Christophe… mystérieusement

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La diffusion fin septembre sur Ciné + Emotion d’un documentaire consacré au chanteur Christophe, sobrement intitulé « Christophe… définitivement », fut une heureuse occasion pour ceux qui pleurèrent sa mort, de renouer avec l’artiste. 

Nous sommes en mars 2002. Christophe fait son retour sur scène à l’Olympia et une caméra, celle des plasticiens Ange Leccia et Dominique Gonzalez-Foerster, suit impudiquement le chanteur dans ses répétitions. Aucune voix off. Aucune explication superflue. On assiste à l’observation d’un fauve, comme dans un documentaire animalier. Les deux documentaristes sont deux naturalistes que la bête intrigue et qui tournent autour d’elle comme un sculpteur rôde autour de son modèle. 

Qu’apprend t-on ? Rien de conclusif, rien de définitif – et le titre à ce propos rate son effet. Mais là n’est pas l’objet du film, qui est de montrer un artiste au travail, d’élucider un processus de création. Certes, la nimbe de mystère entourant Christophe, après plus d’une heure passée en sa compagnie, s’est épaissie. Certes, son génie créatif, son talent de mélodiste, nous laisse encore pantois. Mais tel un archéologue heureux de découvrir de nouveaux tessons d’argile, nous nous amusons à échafauder quelques hypothèses. 

D’abord il y a sa façon de parler. Christophe avale ses mots, les écorche, les bégaye. Avec un débit de mitraillette, il cavale sur ses phrases et l’on peine à le comprendre. Il y a chez lui une belle et souveraine indifférence vis-à-vis des mots, une sorte de désinvolture qui ne s’embarrasse pas d’une bonne diction. Tout est mélodique dans ses phrases, profondément intuitif, avant même que d’être porteur d’un sens précis. Cette nonchalance, cette absence d’articulation, se retrouve magnifiée dans ses chansons, où le texte colle à la mélodie, épouse sa forme, sans jamais prendre relief sur elle. 

Christophe, on le voit dans le documentaire, travaille ses morceaux en « yaourt ». La ligne musicale est toujours première, c’est elle qui inspire le texte afin qu’il s’y greffe. Les paroles de ses chansons sont faites de plomb malléable qui suivent les inflexions de la mélodie. Le résultat est un sirop d’or, suave et liquoreux, qui nous coule entre les tympans. D’aucuns pourraient trouver cela doucereux, de mauvais goût. Il est vrai que la frontière est mince entre le sublime et le bouffon, or souvent la pièce, mystérieusement, tombe du bon côté. 

« Je veux de la reverbe ! », entend-on souvent dans le documentaire. Volontiers agacé mais jamais condescendant vis-à-vis de ses techniciens, Christophe souffle ses indications dans un charabia que lui seul comprend. Pour exprimer un désir musical, une tonalité nouvelle, l’idée d’un son, il ne s’embarrasse pas d’un solfège. À la place, il exprime ses désirs par des métaphores exotiques, des éclairs d’intuition, avec la gouaille railleuse d’un petit Poulbot parisien. 

Christophe est un mauvais garçon mué en dandy. Un bagarreur affecté d’une grâce. Il est toujours interessant, quelle que soit l’opinion qu’on porte sur un artiste, d’assister à son travail. Les résultats sont souvent de confondants mystères, comme lorsque Clouzot filma Picasso à son fusain aux studios de la Victorine à Nice. Tel est le cas ici, pour notre plus grand bonheur.

« Christophe… définitivement », film documentaire de Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia (2023, 1h24), disponible sur les plateformes myCANAL et Universciné

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