Sachez-le, Dominique Seux en a marre qu’on parle des superprofits

feerk2cx0aed-ok.png

Une fois n’est pas coutume, notre chroniqueur éco Bernard Marx se paye le chien-de-garde-en-chef de France Inter Dominique Seux.

Le directeur quotidien et matinal de notre conscience économique – et néanmoins directeur délégué de la rédaction des Échos, propriété du plus gros actionnaire du CAC 40 – Dominique Seux, pour l’appeler par son nom, n’aime pas que la question des superprofits et de leur taxation soit sur la table du débat public. Il l’a redit, ce lundi 24 octobre au micro de France Inter, pour notre édification : « Notre TDDE (notre temps de débat disponible sur l’économie) est presque à 100% consacré aux superprofits… Est-ce ce qu’il y a de mieux ? À chacun de voir ».

 

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>>
« Nuit des superprofits » : on vous refait le portrait des Picsous

 

Pour lui c’est tout vu. Dominique Seux est d’accord avec Bruno Le Maire. Et pas d’accord avec le secrétaire général de l’ONU. Les superprofits sont une fausse question qui nous détourne des vrais problèmes. Le vrai sujet dont il faut prioritairement débattre sont les endives et les freins d’avions. Eh bien soit ! Débattons endives et freins à moteur. Ou parlons plutôt de la folle envolée des prix du gaz et de l’électricité et de ses conséquences sur la production en France des endives, des freins d’avions et de bien d’autres choses en somme.

La facture annuelle d’électricité d’un producteur d’endives, explique Dominique Seux, va passer de 76.000 à 800.000 euros. Impossible à répercuter dans les prix : « Le producteur va dire stop ». Deuxième cas de figure, le groupe Safran, qui a deux usines qui produisent des freins d’avion en carbone, l’une à Villeurbanne, l’autre à Walton (dans le Kentucky). Les prix du gaz et de l’électricité sont stables là-bas. Ils sont multipliés par cinq ici. Et donc, pour produire les freins d’avion en carbone, adieu Villeurbanne et vive le Kentucky : « Les industriels européens ont objectivement intérêt à délocaliser leur production et les industriels internationaux seraient fous de venir ici ». On serait fou, en tout cas, de ne pas s’en préoccuper. Et d’urgence. Dominique Seux a raison sur ce point. Mais rien à voir avec les superprofits et tout ce qui les produit ? Vraiment ?

Sans blague !

Dominique Seux explique : l’État verse 100 milliards d’argent public aux ménages pour alléger leurs factures énergétiques. Et il prévoit tout au plus 10 à 15 milliards pour les entreprises. C’est un rapport de 1 à 10. Et selon lui le compte n’y est pas : « La question est de savoir si cela est suffisant et si à force de penser aux particuliers, le monde économique n’a pas été un peu délaissé – ce qui ne serait pas la première fois en France ». « Le monde économique » (entendez « le grand capital », car ce jargon était finalement plus précis que celui de Dominique Seux) délaissé par les politiques Sarkozy, puis Hollande, puis Macron ? Sans blague ! comme disait le génial clown Grock de mon enfance.

Allez chiche ! Dominique Seux, un jour, un seul, laissez la parole à l’un des chercheurs de l’université de Lille, auteurs du rapport commandé par la CGT, en lien avec l’Ires, sur les aides publiques aux entreprises paru il y a trois semaines[[ Aïmane ABDELSALAM, Florian BOTTE, Laurent CORDONNIER, Thomas DALLERY, Vincent DUWICQUET, Jordan MELMIES, Simon NADEL, Franck VAN DE VELDE, Loïck TANGE, Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, IRES (octobre 2022).]]. Juste pour qu’ils puissent informer et expliquer les 150 milliards d’aides publiques aux entreprises et leurs effets.

feerk2cx0aed-ok.png

[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]

 

Un rapport de 1 à 10 entre le bouclier tarifaire pour les ménages et celui pour les entreprises ? Mais si l’on regarde l’année passée c’est un bobard, un gros bobard. L’Insee a calculé la hausse des prix de l’énergie pour les ménages et pour les entreprises avec et sans bouclier tarifaire, entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022. Résultat : la hausse des prix avec bouclier a été de 28% pour les ménages et de… 20% pour les entreprises. Sans bouclier, elle aurait été de 54% pour les ménages et de… 50% pour les entreprises. Une protection équivalente des uns et des autres.

Et puis il faut savoir ce que l’on veut. Pour le « monde économique », l’argent public versé pour financer le bouclier tarifaire des ménages n’a pas été de l’argent gaspillé. On admet en général qu’il a été bien utile pour tenir, dans la durée, la désindexation des salaires.

Et donc maintenant, si l’on veut renforcer le bouclier tarifaire énergétique des entreprises pour éviter les fermetures d’entreprises et de nouvelles délocalisations, où va-t-on chercher l’argent ? Du coté des ménages ? Mais c’est la politique de gribouille. Ils diminueront leurs achats d’endives et de bien d’autres choses. Alors oui, taxer les superprofits, cela serait non seulement utile mais indispensable.

Porteur de défaitisme

Bien entendu, ce ne devrait pas être le seul levier. À Safran, par exemple, l’État est le plus gros actionnaire. Ne devrait-il pas parler plus haut et plus fort pour que Safran maintienne et même développe ses productions de frein en carbone en France. Le conditionnement des aides publiques, ce devrait être la règle.

C’est bien une guerre économique qui s’est installée en Europe. Son impact sur le soutien de l’Europe à l’Ukraine ne doit pas être sous-estimé. Comme l’écrit la journaliste économique de Mediapart Martine Orange, dans des circonstances comparables, les États ont légitimement usé de moyens exceptionnels, « c’est-à-dire reprendre le contrôle de l’économie, imposer des règles exceptionnelles, mettre entre parenthèses certaines lois du marché ». La taxation des superprofits fait incontestablement partie de ces moyens. Face à la guerre de Poutine, c’est faire preuve de défaitisme que de refuser même d’en discuter.

 

Bernard Marx

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire