L’État de droit est un combat de gauche

POST-MACRON. L’avocat Hugo Partouche replace le Droit au centre du débat politique. Pour mieux défendre les libertés et la démocratie.

VIème République, renforcement du référendum d’initiative partagée (RIP), référendum d’initiative citoyenne (RIC), assemblées populaires, soutien des associations dans leur diversité, appel à la manifestation… la gauche semble vouloir proposer aux électeurs une démocratie vivante par opposition à la conception formaliste, légaliste même peut-être, de la majorité.

Ces dernières années, cet élan se heurte à des écueils que l’on connaît : ordre, stabilité et respect des institutions, voilà ce qu’on oppose à la gauche. Une ambition politique pourrait consister à ne pas abandonner complètement ces concepts aux droites en s’appropriant mieux la notion d’État de droit.

 

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Un minimum de libéralisme politique

Le droit est souvent conservateur : il convoque dans le présent des consensus ou des moments politiques du passé pour préserver des droits et des libertés découverts, inventés ou acquis à des époques où tout devait changer. Les droits articulés avec la condition des minorités sont parmi les plus importants et les plus fragiles de ceux-ci, mais aussi ceux qui résistent le mieux. Ainsi, petit à petit, on avance sur les discriminations et on avance sur les violences sexuelles et sexistes.

En réalité, il semble souvent que les droits, ceux qu’on veut rendre opposables, ceux qui ouvrent des horizons, ceux qui libèrent, sont l’apanage des combats de gauche là où les libertés seraient le terrain des droites. Parmi les urgences politiques, il y a celle pour les droites d’occuper le terrain des droits. Elle le fait. Et pour les gauches, de se préoccuper plus des libertés.

Car dans le même temps, on recule sur la liberté d’association, on recule sur la liberté de manifester – c’est-à-dire d’exprimer une opinion politique minoritaire – et on semble reculer sur la liberté de conscience. En somme, il semble falloir défendre plus vaillamment les libertés dont les droits que défend la gauche découlent et, ainsi, peut-être, affirmer un minimum de libéralisme politique.

Et si on commençait par la liberté individuelle ?

L’État de droit est l’idée que l’on évite l’arbitraire et l’injustice en s’appuyant sur un cadre juridique précis auquel nous sommes tous tenus, y compris les pouvoirs publics. Il s’agit d’abord d’un cadre procédural. Il y a donc un enjeu pour les gauches à ne pas vivre ce cadre comme une contrainte, ne pas seulement le présenter comme un rempart, ne plus le défendre au motif seulement qu’il constituerait un consensus apartisan, ne plus faire semblant, au final, que l’État de droit n’est pas un combat politique. En tout cas, le moment est venu où les gauches doivent proposer l’État de droit comme une opportunité joyeuse et optimiste.

Au premier chef, la liberté individuelle est une perspective joyeuse. Classiquement en droit, la liberté individuelle est un concept bien plus restreint qu’il n’y paraît : c’est la liberté d’aller et venir, celle de ne pas subir d’arrestations arbitraires. C’est de celle-ci dont nous parlons.

On peut débattre du moment exact où il est devenu possible pour toutes les tendances politiques de l’attaquer, de la considérer comme accessoire, mais l’état d’urgence qui a fait suite aux attentats de 2015 est sans doute l’instant le plus clair de ce basculement. Entre temps, de grands mouvements contestataires et sociaux (gilets jaunes et mouvement actuel autour de la réforme des retraites) ont révélé à tou.te.s ce sur quoi nous avions alerté depuis : la liberté individuelle est en péril.

Et maintenant, on fait quoi ?

Il faut donc faire l’inventaire de toutes les manières dont la liberté individuelle est abordée aujourd’hui avec défiance et la protéger d’autant plus que la peur d’attentats est réelle pour une partie de la population, peur justifiée ou non.

En premier lieu, cet inventaire doit être partagé et démocratique. Il semble donc nécessaire d’organiser de grands débats publics, pourquoi pas sous la forme de conventions ou d’assemblées citoyennes sur l’existence et l’organisation du plan Vigipirate.

En deuxième lieu, un même débat public doit exister sur les doctrines de maintien de l’ordre : doivent-elles être publiées ? Doivent-elles être prévues par la loi pour pouvoir être débattues par la représentation nationale ? Que doivent-elles contenir ?

En troisième lieu, les dérives que l’on a vu possibles de la garde à vue doivent conduire à des améliorations de son régime :

  • la durée de l’entretien entre un gardé à vue et son avocat doit être allongée lorsque la personne est assistée d’un interprète pour pallier les difficultés de traduction systématiques ;
  • il doit être impossible de prendre des empreintes digitales et des photos des mis en cause sous la contrainte, et ces actes ne doivent pas pouvoir être réalisés avant que le gardé à vue ait pu en discuter avec son avocat ;
  • la garde à vue doit être contrôlée par un juge (« du siège ») et non par un procureur ;
  • l’avocat doit avoir accès au dossier de l’enquête dès le stade de la garde à vue ou de son audition.

En quatrième lieu, dans un contexte où les aveux servent encore de fondement à l’appréciation de la moralité de la personne mise en cause, il faut mieux protéger le droit au silence et notamment :

  • autoriser explicitement l’avocat à intervenir pendant la garde à vue, au moins pour assurer le respect de ce droit de la personne gardée à vue, sur laquelle il est souvent fait pression pour qu’elle parle ;
  • modifier l’article du code pénal incriminant le refus de donner le code de la plupart des téléphones portables pour obliger l’enquêteur ou le procureur qui demande ce code à exposer précisément ce qu’il cherche dans le téléphone et le lien avec les infractions objets de la garde à vue ;
  • donner explicitement droit à l’assistance d’un avocat lors de la présentation à un magistrat ou délégué du procureur lors d’une alternative aux poursuites ;
  • prévoir l’extinction de l’action publique si le procureur fait le choix d’une mesure alternative aux poursuites ;
  • supprimer toute condition de reconnaissance de culpabilité pour la mise en œuvre des mesures alternatives aux poursuites.

Enfin, un grand débat doit aussi avoir lieu pour remettre en question le fonctionnement des comparutions immédiates et notamment pour limiter davantage les infractions qui peuvent y être jugées.

Beaucoup de ces propositions sont reprises de propositions syndicales et politiques. L’ambition est de ne pas les cantonner au volet « justice » d’un programme mais de faire que la gauche s’en saisisse comme d’un enjeu de fonctionnement de la démocratie.

 

Hugo Partouche

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