À celles et ceux qui aiment lire, et lire encore…

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Si vous n’avez pas encore fait votre pile, ou si comme moi vous la faites et la refaites à l’infini, je pose là quelques livres qui m’ont marquée cette année.

À celles et ceux qui aiment lire, et lire encore… et jouissent de l’été, souvent plus propice à tourner les pages…

Commençons par les romans.

Mon amie Mathilde Larrère me l’a recommandé, et je l’ai dévoré : Les Contemplées. La jeune Pauline Hillier pose un regard féministe sur La Manouba, prison de femmes en Tunisie, où elle a séjourné. Avec finesse et douceur, elle décrit l’arbitraire des peines et la dureté des conditions d’enfermement. Elle nous parle des odeurs ou des silences, de ces corps malmenés, du manque d’intimité et de liberté. Elle nous raconte aussi la sororité. L’histoire de ces femmes enfermées au « Pavillon D » est pétrie d’injustice et de domination patriarcale. Un livre fort.

Pour celles et ceux qui me connaissent, vous ne serez pas étonnés que je vous invite à lire Quand tu écouteras cette chanson – oui, je suis définitivement fan de Lola Lafon. L’auteure a passé une nuit dans l’appartement où vécut Anne Franck avant sa déportation. Elle nous fait partager ses sensations. Elle nous invite à sortir notre regard des stéréotypes sur cette jeune fille devenue icône. Elle nous emmène sur des chemins de traverse féministes et fait vibrer la liberté contre tous les autoritarismes. L’un des plus jolis récits de Lola Lafon.

Le Mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli, nous embarque justement au cœur du régime autoritaire russe. Ayant lu de mauvaises critiques qui pointait notamment la dimension insuffisamment réaliste de son personnage principal, librement inspiré du conseiller de Poutine Vladislav Sourkov, j’avais hésité à le lire. Pas de regret de m’être laissée convaincre par plusieurs proches enthousiastes ! Cette fiction porte une réflexion sur le pouvoir. Ce qu’il fait aux hommes. Ce que l’on vient y chercher. Ce que l’on oublie en l’exerçant. Sa description romanesque recèle une dimension intemporelle, celle de l’adrénaline que procure le pouvoir ou encore celle des mécanismes de cour.

Pour les grands lecteurs, je ne résiste pas à partager mon gros coup de cœur (c’est le cas de la dire…) de l’hiver dernier : Le cœur ne cède pas de Grégoire Bouiller. Un roman que j’ai eu du mal à lâcher, en dépit de ses 876 pages (les trois derniers jours, je lisais 20 pages par 20 pages, pour faire durer le plaisir, c’est vous dire…). C’est l’histoire d’une enquête à partir d’un fait divers de 1985. Une femme d’un certain âge, ancienne mannequin, s’est laissée mourir de faim dans son petit appartement parisien. Les médias mettent en cause la solitude des grandes villes. Bouiller n’y croit pas et se lance dans la recherche des raisons de cette mort atroce. Toutes les hypothèses sont fouillées, donnant l’occasion d’un voyage historique, sociologique, psychologique… Et évidemment, l’auteur retombe sur sa propre histoire. Je n’ai pas de meilleurs mots que ceux de la critique des Inrocks : « époustouflant corps à cœur ».

Côté essais…

Oui, même sur la plage, si on a la chance d’y aller, on peut lire L’État droit dans le mur. Rebâtir l’action publique. L’économiste Anne-Laure Delatte a réussi la performance de rendre le moins aride possible la lecture du budget de l’État. Le résultat de son travail, qui inscrit les chiffres dans la longue durée pour mieux dégager les bouleversements à l’oeuvre, est super agréable à lire. Et l’on apprend, par le menu détail, comment les gouvernements néolibéraux français ont distribué l’argent public, aveuglément aux grandes entreprises au détriment de la justice et des citoyen.nes… Passionnant et très utile.

Comme beaucoup si j’en juge par le succès de librairie d’ores et déjà enregistré, j’ai été séduite par la plume et l’énergie de Camille Étienne. Pour un soulèvement écologique. Dépasser notre impuissance collective vaut le détour. C’est un appel à agir sur un enjeu vital. C’est aussi une façon de saisir comment chez les jeunes générations écolos, on se pose les questions. C’est enfin, derrière le constat de départ globalement connu et déprimant, un souffle d’optimisme. J’ai vraiment aimé.

Alors que nombre d’entre vous s’apprête à faire le plein de séries pendant les vacances, je recommande un tout petit essai, dans la chouette collection « Libelle » du Seuil (ok, c’est un peu de parti pris, j’ai publié dedans mes Faussaires de la République, mais j’ai lu tous les autres, et je trouve que c’est vraiment une belle brochette de coups de gueule) : Netflix, l’aliénation en série. À vrai dire, je ne sais pas si je suis d’accord avec tout ce que Romain Blondeau avance, qui est assez unilatéral, mais assurément ce texte est stimulant et plutôt décapant.

Enfin, pour celles et ceux passionnés de théorie politique, je termine par un livre que j’ai lu cette année mais qui date de 2018 : « Eux » et « nous », une alternative au populisme de gauche. Le philosophe marxiste, ou plutôt marxien, Jacques Bidet, dont j’apprécie beaucoup la pensée, aborde dans cet essai exigeant (plus difficile sur un transat au milieu des cris des enfants, des bruits de pelles ou de balles…) la structure moderne de classe. Il s’attarde en particulier, et c’est la thèse centrale du livre, à décrire une classe dominante constituée de deux pôles : les tenants du pouvoir-capital, qui défendent la propriété, d’une part et les compétents, qui organisent et structurent. Autrement dit, il y a bien deux classes, la classe dominante et la classe fondamentale, mais il y a trois forces sociales, puisque la classe dominante comporte deux pôles. En conséquence, la lutte sociale et politique est à comprendre sous la forme paradoxale d’un duel triangulaire. Cet essai de Jacques Bidet, vraiment stimulant, permet de penser les médiations indispensables pour gagner.

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10 commentaires

  1. Glycère BENOÎT le 19 juillet 2023 à 09:37

    L’écriture inclusive est un choix exigeant, car il accroît les occasions de commettre des fautes de français. Clémentine Autain a oublié d’écrire ‘fait aux hommes et aux femmes’, ‘Pour les grand.e.s lect.eur.rice.s’, ‘les tenant.e.s’ et les ‘compétent.e.s’.

    On remarque au passage que le titre de l’essai de Jacques Bidet est lui-même entaché d’une faute grammaticale. Il aurait dû écrire ‘« Eux et elles » et « nous » ?’ et non pas ‘« Eux » et « nous » ?’. Un choix exigeant en effet, qui met à rude épreuve les meilleurs esprits, et aussi, probablement, les lect.eur.rice.s.

    • dominique courtois le 20 juillet 2023 à 23:20

      Ne venez-vous pas de démontrer que la langue vit et ne sécrète pas?

      • Glycère BENOÎT le 21 juillet 2023 à 15:44

        Je présume que vous vouliez écrire ‘décrète’. Oui bien sûr une langue vit par ses locuteurs, c’est-à-dire nous tous. Nous ne sommes pas tous grammairiens, experts du bon usage. En cela, une langue, comme tous les êtres vivant, peut connaître le déclin et la mort, sous l’action de diverses causes. Les mauvais locuteurs en sont une, par leur incapacité à s’exprimer correctement, ainsi que les démagogues qui cherchent à capter une clientèle parmi eux en adoptant leur langage. Ils dégradent en interne la langue. Il y a aussi des facteurs externes. Les effets sont conjugués et posent la question de la survie du français.

        En attendant, il est à l’honneur de chacun de combattre son déclin et de s’efforcer de le parler clairement et correctement. Un premier stade, très accessible intellectuellement, est de ne pas utiliser l’écriture inclusive, qui est une imbécillité.

        • Bernard leprêtre le 4 septembre 2023 à 09:09

          Je ne suis pas emballé non plus par l’écriture dite inclusive. Du reste il est possible de dire ou d’écrire « les électrices et les électeurs » (par exemple) sans passer par l’abominable « élect.eur.rice.s ».
          Cela dit, je ne suis pas sûr que le déclin d’une langue soit lié au « mauvais usage » qu’on peut en faire. Je suis même plutôt persuadé du contraire. Bon nombre d’anglophones maltraitent allègrement leur langue (syntaxe approximative, orthographe phonétique etc.), ce qui n’empêche pas l’anglais de triompher partout.
          Je ne suis pas sûr non plus que « les démagogues » adoptent le language de ceux (et celles) qu’ils cherchent à convaincre. Les démagogues auraient plutôt tendance à manipuler le sens des mots pour travestir la réalité. Ainsi l’expression « plan social » (pour « licenciement ») n’a pas été inventée par les salariés mais par les employeurs et les politiciens. De même « opération spéciale » pour « invasion » etc. Ce qui n’aide pas à y voir plus clair, mais c’est le but.

          Le déclin du français (si déclin il y a) tient plutôt selon moi simplement à la domination culturelle et économique anglo-saxonne et à la servilité avec laquelle beaucoup de francophones l’acceptent et même la devancent.

          Tout ceci ne devant évidemment pas empêcher de chercher à s’exprimer « correctement », c’est-à-dire aussi clairement que possible.

          Merci à Clémentine Autain pour ses conseils de lecture.

          • Glycère BENOÎT le 5 septembre 2023 à 12:29

            Les démagogues, par définition, cherchent à séduire les foules par des discours. Ils adaptent leur langage à leur clientèle, qui aime les écouter. Où sont-ils les plus nombreux, à droite ou à gauche ? Chacun a son opinion là-dessus. Parler de plan social pour éviter de parler de plan de licenciement, c’est un langage démagogique, sans conteste. Parler de stalinisme pour éviter de parler de communisme, c’en est un aussi.



    • Tom le 21 juillet 2023 à 20:43

      Existe-t-il d’autres méthodes pour être inclusif que celle utilisant des syntaxe telle que ‘grand.e.s lect.eur.rice.s’? Lorsque je lis ce type de formulation, je trouve que c’est toujours plus de decalage entre l’ecrit et l’oral, plus de difficulté pour les apprenants, les dys, … C’est toujours plus de regles donc de fautes! Par la meme, davantage d’exclusions, davantage de domination bourgeoise par la langue.

  2. Ielle le 21 juillet 2023 à 22:28

    Vous êtes bien sûre de vous, Mme Benoît…
    Je vous invite à ėcouter (ou regarder) ce très bref entretien
    https://m.youtube.com/watch?v=LoaM2nHTDO4
    Iel est bien joli, et je l’ai définitivement adopté.

    • Glycère BENOÎT le 22 juillet 2023 à 19:44

      @Ielle. Glycère est un prénom épicène, comme Dominique ou Stéphane. Faites simple, ne me donnez pas du Mme, nous ne sommes pas en cérémonie. Vous m’appelez Glycère, je vous appelle Ielle sans spéculer sur votre sexe, le vôtre comme le mien n’ont rien à voir avec nos arguments.

      L’entretien est intéressant. La féminisation des noms de métier ou de fonction n’est pas de l’écriture inclusive. Elle s’inscrit dans une évolution normale de la langue. Naguère la préfète c’était l’épouse du préfet. Maintenant la préfète occupe la même fonction que le préfet et c’est très bien ainsi. Au demeurant l’usage est flottant : comment appeler une femme médecin par exemple ? On dit un médecin, dans ce cas la fonction prime le sexe de la personne qui l’occupe.

      La plupart du temps le contexte permet de lever toute ambiguïté liée au genre sans cesser de s’exprimer en français correct. L’exemple choisi n’a rien de probant. Une autre tournure aurait permis d’être parfaitement clair : plutôt que de dire les adolescents, il suffisait de dire les jeune garçons, comme on dit les jeunes filles.

      Vous trouvez que iel c’est joli, je trouve ça affreux. Question de goût. Utilisez-le alors. Si vous ne l’utilisez pas, un autre l’utilisera à votre place.

  3. Berthelot Jacques le 24 juillet 2023 à 17:18

    Le livre vaste sujet.
    Son prix , barrière d’accès pour beaucoup : il faut compter environ 20 euros ou plus pour une nouveauté
    D’où l’importance de la gratuité des bibliothèques et médiathèques ( Des municipalités font ce choix ) et la multiplication des boites à livres.
    Sujet dont doit se préoccuper la gauche , pour une promotion effective de la lecture et de l’accès au livre.
    Cordialement.

  4. Emmanuel Lazinier le 22 août 2023 à 12:46

    « une classe dominante constituée de deux pôles : les tenants du pouvoir-capital […], d’une part et les compétents, qui organisent et structurent. »

    Puisque on se décide enfin à rééditer le père de la sociologie {https://www.editions-hermann.fr/livre/systeme-de-politique-positive-tome-i-2-auguste-comte}, il devient possible de confronter cette idée avec la conception des deux pouvoirs, temporel et spirituel, qui, selon Comte, coexistent dans toute société humaine.

    Contrairement à Jacques Bidet, Comte ne voyait pas ces deux pouvoirs comme nécessairement alliés (leur fusion totale n’étant pas autre chose que ce que nous appelons aujourd’hui le totalitarisme !). Tout au contraire il les voyait comme devant se séparer de plus en plus {http://rendrecomte.blogspot.com/2016/04/separation-du-spirituel-et-du-temporel.html}.

    Et, au passage, il accordait aux femmes et aux prolétaires la vocation à rejoindre le pouvoir spirituel !

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