« Pas de social sans démocratie »
François Ruffin se veut social et démocrate. Social-démocrate ? On a proposé à six personnalités de gauche de prolonger la réflexion. Raquel Garrido est députée LFI-NUPES de Seine-Saint-Denis.
Le 20 octobre au matin, l’Assemblée nationale avait débuté l’examen de la première partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Elle a voté contre, essentiellement pour une raison de manque de sincérité de la présentation budgétaire. L’après-midi du même jour, à propos de la deuxième partie du PLFSS, la majorité de l’Assemblée (à ne pas confondre à la minorité présidentielle) continuait de mettre les macronistes en minorité, notamment à cause de l’insuffisance des sommes prévues pour l’hôpital public.
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Et paf. Le gouvernement a dégainé le 49.3. Notez bien qu’on dit dégainer le 49.3 comme on dit dégainer un revolver. C’est très à propos. Le 49.3 est un revolver qui cible la démocratie. Un revolver qui cible la « Nation ici assemblée », selon la formule utilisée par le doyen Bailly le 23 juin 1789 lorsque Louis XVI tenta en vain d’en terminer avec les États généraux. Le même jour, Mirabeau rétorquait au commis du roi, le marquis de Dreux-Brézé, que les députés étaient là par la volonté du peuple et n’en sortiraient que par la force des baïonettes.
Retour en octobre 2022. Alors que la première journée de débat n’était même pas finie, le pouvoir exécutif a donc choisi la facilité. Le 49.3. Le fameux 49.3. Cet article mal aimé de la constitution est une sorte de télécommande magique qui lui permet de couper le son.
La démocratie comme possibilité de respiration
Les 25 octobre, l’Assemblée avait repris ses travaux sur la quatrième partie du texte. Elle avait tant à dire. Elle aurait pu, conformément au rapport Fiat-Iborra, imposer un ratio minimal entre soignants et résidents pour en finir avec la maltraitance en Ehpad. Elle aurait pu obliger les industries pharmaceutiques à prévoir un stock d’au moins quatre mois de couverture en médicaments. Elle aurait pu s’assurer que l’augmentation du plus gros budget de l’État, le budget de la Santé, soit suffisante pour ne pas être grignotée par l’inflation.
Tout cela, le gouvernement l’a refusé. Il a même refusé qu’on en débatte. Et donc il a sorti sa télécommande maléfique. Le 25 novembre, en deuxième lecture, la Première ministre a battu un record historique en permettant, avant le 49.3, un débat d’une durée record de ZÉRO heure, ZÉRO minute et ZÉRO seconde. Aux yeux du public, les amis du Président Macron n’en sortent pas grandis. Les Français, qui ont volontairement placé-là ces 577 parlementaires, les voient faire et ont bien compris que leur intention est de nier leurs votes.
On sait tous qu’ils auraient préféré, conformément à la logique de la Vème République, que l’Assemblée nationale soit la courroie de transmission de l’Élysée. Vont-ils finir par comprendre que cette période est révolue ? En réalité, la nouvelle composition de l’Assemblée est une respiration démocratique. Elle condamne moralement et concrètement toute la philosophie qui a conduit à forger des institutions où un peuple tout entier, et sa représentation, se dépossédaient de leur pouvoir, au bénéfice d’un seul homme, le président de la République tout puissant.
Pas d’avancée sociale sans avancée démocratique
Le 30 novembre, lors de la lecture définitive de ce PLFSS, le gouvernement a encore dégainé son 49.3. Cet article 49.3 est condamné par l’Histoire. Il n’a aucune justification politique. Il s’agit tout simplement d’un abus de pouvoir légalisé par la constitution de 1958 – qui est elle-même condamnée par l’Histoire. Les institutions de la Vème République ont ceci de singulier qu’elles octroient l’essentiel du pouvoir gouvernant à un homme seul, le Président, lequel est irresponsable politiquement. L’irresponsabilité politique est une notion juridique, constitutionnelle. Dans les pays démocratiques, les personnes détentrices du pouvoir gouvernant sont responsables devant au moins le Parlement, lorsque ce n’est pas directement devant le peuple par la voie du droit de révoquer les élus en cours de mandat. Utopie ? Non. Simple logique démocratique.
Par la façon dont il a empêché l’examen du PLFSS 2023, le gouvernement a accéléré la mutation démocratique dont la France a besoin. Oui, il faut débarrasser la constitution de l’article 49.3. Il en a apporté la preuve. Que chacun se le tienne pour dit, il n’y aura pas d’avancée sociale sans avancée démocratique.
Je m’adresse aux soignants, aux malades, aux résidents, aux aidants, à toutes les personnes dans l’angoisse de l’accès à des soins, à toutes les personnes dont le sacrifice quotidien au travail maintien en vie la grande idée de Sécurité sociale qui fait de nous un peuple uni et solidaire. Je m’adresse aux jeunes générations qui le 31 octobre dernier avaient observé dans l’allégresse l’adoption, par la majorité des députés, d’un budget de 12 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments avant que le gouvernement ne l’annule par 49.3.
Si vous voulez que cesse la prédation marchande sur les services de santé, si vous voulez que cesse le sabotage orchestré au sommet de l’État contre notre patrimoine commun, si vous voulez que les puissants renoncent à leurs bénéfices au nom de la survie de l’espèce humaine, il faut entrer maintenant dans le combat pour la 6ème République. Si nous nous y mettons tous, nous y arriverons. Nous sortirons démocratiquement et pacifiquement de cette monarchie présidentielle. C’est la condition sine qua non de nos futures victoires.
Raquel Garrido