Gaza : « Macron n’a même pas la décence élémentaire d’appeler à un cessez-le-feu »

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Socialisme et morale révolutionnaire, solution à deux États, impasse Hamas-Netanyahu, terrorisme et crime de guerre, « déraison » française… On a causé avec l’écrivain Joseph Andras.

Joseph Andras est écrivain. Il est l’auteur de sept livres, principalement aux éditions Actes Sud. Son dernier, Nûdem Durak, revient sur l’histoire de la résistance kurde au Moyen-Orient.

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Regards. Le 7 octobre dernier, quelle a été votre première réaction en apprenant l’offensive du Hamas contre Israël ?

Joseph Andras. Je l’ai apprise aussitôt puis, comme beaucoup, j’ai passé la journée à suivre les informations. Je ne fais pas grand-chose d’autre depuis, d’ailleurs. Tout ce qui se passe m’affecte beaucoup. Ça a été un mélange d’effroi et d’absence de surprise. Effroi, inutile de s’étendre : le récit du massacre des civils israéliens m’a tordu le cœur. Et, pour suivre de longue date la situation dans la région, je me doutais que « quelque chose » finirait par éclater au regard des événements : expansion coloniale folle, gouvernement ouvertement suprémaciste, attaques permanentes des colons, invasion de la mosquée al-Aqsa, normalisation entre Israël et les pays arabes, 230 Palestiniens tués en 2022. Au 31 mai de cette année, on en comptait déjà 161. Ceci dans le silence international le plus complet. Évidemment, personne n’aurait pu prévoir une opération d’une telle envergure – pas même les renseignements israéliens, semble-t-il.

Quel regard portez-vous sur le Hamas ?

C’est une organisation islamiste fondée en vue d’établir un État théocratique – même si elle a fini par rallier la perspective d’un État palestinien aux côtés d’Israël, dans le respect des frontières de 1967. Son fondateur, Ahmed Yassine, disait à ses étudiants : « L’occupation ne prendra fin qu’en adhérant à l’islam. » Or, en 2018, le Centre catholique des médias évaluait le nombre de chrétiens palestiniens entre 600 et 700 000 à travers le monde. À Bethléem, 20% de la population est chrétienne. Plus tard, par la voix de Khaled Mechaal, le Hamas s’est dit favorable à la « coexistence ». Il a été élu démocratiquement en 2006 puis il a pris le contrôle de la bande de Gaza en assassinant quantité d’opposants. En les torturant, aussi. Sur l’échiquier politique, il se situe à l’extrême droite : sa charte, amendée depuis, ne cache en rien son orientation antisémite et contre-révolutionnaire. Sur le bord opposé, il y a notamment le FPLP, marxiste, et, entre, le Fatah. En 2000, Edward Saïd, évoquant justement le Hamas, déplorait amèrement « la disparition de la gauche palestinienne » – et liait la défaite contemporaine du mouvement de libération à celle de la gauche. Bref, pour reprendre l’expression de Mustapha Barghouti, c’est un mouvement « fondamentaliste ». En toute cohérence, il loue Erdoğan et a soutenu le nettoyage ethnique des Kurdes de Syrie. Le Hamas règne à Gaza d’une main de fer. Il faut lire à ce sujet le récit L’Insoumise à Gaza, de la féministe Asmaa Alghoul, pour prendre la mesure de ce que signifie sa politique au quotidien. Le Hamas l’a jetée en prison. En juin de cette année, 73% des habitants de Gaza jugeaient son gouvernement « corrompu »En septembre dernier, avant l’attaque, seuls 27% des Palestiniens tenaient le Hamas pour le meilleur des représentants (l’équivalent de la cote de popularité de Macron, en France). Inutile de dire que personne, au sein du mouvement internationaliste en faveur de l’émancipation, au sein de la tradition socialiste, révolutionnaire, anti-impérialiste, appelez ça comme vous voulez, ne saurait nouer quelque travail de solidarité que ce soit avec lui.

« Le blocus de Gaza, les colonies, tout ça est condamné par l’ONU. Mais les grandes puissances continuent de collaborer avec le pouvoir israélien. Les Palestiniens ont marché pacifiquement en 2018 et 2019 : on les a tués par centaines. Qu’attend-on des Palestiniens ? Qu’ils crèvent en silence ? »

Mais on connaît tous les raisons de l’expansion du Hamas : Mahmoud Abbas collabore avec l’occupant ; l’Autorité palestinienne est corrompue et autocratique ; la vie des Palestiniens ne fait qu’empirer ; aucun espoir n’existe. Atroce. Mais pas irréversible. À quoi il faut ajouter le soutien qu’Israël lui a accordé pour « contrebalancer l’influence dominante de la laïque OLP » – c’est Ghada Karmi qui parle. Début 2020, Haaretz révélait que le chef du Mossad s’était rendu au Qatar pour s’assurer que l’aide financière qu’il alloue au Hamas ne s’arrête pas… Le Hamas fait l’affaire d’Israël en plus d’être le fruit de l’occupation, de la colonisation, de ce régime d’apartheid reconnu en personne par un ancien chef du Mossad – sans parler d’Amnesty, de Human Rights Watch ou de l’ONG israélienne B’Tselem. La seule façon de faire reculer le Hamas est de démanteler ce système inique largement financé par les États-Unis. Le reste, c’est du bavardage. Ou un massacre : celui qui se déroule sous nos yeux et, étant donné la configuration territoriale de Gaza, frappe les civils bien davantage que le Hamas. Elles ne sont pas des « victimes collatérales » – notion abjecte qui condamne quiconque la prononce – mais des cibles constituées comme telles. Mais pour ces victimes-là, la tour Eiffel reste éteinte.

Et comment appréhender la notion de terrorisme ? Vous lui consacrez quelques pages dans votre dernier livre…

C’est une catégorie pour le moins bancale. Il est, c’est connu pour qui s’intéresse au sujet, difficile d’en fixer les contours – les éditorialiste offusqués ne lisent visiblement pas les juristes spécialisés en droit international. Car si le terrorisme est le fait de tuer des civils, alors nombre d’opérations légales en relèvent : la « pacification » française en Algérie, les bombardements étasuniens sur le Vietnam, la répression turque contre le Kurdistan… Ne parlons même pas du sort des Premières Nations à l’arrivée des colons européens. Or personne, en Occident, ne qualifie ça de « terrorisme ». Car il faudrait parler de terrorisme d’État ou accepter que la Turquie, membre clé de l’Otan, le pratique allègrement. Il faudrait traduire Bush ou Kissinger en justice. Il faudrait dire que Guy Mollet, en livrant à l’armée les « pouvoirs spéciaux », était un terroriste – on a préféré nommer des rues à sa mémoire. Je me souviens de James Baldwin écrivant dans un de ses romans, à propos du directeur du FBI : « Jamais personne n’a traité le défunt J. Edgar Hoover de terroriste bien que ce fût précisément ce qu’il était. » Imparable. Voyez un peu le fourre-tout : on a pu classer sous cette appellation aussi bien les républicains de 1794 que les indépendantistes irlandais, feu Nelson Mandela (il faut se souvenir qu’il figurait sur la liste étasunienne des « terroristes jusqu’en 2008) et al-Qaïda, Jean Moulin et Mohammed Merah, Anders Breivik et les militants écologistes soucieux de prendre soin des écosystèmes.

« La France est frappée de déraison. Et quand je dis ‘déraison’, c’est bien trop faible. Le monde entier s’est déjà inquiété de l’usage macroniste de la force : l’effondrement se poursuit dangereusement. Politiquement, Macron s’aligne sur le gouvernement d’extrême droite d’Israël, en rupture avec une certaine tradition hexagonale. »

L’État français classifie le PKK comme « terroriste » tout en appuyant militairement, au Nord de la Syrie, les opposants à Daech, émanation officielle dudit PKK. Ça n’est pas opérant. Soit cette catégorie englobe toutes les mises à mort de civils, soit elle n’a aucun sens. « Le terrorisme », pris en bloc, n’a jamais aidé à penser. On pourrait à la rigueur parler d’actions terroristes circonscrites, de méthodes terroristes : auquel cas le massacre des civils israéliens par le Hamas est une entreprise de ce type, de même que les bombardements « démocratiques » en cours sur Gaza, plus meurtriers encore. Mais personne ne songe à qualifier le gouvernement israélien d’« institution politique terroriste ». « Terrorisme » est indiscutablement un outil de faible consistance analytique – d’où son succès médiatique et politique. Le droit international nous offre un concept bien plus précis et autrement mieux codifié pour appréhender le cas présent : « crime de guerre ». Voire « crime contre l’humanité ». Ce que Julia Crignon, professeure de droit international humanitaire, rappelait, avec bien d’autres, tout récemment – le Hamas a donc a minima commis des « crimes de guerre ». Simple affaire de rigueur.

Dans une chronique récemment parue dans le magazine Frustration à propos de la Palestine, vous avez évoqué la morale révolutionnaire. Qu’entendez-vous par là exactement ?

Sur ce point, je suis rousseauiste : la politique et la morale marchent ensemble. Elles sont indissociables. Je sais bien que certains de mes camarades ne l’entendent pas ainsi. Ils voient dans ce mot le seul moralisme, l’idéalisme abstrait, la belle âme, les mains propres. Ça n’est pas le sens que je lui donne. D’ailleurs je ne lui en donne aucun, je ne fais que répéter ce que tous les combattants pour la justice ont répété aux quatre coins du monde. Quand on demandait à Saïd Hammami, cadre de l’OLP, s’il était favorable aux attaques sur les civils, il répondait par la négative au nom, précisément, de la morale. Et de la politique – car, froidement, stratégiquement, de telles pratiques entravent la lutte globale. Georges Habache, du FPLP, ne disait rien d’autre, arguant de sa considération pour « la vie humaine ». Edward Saïd tenait les attentats contre les civils pour indiscutablement dégueulasses et contre-productifs. De tout temps ces questions se sont posées. C’est élémentaire. Au Vietnam, Hô Chi Minh évoquait sans cesse « la vertu révolutionnaire », qui consistait, entre autres choses, en « la droiture ». « Le révolutionnaire doit savoir se conduire », il disait. Le PKK kurde martèle qu’il ne faut pas s’en prendre aux civils. Et quand certains tombent malgré tout, il présente aussitôt ses excuses aux familles. Bref, je pourrais continuer pendant des heures. Bien sûr, aucune guerre n’est « propre ». Bien sûr, toutes les causes justes peuvent se faire injustes à certaines occasions. Mais ce point reste cardinal : c’est une morale concrète, éprouvée, qui a toujours engagé les formations de résistance. Ça n’est pas la non-violence (tout à fait respectable en soi). C’est la violence jugulée, organisée, disciplinée : la contre-violence populaire visant à répondre à l’oppression étatique et militaire. Le Hamas aurait pu s’en tenir aux cibles militaires et policières, ce que personne n’aurait su comment condamner : il ne l’a pas fait. On n’abat pas des enfants quand on se réclame d’une cause voulue comme juste – ça n’est pas, je crois, du « prêchi-prêcha » que de le penser.

Comment qualifierez-vous le niveau du débat français à ce sujet ?

Indigne. Calamiteux. On ne peut même parler de débat, en fait : nous traversons une période de turbulence totalitaire. Des policiers font une descente dans un kebab car une lettre de son enseigne, tombée en panne, donnait fautivement à lire « Hamas ». Deux syndicalistes de la CGT viennent d’être placés en garde-à-vue pour un communiqué qui disait, entre autres choses – et quoi qu’on pense de telle ou telle formulation –, s’incliner « devant toutes les victimes civiles ». On a interdit RT mais on laisse i24NEWS nous faire savoir que les civils gazaouis ne comptent pas, qu’ils sont « tous biberonnés à la même haine du Juif » et qu’il faut annexer la bande de Gaza au nom de Dieu. Renaissance parle de purger des députés de gauche. Le sénateur Karoutchi invite à punir « sévèrement » quiconque ne consent pas à la politique israélienne. Des membres de l’Union juive française pour la paix ont été interpellés par la police. Danièle Obono est traînée en justice par le ministre de l’Intérieur. Les manifestations en faveur des victimes gazaouies ont toutes été interdites jusqu’au 19 octobre – le préfet de Tarn-et-Garonne a même déclaré que manifester serait « une atteinte à la dignité humaine ». La France est frappée de déraison. De telles mesures n’existent que sous les pouvoirs autocratiques. Erdoğan traque les opposants aux guerres qu’il mène ; que le « progressisme » macroniste lui emboîte le pas devrait provoquer un sursaut généralisé. Et quand je dis « déraison », c’est bien trop faible. Le monde entier s’est déjà inquiété de l’usage macroniste de la force : l’effondrement se poursuit dangereusement.

Pourquoi observe-t-on un tel déséquilibre dans la manière d’aborder ce sujet ?

Politiquement, Macron s’aligne sur le gouvernement d’extrême droite d’Israël, en rupture avec une certaine tradition hexagonale. En 2017, il donnait du « cher Bibi » à ce criminel de guerre qu’est Netanyahu. Macron n’a même pas la décence élémentaire d’appeler à un cessez-le-feu. Médiatiquement, il faudrait procéder à un examen minutieux. Mais disons que le « monde libre » aime à parler au « monde libre ». Israël est perçu comme une partie de l’Occident. Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique, était tout à fait franc : « Mon programme est un programme colonial. » Le même Herzl disait également qu’il était question de bâtir un « avant-poste de la civilisation contre la barbarie ». Le racisme ambiant ne fait que parachever l’ensemble : les Palestiniens sont des Arabes et, pour nombre d’entre eux, des musulmans. Un pays qui discute de déchoir Benzema de sa nationalité ne saurait à présent penser la question palestinienne autrement. Et puis il y a comme une terreur. Je suis en contact avec un collectif qui a travaillé à la publication d’une tribune en faveur de la paix – le texte est on ne peut plus consensuel : bien des personnes sollicitées sont tétanisées à l’idée de signer. Certaines signent puis se rétractent, de crainte de répercussions professionnelles. La youtubeuse Léna Situations, modèle d’apolitisme, reçoit aujourd’hui des menaces de mort pour un message que Gandhi n’aurait pas désavoué. Totalitaire : je ne vois pas d’autre mot.

Depuis quelques jours, vous postez sur votre compte Instagram des extraits de textes en lien avec le conflit israélo-palestinien. Vous mettez en avant des figures plus ou moins connues, arabes et juives, qui, toutes, ont analysé avec finesse cette question. Pourquoi avoir ressenti le besoin de « relire des notes », comme vous le dites, de les partager avec vos lecteurs ?

Ce sont des figures qui m’accompagnent, qui m’ont formé. Je parle ainsi de Jabra Nicola, un trotskyste palestinien, d’Ilan Halevi, un responsable juif de l’OLP, de Tony Cliff, un socialiste juif né en Palestine ou d’Aki Orr, membre éminent du Matzpen israélien. Ou encore d’Edward Saïd, qu’il est sans doute moins utile de présenter. Comme tout le monde, j’assiste, impuissant, au carnage. Quoi qu’on dise, ça n’aura aucun effet là-bas. Alors, pour quelques personnes, j’ai voulu partager ces voix dissonantes. Ces voix arabes et juives qui, de longue date, ont cherché une issue égalitaire.

Ces personnes sont toutes socialistes, d’une manière ou d’une autre. Mais on ne peut pas dire que le socialisme ait le vent en poupe en Israël-Palestine…

Je sais bien. Là-bas, partout, ici, le mouvement pour l’émancipation a une sale mine. Le socialisme, historiquement, ça n’est jamais que la démocratie accomplie. L’égalité réalisée. La justice instituée. C’est donc sans surprise qu’on trouve les meilleures réponses en s’y référant. D’où mes relectures. Mais on doit composer avec la situation telle qu’elle se présente à nous. Le levier, pour l’heure, ça n’est pas la révolution. Reste le droit. Et le droit est clair : il est légitime de résister par les armes (de militaire à militaire, s’entend) comme il est légitime que le peuple palestinien ne fasse pas que survivre. Le blocus de Gaza, les colonies, tout ça est condamné par l’ONU. Mais les grandes puissances continuent de collaborer avec le pouvoir israélien. Les Palestiniens ont marché pacifiquement en 2018 et 2019 : on les a tués par centaines. Le mouvement non violent BDS déploie, sur le modèle sud-africain, une stratégie de simple boycott et se réclame des résolutions de 1967 : il est criminalisé. Qu’attend-on des Palestiniens ? Qu’ils crèvent en silence ?

Vous estimez que la « solution à deux États » est caduque. En lieu et place, vous évoquez l’alternative de l’État unique…

Ça n’est pas moi qui l’estime : ce sont tous les analystes informés. Un rapporteur spécial de l’ONU a, par exemple, indiqué que le mur, les colonies, la dépalestinisation de Jérusalem et l’incorporation progressive de la vallée du Jourdain sont « incompatibles » avec cette solution. L’historien israélien Shlomo Sand, qui se définit comme « a-sioniste », vient de déclarer la même chose. On s’accroche à un mot d’ordre rendu, par Israël, inopérant. La Cisjordanie est en miettes. Quelque chose comme 700 000 colons se sont implantés. Gaza est un ghetto sans continuité territoriale aucune. Et l’actuel gouvernement israélien répète sur tous les tons qu’il n’y aura jamais d’État palestinien. C’est aux populations impliquées de se positionner, ça va de soi. Mais c’est à nous, ici, je veux dire les gens soucieux de paix, de mettre les choses au clair dès lors que nous prenons publiquement position. Des Palestiniens et des Israéliens militent pour un État « binational », « unitaire », « confédéral » : il y a des nuances mais je ne développerai pas ici ces points techniques.

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À l’heure qu’il est, ça paraît utopique. Ça n’est certainement pas demain qu’on verra pareille transformation – et l’attaque du Hamas la recule encore. Mais c’est un cap à discuter pour sortir de l’incantation. 20% des citoyens israéliens sont palestiniens, Jérusalem est revendiquée par les trois monothéismes et quantité de Palestiniens de Cisjordanie travaillent chaque jour en Israël. Sur le terrain, il n’y a pas de coupure qui tienne – hors les murs, les checkpoints et les miradors, mais personne ne peut croire que c’est une solution d’avenir, ça. En 2006, le journaliste israélien Amir Oren disait que le destin de son pays était de « Vivre par l’épée, pour toujours ». On peut souhaiter mieux pour tout le monde.

Ce serait la fin de l’entreprise sioniste originelle, non ?

On pourrait parler d’un post-sionisme, porté notamment par les Nouveaux historiens israéliens, en vue d’établir un territoire sûr et conforme aux attendus démocratiques ordinaires. L’égalité pour tous, sans privilèges ni discriminations. Un « nouvel État », disait en 1970 l’historien belge Marcel Liebman.

Emmanuel Macron avait qualifié l’antisionisme d’antisémitisme…

C’est grotesque en plus d’être odieux. Ça n’a pas la moindre consistance historique et politique. La critique du sionisme est une grande tradition juive : voyez Trotsky, qui en parlait comme d’un « piège meurtrier » ; le Bund, qui le tenait pour une idéologie de la « bourgeoisie » ; le Matzpen, qui l’a défini comme « un mouvement colonial ». Voyez, chez nous, Daniel Bensaïd. On peut critiquer cette idéologie au même titre qu’on critiquerait le kémalisme. Et je ne sache pas que la critique de ce dernier ait quelque chose à voir avec la haine des Turcs. Ou celle du jacobinisme avec je ne sais quelle francophobie. Il va de soi que certains antisionistes sont antisémites, comme des démocrates ont été partisans de massacrer les Algériens – songeons au bien aimé Tocqueville. Il suffit d’être clair et rigoureux. Et d’expulser de nos rangs quiconque fait montre d’antisémitisme. Quand on sait ce que nous devons aux penseurs et aux militants juifs, l’antisémitisme est, en plus d’une saloperie, un affront fait à l’histoire de l’émancipation. Le socialiste Abraham Léon, mort à Auschwitz, écrivait à raison, en 1942, que les Juifs ont formé « un appoint sérieux au mouvement prolétarien ». La lutte pour les droits des Palestiniens ne peut qu’être antiraciste.

Arafat et Rabin ont été remplacés par le Hamas et Netanyahu. On dirait que seuls les belliqueux ont droit au chapitre. Est-ce une impression ?

Avec le Hamas et Netanyahu, nous sommes dans les coordonnées de l’extrême droite. Mais il ne faut surtout pas réduire cette question à ce duel. On ne comprendrait rien à la situation actuelle. Le Hamas n’est qu’une organisation parmi d’autres. Qu’il disparaisse et la Palestine continuera d’être décimée. Il est né dans les années 1980 : le sang coule depuis les années 1920. La question centrale, c’est l’assujettissement systémique des Palestiniens. Si rien n’est résolu, les voix les plus brutales prennent mécaniquement le dessus. C’est ainsi. Il faut tout de même se rappeler que, dès 1970, le programme du Fatah évoquait le « génocide nazi », appelait à se tenir aux côtés des Juifs « persécutés », invitait à recruter des Juifs dans les rangs de la révolution et imaginait, l’occupation abolie, un régime démocratique et non confessionnel. Mais, à l’époque, Arafat était un « terroriste ». Puis, à écouter Sharon, le jumeau de Ben Laden. Arafat a fini assiégé dans son quartier général… Parler du 7 octobre 2023, c’est, nécessairement, embarquer l’histoire longue. Parler du 7 octobre, c’est tout déplier depuis le désastre insurmonté de la Nakba. Moshe Dayan, alors chef d’état-major d’Israël, déclarait d’ailleurs en 1956 : « Ne rejetons pas aujourd’hui la faute sur les meurtriers. Depuis huit ans, [les Palestiniens] sont assis dans les camps de réfugiés de Gaza et, sous leurs yeux, nous avons transformé les terres et les villages où eux et leurs pères vivaient à notre place. » Il ajoutait : « Nous sommes une génération qui colonise la terre ». Alors oui, près de 70 ans plus tard, le Hamas parade.

Vous avez parlé, dans vos derniers textes, de « nettoyage ethnique » pour qualifier ce qui se passe en ce moment à Gaza. Sur quoi vous basez-vous ?

Sur l’ONU, qui envisageait cette possibilité il y a peu. Déplacer en masse une population, pulvériser des infrastructures civiles, tuer plus de 1800 enfants en quelques jours, déclarer qu’on a affaire à des « animaux » et que « tout » sera éliminé à Gaza, dixit le ministre de la Défense, comment appeler ça autrement ? Ça ne devrait même pas faire l’objet d’une discussion.

4 commentaires

  1. Berthelot J le 23 octobre 2023 à 18:09

    le gouvernement Israélien n’a jamais respecté aucune des résolutions depuis 1967 de l’ONU l’obligeant à quitter les territoires occupés et à appliquer le droit au retour des réfugiés,
    L’ONU n’a pas pu les imposer.
    Une solution à deux états ? Mais sur quels territoires ?Sur les “confettis” que le gouvernement Israélien a fait de la Palestine? Un retour aux frontières de 1967? Retrait des colonies ? Droit des réfugiés au retour dans leur pays?
    Quand on parle de « solution à deux états » il faut être clair et précis. Pour mettre fin aux spoliations dont est victime le peuple Palestinien.
    De plus en plus de personnes soutenant le peuple Palestinien parlent d’une solution à un état , ou plutôt dune forme de confédéralisme démocratique.
    Pour mettre fin aux dominations ,aux haines , à la course aux armements.
    Sur le sujet il faut lire le livre :
    Ghada Karmi
    Israël-Palestine,
    la solution : un État (la fabrique)

  2. Glycère BENOÎT le 24 octobre 2023 à 00:32

    Un Etat binational confédéral perdrait son caractère juif. C’est une solution totalement inacceptable pour les israéliens. Reste la solution a deux Etats, mais il y a un consensus dans la classe politique israélienne, de la droite à la gauche, chez les laïcs comme chez les religieux, pour rejeter absolument toute idée d’un Etat palestinien ; position commune qui prend un habillage différend selon qu’elle est défendue par la droite ou par la gauche mais le résultat est à peu près le même : la guerre, à des niveaux d’intensité variables, qui dure depuis le plan de partage de la Palestine ou, selon une optique plus optimiste, depuis la guerre des Six Jours. Les accords d’Oslo n’étaient qu’une chimère. Bien naïfs ceux qui y ont cru.

    L’occupation de la Cisjordanie perdure alors, puisqu’il est exclu de l’évacuer et impossible de l’annexer. Une vision à long terme mise sur l’exode progressif de ses habitants et leur remplacement par des colons. Quant à la bande de Gaza, territoire vide de colons juifs, mais à l’intérieur des frontières de la Palestine mandataire, elle est bombardée méthodiquement, ce qui poussera à la fuite ceux des habitants qui auront survécu. Ce schéma peut apporter la solution finale de la question palestinienne, mais on frémirait de le voir s’appliquer. Il serait plus satisfaisant pour l’honneur de l’humanité de négocier un traité de paix.

    • HLB le 24 octobre 2023 à 20:17

      Comme vous l’écrivez si bien (et intentionnellement ?) « solution finale ». C’est à ça que pensent Nétanyaou et sa clique, Tsahal et les colons israéliens des territoires annexés, à propos du Peuple palestinien !
      Avec l’implicite aval des puissances occidentales, donc de Macron ?

  3. Talou le 29 octobre 2023 à 00:07

    Merci pour ces mots!

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