Fractures françaises : la colère monte, le RN prospère

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« Fractures françaises : l’extrême droitisation des préférences partisanes », titre Le Monde, pour présenter la dernière livraison de l’enquête conduite depuis 12 ans par l’institut de sondage Ipsos, pour Le Monde, le Cevipof et les fondations Montaigne et Jean Jaurès.

Les données du sondage peuvent certes être relativisées. La réalité offre suffisamment de points d’appui pour ne pas se résigner à l’avènement du pire. Il est vrai que la France n’est pas passée en bloc du côté de la contre-révolution. Le rêve d’un monde apaisé et solidaire n’a pas disparu et notre société est globalement plus tolérante qu’il y a vingt ans. Tous les thèmes chers au RN ne sont pas devenus majoritaires. Mais ce que nous dit le sondage est que les éléments de cohérence qui nourrissent les comportements politiques et le vote ne se portent pas pour l’instant vers le meilleur côté.


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Ainsi, on ne croit pas (à 58%) que renvoyer les immigrés règlera les problèmes de l’économie, mais on estime pourtant massivement (65%) qu’il y a trop d’immigration et que « l’on ne se sent plus chez soi comme avant » (63%). On peut juger qu’il « faut prendre aux riches pour donner aux pauvres » (61%), mais on convient à 49% que « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société ». Il y a du mécontentement (53%) et même une colère croissante (43% contre 31% en 2021). Mais quand il faut trouver des solutions, on dit sans broncher qu’il « faut un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » (85%).

À 65%, on continue de dire que le régime démocratique « est le meilleur possible », mais sans confiance dans les institutions censées les faire vivre. Les dirigeants politiques sont jugés corrompus (68%) et les acteurs politiques ne penseraient qu’à leurs intérêts personnels (87%). Quant aux partis, ils sont au fond du trou : 10% de confiance. Qu’ils dégagent tous, donc ? Peut-être, mais quand il s’agit de passer aux travaux pratiques, tout le monde n’est pas désigné pour prendre la porte. 

On n’aime pas les partis politiques, mais on place au-dessus du lot le RN, ce parti attrape-tout, qui rassure les patrons tentés par « l’ordre » et qui attire les moins lotis, pouvant penser que la mise à l’écart des « assistés » grossira la part qui leur sera attribuée. 22% des sondés se disent sympathisants du RN, contre 8% pour le PS, LFI, Renaissance ou LR. On finit même par considérer que le RN est « capable de gouverner le pays » (47%) et que la société qu’il prône est « celle dans laquelle on souhaite vivre » (38%). Au total, le RN serait moins « dangereux pour la démocratie » (48%) que LFI (64%) ! 

On n’aime pas les partis politiques, mais on place au-dessus du lot le RN. On finit même par considérer qu’il est « capable de gouverner le pays » et que la société qu’il prône est « celle dans laquelle on souhaite vivre » . Au total, le RN serait moins « dangereux pour la démocratie » (48%) que LFI (64%) ! 

Au fond, une fois de plus, nous constatons que la colère conduit au ressentiment, si s’efface la conviction que l’on peut envisager une société sans clivages et sans mépris de classes, une société de justice et de partage. La colère sans l’espérance pousse à la désignation des boucs émissaires. Au bout du compte, elle nourrit la résignation devant les capitulations démocratiques.

Le sondage d’Ipsos renvoie à sa manière à ce que nous ont dit les évolutions électorales. Depuis 2017, la droite macroniste a réussi à repousser un grand nombre de celles et ceux qui avaient cru aux vertus du « et de droite et de gauche ». Mais sur les 14% perdus par la droite présidentielle entre 2017 et 2022, la gauche a récupéré 4% et l’extrême droite plus de 10%. En scrutin législatif, si la gauche a gagné un peu plus de six points entre 2014 et 2024, l’extrême droite a de son côté progressé de 20 points ! La colère est là, mais la gauche reste rivée au-dessous du tiers des exprimés.

Inutile de se voiler la face : l’accession au pouvoir du RN est devenue une possibilité tangible. On ne l’interrompra pas en courant derrière lui, comme le fait une grande partie de la droite. La gauche ne retrouvera pas ses couleurs en lorgnant vers le centre et en renonçant à changer la donne en profondeur. Elle n’y parviendra pas en additionnant les combats « anti », en jouant la surenchère, en cultivant l’inquiétude et la colère et en levant le poing. 

Le sondage ne nous dit pas comment faire barrage à ce qui n’est à ce jour qu’un possible. Mais il incite à penser que la gauche a encore du chemin à faire et qu’il vaudrait mieux qu’elle réfléchisse de conserve, plutôt que de s’invectiver.

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8 commentaires

  1. Denis FRANCK le 21 octobre 2025 à 16:39

    On voit bien l’illogisme des réponses des électeurs RN : la plupart ne sont pas déterminés par des réflexions politiques mais par des affects. A gauche, on peine à comprendre pourquoi le programme « social » du RN, flou et en trompe-l’œil, est plus écouté que les programmes sociaux plus ou moins radicaux des partis du NFP. Les électeurs RN, hors les idéologues fachos qui en forment le noyau dur, ne votent pas ainsi parce qu’ils sont « fâchés » mais parce qu’ils ont peur de l’avenir. Le programme « social » du RN, dont en vérité tout le monde se fout, ne sert qu’à déculpabiliser le vote. Mais même chez eux, le racisme, la xénophobie, la sécurité, les mœurs – qui sont les piliers de l’extrême-droite – sont moins déterminants que le désir de vivre tranquillement, dans un « comme avant » pourtant impossible. On a pu noter avec surprise et incompréhension qu’une grande partie du vote RN ne tenait compte ni de la faiblesse de son programme ni de l’indigence de ses candidats. On ne peut le comprendre que par la peur et le désespoir, face au déclassement, à l’abandon, aux risques climatiques et géopolitiques.
    Il ne sert à rien de promettre un avenir meilleur, les citoyens n’y croient plus. Il ne sert à rien d’embarquer les citoyens dans une colère salutaire qui leur ferait retrouver le chemin de la gauche. Nous devons au contraire apaiser nos concitoyens et nous-mêmes ! Notre seule promesse qui aurait une chance d’être entendue serait de les protéger, et de réparer ce qui doit l’être.
    Beaucoup de propositions des gauches sont déclinables sur la base de ce principe, il ne s’agit d’ailleurs pas de définir un programme commun exhaustif, mais d’illustrer quelques idées-force par des exemples possibles, des illustrations de leur pouvoir de protection et de réparation.

    • carlos_H le 3 novembre 2025 à 09:51

      il suffit de discuter avec des électeurs du RN pour comprendre que derrière chaque problème à résoudre se cache un étranger…

  2. Berthelot Jacques le 23 octobre 2025 à 10:23

    Si la gauche joue à les uns contre les autres , où chaque parti construit son écurie présidentielle avec une ou un candidat désigné , elle court au désastre , à la défaite.
    Une véritable union voudrait la construction d’un projet sérieux ( celui du NFP est une bonne base) que toute candidate ou candidat s’engage à soutenir.
    C’est la base , pour briser les égos boursouflés , les aventures individuelles , bien dans l’esprit 5ème république.

  3. Yasmine le 23 octobre 2025 à 12:44

    Ce billet ne prend pas en compte des effets et dégâts considérables produits par le pervers absolu qui est Président de la République depuis 2017.

  4. Lucien Matron le 24 octobre 2025 à 06:30

    Le RN progresse dans tous les sondages, il est aidé : par l’indigence intellectuelle et culturelle d’une part importante de la population imposée par les programmes débilitants des médias soutenus par la droite et l’extrême droite ( chaînes d’infos, magazines people, journaux et publications …), par le révisionnisme réactionnaires de certaines manifestations , par les fake News des réseaux sociaux , par la fait diversification de l’actualité ( crimes, viols, vols, accidents!, etc…Il s’agit d’une somme quotidienne et gigantesque de désinformations, une manipulation de masse construite sur des mythes et des fables. Il est surtout aidé par des politiques publiques qui répondent plus à des intérêts particuliers et financiers qu’à l’intérêt général. Il est urgent pour celles et ceux qui croient encore à une France des libertés, de l’égalité et de la fraternité de se ressaisir.

  5. Dimitri le 24 octobre 2025 à 13:45

    Le RN a progressé grâce au front républicain. En regardant les choses au macroscope, ce front républicain constitue 2 camps : le RN et « les autres ». « Les autres » ont tous fait partie de gouvernements et ont échoué. Le RN jamais.
    Si on veut que la politique rigoureuse et non populiste regagne ses lettres de noblesse, il faut arrêter immédiatement cette folie. Malheureusement, le RN en profitera et gagnera des élections majeures. Si c’est ce que les électeurs veulent, eh bien qu’ils l’aient, c’est démocratique. Mais au moins, tout le monde verra que le RN, pas plus que « les autres », n’a de recette magique.
    Et à ce moment-là, peut-être, espérons-le, commencerons-nous à regarder les choses avec le courage nécessaire. C’est-à-dire que le pacte social de 1945 doit être complètement repensé parce que la démographie l’exige. Et que ceci ne peut se faire, comme en 1945, qu’en mettant patrons et employés, possédants et travailleurs, actifs et retraités, etc. autour d’une même table.
    Peut-être ceci devra-t-il être suivi par la réorganisation des institutions.

  6. Lucien Matron le 24 octobre 2025 à 19:26

    «  Le RN n’a jamais été au pouvoir » , « on n’a jamais essayé » . Cela ne vaut pas comme argument et c’est faux. Certains fondateurs du RN ont été au pouvoir dans les années 40 : collaboration avec les occupants nazis, milices, déportations de juifs et d’opposants politiques, assassinats de résistants, corruption, main mise sur les journaux et les médias, révisionnisme culturel, etc…Inutile d’essayer.

  7. Michel Davesnes le 26 octobre 2025 à 17:31

    « La gauche ne retrouvera pas ses couleurs en lorgnant vers le centre et en renonçant à changer la donne en profondeur ».
    Bravo, M. Martelli. Vous faites de progrès. Pour une fois vous ne renvoyez pas dos à dos les socialos en peau de lapin et LFI.

    « Elle n’y parviendra pas en additionnant les combats « anti », en jouant la surenchère, en cultivant l’inquiétude et la colère et en levant le poing ».
    Ah, zut. J’ai parlé trop vite. Il a fallu que vous terminiez par un coup de pied de l’âne à la gauche de gauche. En lui reprochant de mener les combats que le parti prétendument socialiste délaisse.

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