On était à la « Nuit du Bien Commun »

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Et c’était vachement bien !

Jeudi 3 décembre, nous nous sommes infiltrés dans un théâtre de Bolloré pour aller à « La Nuit du Bien Commun » cofondée par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. On vous raconte ce qu’on a vu et entendu.

La rue Richer était scindée en deux ce jeudi 3 décembre : d’un côté, une longue queue se formait devant le théâtre des Folies Bergères où l’on patientait pour assister au gala de charité de « La Nuit du Bien Commun » ; de l’autre, un rassemblement de 300 personnes initié par la Section Carrément Anti-Stérin (SCAS). Après avoir été au rassemblement où nous avons dansé sous les drapeaux rouges et scandé en chœur « Pas de charité pour les réacs », nous nous sommes habillés en noir, avons emprunté une petite ruelle et, après avoir tendu notre carte d’identité aux policiers, nous nous sommes infiltrés au 32 de la rue Richer – nous avons dû payer notre ticket, faute d’accréditation, et avons une pensée pour nos confrères du Média, recalés à l’entrée.

Là où se réunissait jadis une « population de viveurs [qui] ondule, se croise, serpente, ornée de tous les chapeaux inimaginables », les Folies Bergères sont désormais devenues une des propriétés de Vincent Bolloré. Et la soirée de vendredi était loin de l’agitation, des bousculades et de l’effervescence décrite par Zola à propos des Folies Bergères dans Nana : la Nuit du Bien Commun ressemblait plutôt à une réunion des résidents du Capitole dans Hunger Games, impatients de se divertir en faisant un peu de charité auprès d’associations soutenues par Pierre-Édouard Stérin.

Cofondée par l’exilé fiscal, milliardaire et libertarien en 2017, la Nuit du Bien Commun est un des événements lui permettant de mener à bien sa bataille culturelle. Entre son projet de « lotissement chrétien » (Monasphère), son alliance avec les médias Bolloré pour le « sommet des libertés » en juin 2025 ou encore son financement de l’Université catholique de l’Ouest, toute sa stratégie est celle de l’ombre : prêt à dépenser des milliards pour devenir un influenceur politique discret. Pourtant, depuis les révélations de La Lettre et de L’Humanité en 2024, Pierre-Édouard Stérin n’est discret que par son exil en Belgique : les protestations contre la Nuit du Bien Commun et la fondation même de la SCAS sont une véritable épine dans le pied des organisateurs de l’événement.

De facto, Pierre-Édouard Stérin était dans l’ombre de l’événement ce vendredi 4 décembre (sans doute un des « mécènes anonymes »). Mais un autre co-fondateur, Stanislas Billot, était bien présent. « Ils croyaient nous arrêter… mais vous êtes là ! » hurle celui qui se définit comme un « entrepreneur social aux services d’associations ». Fervent catholique, ancien membre de Civitas (un mouvement d’extrême droite intégriste européen), il a fondé « Obole », une start-up de levée de fonds pour développer la foi catholique partout en France et dont l’équipe se définit comme « la génération qui s’engage et accompagne ceux qui veulent changer le monde. » En un mot : faire le « Bien » commun, au sens catholique du terme.

Charité réac

Chacun muni d’une pancarte numérotée, la règle du jeu est la suivante nous explique un habitué de l’événement : « Chaque asso vient présenter son projet, le but est de faire des dons à l’association qui nous parle le plus. Pour ceux qui viennent défendre leur projet, il y a vraiment un gros travail d’éloquence. » Après le décompte d’une voix off digne d’un film d’horreur qui nous promet que dans quelques instants nous rencontrerons « des entrepreneurs sociaux engagés qui réenchantent la France », tout le monde chante « Emmenez-moi » de Charles Aznavour avant que n’apparaisse sur scène le commissaire-priseur : « maître » Aymeric Rouillet, vêtu d’un costume rouge et ressemblant étrangement à Effie Trinket. « Vous savez pourquoi nous sommes réunis ? Parce que vous avez des cœurs brûlants de charité. Et nous allons tous ensemble faire chauffer vos cartes bleues à la générosité. » Une à une, les douze associations viennent défendre leur projet « au service du bien commun ». Fanny Bozonnet, directrice générale de « Ma Chance Moi Aussi » est la première à passer : elle essaie de défendre son asso pour recueillir des dons afin de lutter contre « la prévention précoce et dans la durée auprès d’enfants issus de familles en fragilité éducative ». Trois minutes après, « Effie Trinket » refait son apparition : « 5000 euros, levez vos pancartes ! » Les subventions baissent de partout, les associations publiques souffrent et sont menacées… et l’argent promis par Stérin peut apparaître comme une manière de se financer.

Pour être sélectionné pour la Nuit du Bien Commun, les associations doivent remplir des critères de plus en plus réactionnaires, fidèles au projet Périclès (Patriote, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes) de Pierre-Édouard Stérin. Si les associations ne paraissent pas toujours ultra-réacs, Attac résume : « Il s’agit de piéger des associations mal renseignées en quête de fonds afin de se donner une vitrine caritative mais surtout d’en financer d’autres compatibles avec leur vision raciste, patriarcale, misogyne et réactionnaire. Tout cela grâce à l’argent de riches réactionnaires qui bénéficient de la défiscalisation de leurs dons, alors même que les financements publics des associations fondent comme neige au soleil ! »

La bataille contre Pierre-Édouard Stérin gagne du terrain. Ce vendredi, impossible de rentrer dans la soirée sans être confronté aux caméras et à la contre-mobilisation. 500 personnes se sont réunies, un « véritable succès » selon la CGT. On se rappelle aussi qu’en novembre dernier, à Aix-en-Provence, une autre Nuit du Bien Commun avait été « sabotée » : huit techniciens s’étaient fait embaucher pour la soirée et, dès leur signature de contrat, avaient démissionné et s’étaient mis en grève. Petit à petit et grâce aux mobilisations, le plan influence de Pierre-Édouard Stérin ne peut plus se faire dans l’ombre : un rétroprojecteur affichait un logo sur la façade de la salle de théâtre ce vendredi : « La nuit du bien commun nuit au bien commun »

Mercredi, Bordeaux accueillera aussi sa “Nuit du bien commun”. Le nom de ceux qui en font du rabattage interrogent : Michel Barrâtes, figure religieuse de la Pastorale des migrants ; Christophe Adam, médecin respecté et ancien de Médecins du monde ; ou encore Véronique Fayet, ex-adjointe d’Alain Juppé et ancienne présidente du Secours catholique. Quand l’argent public manque, les associations finissent par tendre la sébile à ceux qui rêvent d’un ordre social où la charité remplace le droit. La philanthropie devient alors un piège politique, un financement sous influence, une manière d’adosser le tissu associatif aux structures idéologiques de l’extrême droite. Danger de mort pour l’indépendance, pour les luttes, et pour ce qu’il reste d’un bien commun qui, lui, ne se lève pas en soirée. Le vrai bien commun est ailleurs.

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