Langue de Macron : des outrances insupportables au service du mépris

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Le vocabulaire parfois ordurier et insultant du Président est choquant. Et il n’est pas le seul à en user parmi les responsables politiques. Comment le comprendre ?

Une série d’articles publiée par Le Monde vient de mettre un coup de projecteur sur la banalisation d’un langage très choquant venant du plus haut responsable politique. Trois journalistes prêtent à Emmanuel Macron des propos sexistes (à propos de Marine Tondelier et Lucie Castets, il parle « des cocottes »), homophobes (Matignon au temps où le premier ministre était Gabriel Atal, était dénommé « la cage aux folles ») et racistes (« le problème des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou »). Il n’y a hélas guère de doute possible : les sources sont citées, les journalistes chevronnées. Les exemples cités concordent avec ce que l’on sait par ailleurs de cet homme et de son boys club, de ses glissades vers l’extrême droite, de sa mansuétude à l’égard de violeurs. À peine élu, en juin 2017, il disait face à la caméra : « Le kwasa-kwasa pêche peu, il amène du Comorien ». Chacun a encore en mémoire « le pognon de dingue » à propos des aides sociales ou encore les Haïtiens qui seraient « complètement cons ». Le récent dérapage à Mayotte, où il assène que les Mahorais seraient « 10 000 fois plus dans la merde » sans la France, ne fait qu’ajouter à la consternation, à l’indignation, voire au dégoût. Dans la bouche d’un Président, ces propos transgressifs sont doublement inadmissibles : par leur contenu et par leur forme.


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Mais ils ne sont pas l’apanage du seul locataire de l’Élysée. On l’observe du très haut de l’échelle sociale au plus bas, de la droite à la gauche, des cercles feutrés de l’Élysée jusqu’aux arènes des réseaux sociaux, en passant par les travées de l’Assemblée. Un peu partout, on affecte volontiers un langage souvent à la limite de la vulgarité et de l’insulte. Un président du Sénat peut-il dire à la radio en direction d’un leader de l’opposition (en l’espèce, Jean-Luc Mélenchon) de « fermer sa gueule » ? Peut-on dire, quand on est un.e responsable politique de premier plan et de gauche, que « ça suffit de se branler la nouille » ? Quand on évoque un échec, faut-il regretter de s’être « viandé » ?

Ce langage vulgaire relève-t-il d’une tradition chère au pays de Rabelais, de Queneau ou d’Audiard ? On en doutera ici, quand bien même on déteste les étiquettes désuètes de la bonne éducation ou les vitupérations réactionnaires de l’Académie. Il y a bien sûr ce qui relève du temps des crises, des incertitudes et des angoisses. Le dialogue de l’État et de la société se trouble et se durcit. Faut-il alimenter cette difficulté par une destruction frénétique de tous les usages ? Pour renouer le dialogue, retrouver le chemin de la politique partagée, faut-il vouloir « parler peuple » ? L’impasse serait totale : plus les élites affectent d’utiliser les codes supposés du populaire et plus elles alimentent le mépris. Au lieu d’apaiser, elles attisent la fièvre.

La course permanente aux placebos n’est plus de saison. La question n’est pas de faire peuple mais de respecter le peuple souverain. Il ne suffit pas d’étaler sa sympathie pour les démunis, les exploités et les victimes mais d’engager le dépassement de ce qui dépossède, aliène, discrimine ou méprise. La visée ne devrait pas être prioritairement la dénonciation des méprisants mais la mise à nu de la logique profonde qui produit et légitime l’abaissement du plus grand nombre.

Au XXème siècle, la grandeur d’une partie de la gauche, et du communisme en particulier, fut de ne pas s’abandonner aux facilités du « populisme ». On s’indignait de la souffrance mais on ne l’exaltait pas. On pouvait admirer la capacité des prolétaires à préserver leur dignité dans la misère mais on s’attachait avant tout à montrer qu’il était possible de contredire la loi d’airain de l’abaissement social et de travailler sans attendre à l’émancipation populaire. Au fond, le peuple n’attend pas des représentants qui prétendent les imiter. Nous avons tous besoin de représentants dignes, à l’image de la diversité du peuple, partageant ses attentes et capables de donner une perspective qui écarte du ressassement et du ressentiment.

Il ne faut pas se laisser emporter par cette inquiétante musique – trumpienne ou poutinienne – qui, dans un monde voué aux jeux de la realpolitik, veut rabattre les rapports des forces sur la forme primale et viriliste de la violence, celle des mots comme celle des armes. Ce n’est pas être révolutionnaire que de reprendre les clichés méprisants de la violence révolutionnaire utilisés depuis si longtemps par les contrerévolutionnaires.

On n’est pas du côté du peuple en légitimant ses caricatures. Il ne s’agit certes pas de revenir au port de la cravate – aujourd’hui, on met des baskets aux grands raouts de l’élite ! –, de parler à voix basse et d’user de formules précieuses. Mais tout le monde n’est pas Rabelais, Queneau ou Audiard. Davantage d’authenticité et de sincérité, pour davantage de respect réciproque…

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