« Social-démocratie versus révolution : les termes du monde d’avant… la crise écologique »

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François Ruffin se veut social et démocrate. Social-démocrate ? On a proposé à six personnalités de gauche de prolonger la réflexion. Sandrine Rousseau est députée EELV-NUPES de Paris.

La social-démocratie ou la révolution désignent des moyens d’action, des chemins. La lutte des classes versus la puissance réformatrice des politiques publiques, le dilemme est posé et il l’est depuis bien longtemps. Doit-on au fond tenir les barricades ou entretenir les cages d’escaliers ? Tels sont les termes du débat. La contrainte écologique est absente de ces réflexions et, pourtant, elle change tout. Car il ne s’agit plus de s’interroger en longueur sur les moyens mais de poser une obligation de résultat et de surcroît dans un délai très court. Nous avons quelques mois, nous n’avons même plus le luxe des années. Le danger est à nos portes.

 

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Nous sommes à +1,1 degré, quoi qu’il se passe aujourd’hui nous atteindrons 1,5. Déjà, ce sera dur. Les sécheresses, canicules, feux, pluies diluviennes et tempêtes se multiplieront. Les aléas climatiques menaceront nos maisons autant que notre nourriture, ils mettront sur la route quantité de désœuvrés en mal de région ou de pays d’accueil. Aucun régime démocratique n’encaissera facilement un tel choc. Mais le pire est à venir puisqu’aujourd’hui, sans prise de conscience et sans politiques publiques d’ampleur, les prévisions placent l’augmentation des températures autour de 2,7 degrés. C’est un monde inconnu qui s’annonce. Et lorsque l’inconnu arrive, vient avec lui l’ensauvagement, jamais très loin, toujours menaçant. Nous pensons nos démocraties solides, elles ont des pieds d’argile. Alors que faire ?

Révolutionner la social-démocratie et démocratiser la révolution

Révolutionner la social-démocratie. Face au mur qui arrive, il serait temps de changer de focale, ne plus chercher la croissance, la compétitivité ou le pouvoir d’achat mais bien de préparer, avec chaque euro disponible, le pouvoir de vivre dignement de chacun dans un monde incertain, la résistance de nos services publics aux enjeux climatiques et sociaux et travailler le partage des ressources devenant rares. Plutôt que de poursuivre nos relations avec les dictatures qui nous fournissent la drogue dure des énergies fossiles, réformons notre modèle énergétique, apprenons la sobriété, concentrons-nous sur le nécessaire, l’essentiel et balayons le superflu. Allons chercher les plus riches, les grandes entreprises, les profiteurs de crise, pour les faire redescendre de leur toute puissance et les obliger à financer la transformation indispensable. Leur fortune est acquise sur la pollution, la destruction, la mise en danger d’autrui, l’exploitation des humains comme des non humains. Nous avons besoin de l’État et de son intervention, de sa capacité à encadrer, limiter, orienter. Nous avons besoin d’un état du soin et du respect, d’un État social et écologique, en somme, comme le dirait Éloi Laurent. Il n’est plus possible que l’État soit là pour conforter le libéralisme, détruire nos systèmes sociaux, invoquer la croissance, ce mot mensonge quand il s’agit en fait de destructions.

Démocratiser la Révolution. Il n’est pas certain que la révolution prolétarienne soit au coin de la rue. Les ouvriers se partagent entre gauche de rupture et pré-fascisme. Ils hésitent. Leur dignité, leur place, leurs conditions de vie sont trop ballottées au gré des volontés des multinationales. Il n’y a plus de noblesse à être de la classe ouvrière, il n’y a que pénibilité et angoisse de voir son emploi disparaître à la faveur d’une politique d’optimisation du profit, encouragée par les discours de dirigeants politiques. Il n’y pas davantage de fierté d’appartenir à cette classe de serviteurs, nouveaux prolétaires indispensables à notre société de consommation.

La radicalité comme horizon

L’anarchisme, les utopies socialistes sont des modèles à réexplorer. Ils redonnent une place et une dignité. Comme le dit Réjane Sénac, la révolution se fera peut-être à partir des jardins partagés et des ZAD. Elle sera radicale et fluide. Elle sera désobéissante et autogestionnaire ou ne sera pas. « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », dit un slogan trompeur. Au contraire ! Les jardins ouvriers, partagés, créoles, sont autant d’espaces de liberté et d’émancipation. Le capitalisme est venu de la tragédie des communs, de la privatisation des terres cultivées, la transformation viendra de la réappropriation des communs par le peuple, de l’émancipation du capitalisme par l’autonomie.

Le récit de l’écologie et de la gauche ne peut pas emprunter les mots et les maux du monde d’avant. La finitude de notre modèle de développement, les limites planétaires et les bouleversements à venir, nous obligent à penser le monde autrement et à inventer une grammaire politique nouvelle, innovante et créatrice. Ce récit inédit ne s’ancrera qu’à la faveur de la prise en compte des situations personnelles et singulières, des institutions actuelles autant que des utopies que nous parviendrons à penser. La forme est le fond disent les juristes, la radicalité sera notre futur si elle permet aujourd’hui de penser en dehors du cadre et de nos habitudes passées.

Que vive une écologie radicalement sociale et populaire, féministe et antiraciste !

 

Sandrine Rousseau

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