Face à la crise : à gauche, toute la gauche

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La France est au bord de la fracture politique et du naufrage démocratique. Le RN piaffe aux portes du pouvoir. Mais toute la vie politique est suspendue aux stratégies savantes d’états-majors, aux projections des sondages et au comptage des votes à l’Assemblée.

La composition du gouvernement n’est pas bonne ? La tonalité du budget qui se dessine est inacceptable ? Dans ce cas, aucune hésitation ne devrait être possible : la censure est une arme constitutionnelle, face à un pouvoir qui persiste et signe. La « suspension » de la loi sur les retraites est une bonne chose dans l’immédiat ? L’idée que l’usage du 49.3 n’est pas une bonne méthode démocratique est une bonne proposition ? Oui. Mais est-ce que cela justifie que l’on avale tout le reste ou que l’on laisse entendre qu’il sera possible, par le débat parlementaire, dans la Chambre telle qu’elle est, de parvenir à un bon budget et à une sortie de la crise politique ? Non.


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Une politique ne se juge pas à deux mesures, qui plus est de portées mineures. La réforme des retraites n’est pas abrogée, comme le voulaient les millions de manifestants, elle est au mieux décalée, dans le plus grand flou artistique sur le champ de ladite suspension. On promet de ne pas recourir au 49.3, mais on ne dit rien de l’arsenal des dispositions qui permettent au pouvoir de passer outre aux voix de l’Assemblée.

Quand une crise s’incruste, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers le peuple souverain. Et si un risque existe qu’il se prononce en faveur du pire, ce n’est pas en reculant le moment du vote qu’on conjurera la catastrophe. Même si l’on tourne et retourne le problème dans tous les sens, on ne parviendra pas à se masquer l’essentiel de la réalité. À gauche, elle se résume à un constat : depuis 2017, la gauche ne se sort pas de ses basses eaux électorales. Quant à la droite, elle a pensé qu’elle pouvait faire barrage à l’extrême droite en jouant la carte de l’extrême centre : or, en dix ans, la droite dite « modérée » a plongé et l’extrême droite a fait un bond dans les votes exprimés.

La gauche ne peut gagner que si elle est bien à gauche et rassemblée. On peut penser ce qu’on veut de La France insoumise ou du Parti socialiste, mais ce n’est pas en se coalisant contre la « secte » LFI ou contre une énième « trahison » socialiste qu’on enrayera la mécanique infernale.

Pendant de longues années, entre 1983 et 2012, la gauche socialiste a considéré qu’elle était trop à gauche : en 2017, le total de la gauche en a payé le prix. Pendant de longues années, la droite dite « classique » a hésité pour savoir si elle devait aller un peu plus à droite ou un peu plus au centre : du coup, c’est l’extrême droite qui a fait ses choux gras des hésitations. Au cœur de la crise se trouve l’accumulation des échecs à droite et à gauche. Du coup, le face-à-face de la droite et de la gauche a perdu de son sens. Il doit être refondé, pour que l’esprit démocratique ne s’étouffe pas.

Si l’on veut éviter le pire, aujourd’hui, demain ou après-demain, ce ne sont pas les calculs tactiques et les petits marchandages qui nous protégeront. Si la droite ne se convainc pas que son avenir ne dépend pas des concessions sans cesse accumulées avec l’extrême droite, elle finira dans les fourgons de celle-ci. Et si la gauche veut éviter le désastre, elle n’y parviendra pas en se déchirant à nouveau ou en s’adonnant au sempiternel mirage de la conquête des centres. Dans le danger extrême, elle ne peut gagner que si elle est bien à gauche et rassemblée. On peut penser ce qu’on veut de La France insoumise ou du Parti socialiste, mais ce n’est pas en se coalisant contre la « secte » LFI ou contre une énième « trahison » socialiste qu’on enrayera la mécanique infernale.

La France est tiraillée entre le besoin du changement et la peur du chaos. Elle peut à la fois vouloir de la rupture et aspirer à la tranquillité et à la stabilité. Il est donc possible de ne pas reculer devant l’urgence du changement, sans pour autant ne pas entendre la peur des cataclysmes. Dès lors, il ne sert à rien de taxer d’irresponsables les impatients ou de pleutres les plus prudents. Quel que soit le moment du possible dénouement par les urnes, ce qui importe à gauche est qu’elle soit elle-même, qu’elle ne se contente pas d’attiser la colère, mais de nourrir de nouvelles espérances, qu’elle mobilise et qu’elle rassure en même temps, qu’elle parle au cœur et à l’esprit, qu’elle ajoute des forces et pas qu’elle en retranche. La gauche est diverse, mais ne se nourrit pas de querelles. Dans les grandes occasions du passé, elle a su mettre de côté ce qui la séparait et chercher ce qui la rassemblait. Il serait dramatique qu’elle y renonce aujourd’hui.

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8 commentaires

  1. Denis FRANCK le 16 octobre 2025 à 16:27

    Que la gauche soit elle-même ? Très bien, sauf qu’elle ne sait plus, que nous ne savons plus, ce qu’elle est. On a passé ce premier quart de siècle à tenter de se raccrocher au précédent, tout en sachant parfaitement que le monde changeait. On a appelé désespérément à « un nouveau récit » sans réussir à le créer. On lutte contre le RN tout en sachant qu’on n’a pas les bonnes armes. On a dit à Macron que sa logique shadok « plus ça rate, plus ça a de chance de réussir » ne fonctionnait pas, mais on fait la même chose.
    Les français, en masse, ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu’eux, ils craignent le déclassement, l’appauvrissement, l’abandon, et maintenant la guerre. Ils pensent impossible de nouveaux progrès sociaux et se raccrochent à ce qui leur reste dans le présent, en pratiquant un déni de ces changements qu’ils voient pourtant venir.
    A gauche, on peine à comprendre pourquoi le programme « social » du RN, flou et en trompe-l’œil, est plus écouté que les programmes sociaux plus ou moins radicaux des partis du NFP. Les électeurs RN, hors les idéologues fachos qui en forment le noyau dur, ne votent pas ainsi parce qu’ils sont « fâchés » mais parce qu’ils ont peur de l’avenir. Le programme social du RN, dont en vérité tout le monde se fout, ne sert qu’à déculpabiliser le vote. Mais même chez eux, le racisme, la xénophobie, la sécurité, les mœurs – qui sont les piliers de l’extrême-droite – sont moins déterminants que le désir de vivre tranquillement, dans un « comme avant » pourtant impossible. On a pu noter avec surprise et incompréhension qu’une grande partie du vote RN ne tenait compte ni de la faiblesse de son programme ni de l’indigence de ses candidats. On ne peut le comprendre que par la peur et le désespoir.
    Il ne sert à rien de promettre un avenir meilleur, les citoyens n’y croient plus. Il ne sert à rien d’embarquer les citoyens dans une colère salutaire qui leur ferait retrouver le chemin de la gauche. La colère mène soit au fascisme, soit au totalitarisme, jamais à la démocratie.
    Nous devons au contraire apaiser nos concitoyens et nous-mêmes ! Notre seule promesse qui aurait une chance d’être entendue serait de les protéger, et de réparer ce qui doit l’être.
    Beaucoup de propositions des gauches sont déclinables sur la base de ce principe, il ne s’agit d’ailleurs pas de définir un programme commun exhaustif, mais d’illustrer quelques idées-force par des exemples possibles. Un programme tout fait et complet interdirait l’essentiel d’un fonctionnement démocratique qui ne peut être qu’une co-construction permanente à partir des divergences. Il faut enfin bannir de nos partis les avatars de centralisme démocratique qui amènent à faire taire les « frondeurs » ou à bannir les divergents. Il y a des limites, bien sûr, des lignes à tracer, mais pas une « juste ligne »…
    Nous devons au contraire nous accorder sur des mécanismes démocratiques donnant toute leur place aux différentes sensibilités de gauche, rendant impossible l’hégémonie d’un parti quel qu’il soit sur les autres. Notre valeur démocratique principale doit être celle de l’intelligence collective, qui n’est pas le vote majoritaire mais l’élaboration commune de solutions et la construction permanente de consensus dans le respect de tous.
    Urgence du changement contre peur du cataclysme ? Pour moi, cela va ensemble, l’idée-maitresse de protection doit se décliner en propositions de changement.
    Le nouveau récit de la gauche pourrait tenir en deux mots : protéger et réparer.

  2. Lucien Matron le 17 octobre 2025 à 18:05

    Effectivement, si les organisations politiques qui se réclament de la gauche, ne tirent pas toutes les leçons de l’histoire, passée ou actuelle, pour se rassembler et proposer un programme de rupture par rapport à la politique Macron, alors elles offriront une victoire à l’extrême droite. Rassemblées sur la base d’un programme de gouvernement, elles peuvent gagner. Divisées et repliées chacune sur leur pré carré, alors c’est la victoire de Le Pen/ Bardella. Renoncer à cette équation fondamentale est une erreur politique lourde que ne comprend pas la population. Au contraire, lassée par les désillusions, les promesses non tenues, le non-respect des uns et des autres, elle se tourne vers ce qui lui paraît plus solide, plus lisible, plus sécurisant c’est â dire ( à tort) vers le Rassemblement National. A chacun de faire les efforts nécessaires pour constituer un front politique gagnant.
    Dans le rassemblement souhaité à gauche, pour changer la vie, chacun sait que le plus fragile est le PS toujours tenté par une vision apaisée du combat politique qui pourtant se durcit dè mois en mois. Un peu à l’image du front syndical dans lequel la CFDT est souvent la première à céder face aux coups de boutoir et au chantage du patronat.

  3. Lemarchal le 17 octobre 2025 à 20:54

    Le PS, EELV sont des partis bourgeois. Le PC de plus en plus réac avec F. Roussel. Ce sont des repoussoirs. Je ne voterai plus jamais NUPES/NFP. Il faut construire un grand parti communiste révolutionnaire.

  4. Renaud Bernard le 18 octobre 2025 à 17:08

    La crise est générale. Nous y faisons tous face. A gauche, toute la gauche. A droite, toute la droite.

  5. Michel Davesnes le 19 octobre 2025 à 06:37

    À force de vouloir ménager la chèvre et le chou, M. Martelli, vous êtes en pleine contradiction. Vous commencez en évoquant l’inconséquence des socialos qui lâchent leurs camarades pour quelque chose de complètement illusoire. Vous établissez donc clairement les responsabilités du côté du parti prétendument socialiste dans le fait que la gauche n’a pas réussi à rester unie pour voter la motion de censure de LFI. Et vous terminez en renvoyant le PS et LFI dos à dos. Ce n’est pas sérieux.

  6. Bernard Chambaz le 20 octobre 2025 à 10:45

    En passant, un peu par hasard, et m’étonnant d’une prétendue réflexion : Non, mille fois non, Monsieur Martelli ménage peut-être un tout petit peu plus la chèvre que le chou, mais il nous démontre avec intelligence (et sérieux) comment raisonner en tenant les deux (ou trois) termes de la contradiction.

  7. Michel Davesnes le 23 octobre 2025 à 04:03

    L’union pour l’union, surtout avec un parti dont la nature profonde est de trahir, ça ne marche pas. Il faut achever le parti prétendument socialiste.

    • carlos_H le 27 octobre 2025 à 18:45

      +1… j’ai pas mieux!

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