793 et son fameux article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Les partisans de l’ordre arguent en général que cette constitution ne fait pas partie de notre corpus institutionnel, contrairement à la déclaration de 1789, ce qui est vrai mais assez faible sur le fond. En revanche que ceux-là même qui l’avaient faite adopter l’ait immédiatement mise sous le boisseau au profit d’un régime d’exception est plus ennuyeux : « Le gouvernement provisoire de la France sera révolutionnaire jusqu’à la paix »[[Décision de la Convention du 10 Octobre 1793.]].

À bien des égards la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen porte en elle les éléments de résistance dans son article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Résistance à l’oppression, en particulier à l’oppression exercée par un pouvoir exécutif toujours pressé de s’émanciper de la vox populi, les mots sont lâchés. Les rédacteurs de 1789 s’inspirent ainsi du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : « À l’instant que le gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d’obéir ».

Car, et c’est le nœud du problème, la souveraineté ne s’aliène pas, elle ne se délègue pas[[ Sur cette question de la souveraineté, voir L’Esprit de la Révolution française d’Olivier Bétourné, aux éditions du Seuil.]]. Un député n’est pas dépositaire de la volonté populaire de ces électeurs pour cinq ans, a fortiori de ceux qui n’ont pas voté pour lui. Dès lors subsiste une contradiction insoluble, l’expression de la souveraineté populaire n’est possible ni par l’exercice direct du peuple assemblé (48,7 millions d’électeurs, c’est une très grosse agora) ni par la délégation de sa propre souveraineté par essence impossible. Pour citer à nouveau le Jean-Jacques Rousseau du Contrat social, les députés qui ne sont pas les représentants du peuple mais ses « commissaires », « ne peuvent rien conclure définitivement ».

La citoyenneté n’est pas un bref hoquet exerçable tous les cinq ans, pour Ernest Renan, « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». C’est donc le rapport de force, social et politique, tel qu’il va se construire dans les jours et les semaines à venir qui permettra de trancher l’avenir de cette réforme.

 

Guillaume Liégard

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