
Sortir de la tutelle des puissants ou de la rigidité des camps, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits. Roger Martelli propose une réponse à la force des armes.
La gauche va-t-elle se fracturer sur l’aide à l’Ukraine ? Le Monde suggérait hier que le grand écart est déjà amorcé. Dans Regards, Catherine Tricot faisait plutôt remarquer que les désaccords sur les retraites étaient sans doute plus grands que sur le dossier international. Elle notait en outre que le revirement américain offrait l’occasion de se débarrasser enfin des vieux clivages nés de la guerre froide. De fait, dans la crise politique qui est notre toile de fond nationale, la gauche est dans l’obligation de rendre compatibles ses propositions. Ce n’est pas hors de portée.
Ne pas occulter les contradictions du réel
Le point de départ consisterait à différencier ce qui est simple et ce qui ne l’est pas.
1. Ce qui a servi à justifier l’offensive de Moscou se trouve dans la crainte russe d’une extension de l’Otan aux frontières de l’État et dans le sentiment d’avoir été rabaissé par « l’Occident » depuis la disparition de l’URSS. Mais, dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, il y a un agresseur russe et un agressé ukrainien. Rien ne peut justifier l’agression, quand bien même elle a des causes qu’il vaut mieux décrypter soigneusement. Aucune paix durable n’est donc possible, si le fait de l’agression est entériné en droit.
Si tu veux la paix, prépare la guerre, disait le vieil adage latin. Mais quand la préparation à la guerre a-t-elle rendu possible la paix ?
2. La Russie n’est plus la superpuissance de l’après-1945. Mais le retrait américain crée un déséquilibre dans le rapport des forces proprement militaire. L’Otan n’étant plus le parapluie invoqué depuis 1949, l’Europe est contrainte de faire face. Qu’elle envisage de renforcer ses capacités de défense n’a en soi rien de scandaleux.
A minima, cela pourrait s’envisager à la double condition de ne pas rogner sur les dépenses civiles utiles (au risque d’aviver les ressentiments internes et les dérives antidémocratiques) et de ne pas se résigner à une course au surarmement qui met d’ores et déjà en péril l’équilibre du monde. En 2024, les dépenses mondiales d’armement ont augmenté pour la 9ème année consécutive (+7%) pour dépasser les 2400 milliards de dollars.
La mesure sur ce point est d’autant plus raisonnable que l’on sait, depuis au moins un siècle, que la spirale du surarmement n’empêche pas les guerres : elle accroit simplement les capacités de destruction mutuelle. Améliorer les capacités de défense d’un territoire, national ou continental ? Pourquoi pas, mais jusqu’à quel point, pour quoi faire et contre qui ?
3. Il ne sert à rien de s’abriter derrière les raisonnements binaires : ou bien accepter les capitulations devant l’agresseur, ou bien se préparer à la guerre au risque du cataclysme nucléaire. Si tu veux la paix, prépare la guerre, disait le vieil adage latin. Mais quand la préparation à la guerre a-t-elle rendu possible la paix ?
On évoque souvent l’exemple de la conférence de Munich, à l’automne 1938, pour dénoncer à juste titre la lâcheté et l’inefficacité des capitulations devant l’agresseur. Mais au moment de la crise des Sudètes, le choix ne se réduisait pas à deux termes : céder devant les diktats d’Hitler ou faire la guerre avec l’Allemagne. Il y avait à l’époque un moyen pour faire reculer l’agresseur et pour éviter un conflit généralisé : l’alliance diplomatique et militaire de la France, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique contre les menaces des fascismes. Cette solution ne fut pas retenue, parce que les cynismes, les préventions, les méfiances et les calculs égoïstes l’ont emporté sur l’esprit de convergence. Il fallut attendre 1941, un monde embrasé des destructions, des souffrances et des horreurs ineffaçables, pour que se constitue le seul rempart contre la barbarie. Nul ne sait ce qui serait advenu si l’alliance s’était conclue en 1939. Mais cela aurait valu la peine qu’on expérimente alors ses effets.
Que faire ?
1. Par principe, la gauche n’aime pas les va-t-en-guerre, mais son pacifisme ne va pas jusqu’à l’acceptation de l’asservissement, pour son propre peuple et pour tous les peuples du monde. Accepter l’agression imposée à un peuple, c’est accepter de légitimer par avance toutes les agressions.
Mais la gauche sait aussi que, si la guerre est parfois imposée, il n’y a pas de solution proprement militaire à un conflit, surtout s’il peut s’étendre bien au-delà de la querelle entre deux États. Si tu veux la paix, créée les conditions pour écarter tout ce qui nourrit l’esprit de guerre… L’Europe doit s’engager pour défendre l’Ukraine ; elle doit toutefois le faire au nom de notre commune humanité, pas pour écraser ou humilier la Russie, ou pour affirmer la puissance européenne.
Il ne manque pas de forces, dans les sociétés civiles, les institutions internationales et les États, pour décourager l’agresseur, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits.
Si l’Europe veut faire entendre sa voix efficacement à l’échelle mondiale, ce n’est pas d’abord en étalant sa puissance, mais en faisant valoir sa capacité à rassembler ses propres peuples, à conforter sa fibre démocratique, à stimuler une citoyenneté européenne encore balbutiante, à souder sa communauté de destin sur des valeurs d’égalité, de citoyenneté et de solidarité.
L’Europe, par ses caractéristiques, son histoire et ses ressources, peut être un intermédiaire entre les États et un monde qui peine à gérer ses interdépendances dans la sobriété et la justice. Mais pour que cet intermédiaire fonctionne, il doit devenir lui un cadre de souveraineté démocratique et partagée. Si la gauche a une originalité à faire valoir, c’est dans sa capacité à montrer qu’elle pense de la même façon cohérente la triple maîtrise démocratique du national, du continental et du planétaire.
2. Si l’Europe veut se faire entendre, ce n’est pas en désignant les Grands Satans, mais en proposant largement de se rencontrer, de débattre, de trouver des solutions communes. Si l’ONU n’est provisoirement plus le meilleur lieu pour cette rencontre, l’Europe pourrait proposer de la compléter par des cadres provisoires, intercontinentaux par exemple. Et si le trumpisme met à l’écart le continent américain – mais il n’a pas le pouvoir d’écarter toutes les Amériques -, elle peut cultiver le dialogue eurasiatique… en attendant mieux.
Pourquoi se résigner à penser le monde en termes de camps, en « Nord global » et en « Sud global ». Avec le revirement étasunien, ce simplisme est en train de se brouiller, de tous les côtés. Tant mieux, mais à condition de se tourner vers les États qui peuvent préférer le dialogue à la tension, la négociation plutôt que le rapport des forces permanents. Seule une telle convergence, sans exclusive a priori, peut éviter le pire et apaiser durablement un espace planétaire devenu explosif, et pas seulement en Ukraine ou à Gaza.
Il faut bien qu’une voix forte se fasse entendre, pour rappeler aux Trump, Vance, Milei, Poutine et autres que les agressions militaires, les chantages impériaux et l’extension sans fin des alliances militaires de « blocs » ne peuvent en aucun cas être des bases de discussion. Le but de la négociation ne doit pas plus être de « désoccidentaliser » que « d’occidentaliser », mais de rétablir et même d’instituer le droit international en base unique de régulation des rapports entre les peuples.
3. Ce n’est pas par la force des armes que l’Europe a le plus de chance de se faire entendre et de peser sur le devenir de notre planète. Les voix du cynisme, de la force et de l’exclusion ont de l’écho aujourd’hui, parce que les synthèses de l’après-1945 – celles du Welfare state et de l’État-providence – se sont érodées, par l’action consciente des puissances d’argent, les facilités technocratiques et l’échec des grands mouvements d’émancipation.
L’Europe peut user de ce qu’il y a de mieux dans son histoire – la double piste de la culture démocratique et de la fibre ouvrière et populaire – pour proposer de nouvelles synthèses. Elle ne serait pas seule dans cette quête. Dans les publications issues de la « société civile » comme dans les documents d’instances onusiennes, des propositions existent, construites à partir de larges consensus. Elles contiennent souvent une charge subversive étonnante contre la dictature des marchés, la gabegie productiviste, la froideur technocratique et le cynisme de la force.
4. Il ne manque donc pas de forces, dans les sociétés civiles, les institutions internationales et les États, pour décourager l’agresseur, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits. Les peuples du Sud qui aspirent à la dignité, les mouvements sociaux qui luttent pour l’égalité, la citoyenneté et la solidarité, les engagements multiples pour la reconnaissance des droits et la primauté des besoins humains : tout cela crée la possibilité de nouvelles alliances, hors de la tutelle des puissants ou de la rigidité des camps.
Que cela s’accompagne de la prudence et du droit imprescriptible de défendre la souveraineté des nations et les équilibres continentaux peut s’envisager. Mais pas au prix d’un cataclysme qui risque d’anéantir tout ce qui fait notre humanité.
Il faur arrêter toutes ces idéologies et revenir à la realpolitik. Si nous discutons de tout cela maintenant c’est parce que nous nous sommes engagés, par aveuglement idéologique, et par trop, dans une guerre qui ne nous concernait pas et qu’ on savait d’avance que la RUSSIE ne perdrait jamais. A ce que je sache, nous n’avions pas plus de traités avec l’UKRAINE qu »avec la RUSSIE mais l’Europe convoitait de nouveaux marchés et l’OTAN n’avait pour seul but que d’affaiblir la RUSSIE (c’était sa seule raison d’être d’ailleurs). C’est l’origine du mal que nous ne voulons pas voir. Maintenant l’OCCIDENT ne veut pas perdre la face et utilise tout l’argumentaire idéologique pour masquer son erreur de jugement. Qu’on fait les USA lors de la crise de CUBA, pourquoi POUTINE devrait -il accepter la présence de l’OTAN et de ses missiles en UKRAINE alors que les USA ne l’ont pas acceptée à CUBA ? Il faut arrêter de parler de fachos qui soutiennnent POUTINE et qui ne sont pas des bien-pensants idéologiques, tout ça sent des odeurs nauséabondes de 39-45
Aucune reflexion sur l’urgence du désarmement nucléaire dans cet article.
La gauche à part le PCF n’a pas grand chose à dire sur le désarmement nucléaire.
Le cynisme des puissances dotées de cette armes doit être combattu en s’appuyant sur le Traité d’Interdiction des Armes nucléaires (TIAN) qui est entré dans le droit international en 2021
le Mouvement de la paix , le MAN , la CGT , le PC militent pour que la France ratifie ce Traité et s’engage sur la voie du désarmement.
faut il rappeler que seuls 9 pays possèdent l’arme nucléaire et que des armes nucléaires américaines sont déployées dans 5 pays : Pays Bas, Belgique , Allemagne, Italie et Turquie.
Les neuf pays qui la possèdent sont les USA , la Russie, Le Royaume Uni , la France , l’Inde, le Pakistan, Israël , la Corée du Nord, la Chine.
l’argument des défenseurs de cette arme consiste à nous dire qu’elle assure notre sécurité et nous permet d’être en paix.
Cet argument est immonde car il consiste à dire que les pays non dotés vivront dans l’insécurité et les guerres, merci pour l’Afrique.
Le cynisme voudrait que les défenseurs de la bombe disent : nous pourront intervenir militairement contre des pays non dotés , car nous ne craindront pas une riposte.
il fut un temps où les Verts se mobilisaient pour le désarmement nucléaire , c’était il y a longtemps , ils sont capables de nous dire un de ces jours que la France doit mettre ses bombes au service de l’Europe.
Une grande partie de la gauche a oublié Hiroshima et Nagasaki , et elle banalise l’arme nucléaire en en faisant quelque chose d’anodin » qui nous protège ».