LA LETTRE DU 27 DÉCEMBRE

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Blanc, riche, diplômé : Luigi Mangione, l’assassin devenu égérie radical-chic

par Pablo Pillaud-Vivien

C’est l’histoire d’une mode sur les réseaux sociaux : celle d’un assassin aux traits de héros d’une série Netflix qui tue un milliardaire.

Luigi Mangione, 26 ans, est accusé d’avoir tué par balles, en pleine rue, Brian Thompson, le directeur général du premier assureur-santé privé des États-Unis, UnitedHealthcare, le 4 décembre à New York. Depuis cette date, beaucoup d’images du jeune homme ont fuité, de celles où on le voit assassiner sa cible de tirs dans le dos, à ses photos en détention en passant par l’intégralité de son Instagram. Nombreux sont ceux qui ont voulu en faire un héros : Mangione aurait rendu une sorte de justice en éliminant le responsable de millions de morts, c’est-à-dire le chef capitaliste d’une entreprise à générer des profits sur le dos de la santé voire de la vie des gens. À une échelle industrielle qui plus est.

Et voilà que le tueur se retrouve sous le sapin de Noël sur des mugs et des sweat-shirts. Repeint en saint, icône gay et pop, égérie anticapitaliste, Mangione doit surtout sa renommé à sa belle gueule de bourgeois premier de la classe : blanc, issu d’une famille aisée, diplômé d’informatique dans une université prestigieuse et privée américaine, avec ses boucles et son visage aux traits fins, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, comme dirait ma grand-mère. Il n’aurait été ni blanc, ni riche, ni beau selon des standards normatifs précisément véhiculés par le capitalisme, personne n’aurait rien eu à faire de lui. Ou pis : il aurait été vilipendé au juste titre de son assassinat.

Bien entendu, le système de santé et d’assurance américain est une aberration criminelle. L’assassinat d’un de ses tenants pourrait donc être perçu comme une vengeance légitime. Laissez croire cela est problématique à double titre : d’abord parce que ça ne sert à rien – la preuve la plus immédiate a été le remplacement dudit directeur général dès sa mort enregistrée et la continuation sans aucun changement de la politique désastreuse menée par UnitedHealthcare. Ensuite, parce qu’oublier les règles fondamentales de justice et de respect de la vie – car voir crever une crevure serait jouissif – est une insulte à l’intelligence autant qu’à nos luttes.

Mais il y a encore mieux : ceux qui s’imaginent radicaux parce qu’il partage une photo de Mangione (pardon, de Luigi) sur leurs réseaux sociaux, la tête ceinte d’une auréole ou, évidemment, torse nu et abdominaux apparents #niklecapitalisme. Là, on atteint le comble du ridicule. Mais enfin, ce n’est ni la première, ni la dernière fois que la bourgeoisie radical-chic et blanche de Twitter et Instagram se prend pour Che Guevara après avoir fait un post. Dommage que cet épiphénomène masque l’exploration plus avant des voies et moyens pour détruire réellement le système de santé et d’assurance américain et en repenser un autre.

Pablo Pillaud-Vivien

PS : ne vous y tromper pas si jamais vous étiez tenté : le meurtre de sang froid dont Mangione a été l’auteur ne peut se comparer à ceux, en Europe notamment et quoiqu’on en pense, de certains anarchistes du début du XXIème siècle ou de groupes des années 70-80 se réclamant du communisme comme Action Directe en France, la Bande à Bader en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie. Pour une simple et bonne raison : ils étaient inscrits dans des démarches philosophico-politiques d’ampleur dont l’objectif était la révolution prolétarienne et dialoguaient avec d’autres groupes et espaces de la société, notamment intellectuels et politiques. Contrairement à Luigi Mangione qui a agi seul, désespérément seul.

FASCISTE DU JOUR

Marquer un but, s’appeler Mussolini, recevoir des saluts…

C’est un micro-événement dans le monde du sport qui a particulièrement heurté notre attention cette semaine. En Italie, lors d’un match de deuxième division, un certain Mussolini a mis le premier but de sa carrière. Romano Floriani Mussolini, de son nom complet, est l’arrière-petit-fils du faciste italien – du côté de sa mère, nom qu’il a donc préféré à celui de son père pour mettre au dos de son maillot. Et visiblement, il est des choses qui ne sautent pas un génération, ni deux, ni trois… Pour célébrer ce but, les supporters ont proféré des saluts fascistes en scandant le nom du buteur. Explications du club : les bras au ciel seraient un « signe de jubilation sportive ». Mouais…

L.L.C.

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Le podcast de France Culture « Nouveau gouvernement : quels visages pour sortir de la crise ? », avec les journalistes du Monde Raphaëlle Bacqué et Ivanne Trippenbach. Elles reviennent sur leur série d’articles co-écrits avec Ariane Chemin – « Le Président et son double » – où elles nous plongent dans l’intimité politique du chef de l’État. Autoritarisme, toute-puissance et coups bas. Très jupitérien, in fine.

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