« Le problème depuis le 7 janvier 2015, ce n’est pas Charlie, c’est le ‘charlisme’ qui s’en revendique mais ne fait rire personne »
Dix ans que la rédaction de Charlie s’est faite décimée. On en cause avec Daniel Schneidermann, qui analyse l’émergence du « charlisme » et sa radicalité.
Daniel Schneidermann est le fondateur du site Arrêt sur images. Il vient de publier Le Charlisme, aux éditions du Seuil.
Regards. Votre livre est adressé « à ceux qui ont jadis aimé Charlie ». Pouvez-vous nous raconter ce que c’était, ce Charlie de la grande époque, celui que vous, tout comme une large frange de la gauche, avez adoré lire ?
Daniel Schneidermann. J’ai connu Charlie lorsque j’étais lycéen. C’était un journal anar, un peu tendre. Duduche me parlait de moi, Reiser me parlait d’écologie, Gébé me parlait d’utopie, Wolinski me parlait de sexe… tout ça joyeux, sans tabou et atrocement mal-pensant. Alors que Pilote m’offrait mon lot de bandes dessinées, j’ai découvert un certain nombre de problèmes grâce à Charlie. Quand je suis devenu étudiant, en 78-79, j’ai assez vite cessé de le lire. Puis j’ai repris contact avec le journal au moment de la Yougoslavie. Charlie soutenait alors de manière très intensive l’Otan contre la Serbie. C’était devenu un journal de guerre, un journal en guerre. Ce qui était extrêmement troublant – et là où l’arnaque a commencé –, c’est qu’il y avait toujours Cavanna, Cabu, Wolinski, ce qui fait que le virage radical de Charlie est passé relativement inaperçu pour beaucoup de gens. Le glissement s’est fait par étape. Après le 11-Septembre, Charlie devient une machine de guerre contre les musulmans. Les caricatures de 2006 sont une autre étape. Finalement, il y a 2015.
Pourquoi tout le monde est crispé sur la question de Charlie ? Qu’est-ce qui pose problème, la question de la liberté d’expression, celle de l’islam ?
Si on faisait le compte, disons depuis 2000, des couvertures, des dessins de Charlie consacrés à l’islam, au christianisme et au judaïsme, il n’y aurait pas de doute quant à savoir quelle religion les obsède. Pour ce qui est de leur explication selon laquelle Charlie ne serait pas islamophobe mais « contre les jihadistes et les intégristes », c’est tout le problème des caricatures : la caricature est caricaturale et ne fait pas dans le détail. Caricaturer un jihadiste ou un intégriste en lui donnant les traits d’une adolescente voilée, est-ce que ça cible l’emprise de l’intégrisme ou simplement jette l’opprobre sur toutes les gamines de banlieue qui mettent des voiles ? À la différence, Charlie était bien plus à l’aise pour se moquer du pape et des curés que du catholique de base… Lorsque les « charlistes », peut-être de bonne foi, se défendent d’être islamophobes, c’est peut-être vrai dans l’intention, mais ils produisent un journal et des dessins, au minimum depuis 2006, profondément islamophobes.
« Le charlisme est une supercherie, une conception étroite de la laïcité mais, surtout, c’est Charlie sans les blagues, sans l’humour. »
2015 fut une année terrible pour Charlie. Mais fut-elle un tournant ou une bascule ? Qu’est-ce qui a changé en dix ans pour que ce « Charlie qu’on a aimé » ne soit plus ?
Le changement date de bien avant 2015. Charlie était déjà très mobilisé contre l’islam, l’intégrisme, etc. Mais ils affirmaient alors une sensibilité politique laïque avec laquelle on avait la possibilité d’être en désaccord. Depuis 2015, on n’a plus le droit de les contester. Ils ont payé le prix du sang, un prix épouvantable pour défendre leurs convictions, on a été avec eux, on les a soutenus, on a pleuré… Il s’est alors développé une autocensure générale qui fait que Caroline Fourest peut raconter régulièrement n’importe quoi à la télévision, elle sera toujours à la télévision le lendemain. Il n’y a plus de contestation possible du charlisme. Cette impossibilité joue aussi sur notre mauvaise conscience, celle de tous ceux qui avant 2015 trouvaient exagérées les menaces qui pesaient sur Charlie. Il y a un remords rétrospectif face au coup de tonnerre du 7-Janvier. En ce qui me concerne, le véritable problème, ce n’est pas Charlie, c’est le « charlisme » hors les murs, celui qui a son rond de serviette à France Inter, chez Pujadas à LCI, à BFM ou sur Europe 1, comme dans l’édition. Ce n’est pas une organisation au sens propre, c’est un réseau, c’est l’unité de la meute, présente dans tous les médias, qui vient au secours d’un de ses membres dès qu’il a des ennuis. L’organe central du charlisme, depuis 2015, ça n’est plus Charlie, c’est Franc Tireur, le Printemps républicain, ce sont les chroniques de Caroline Fourest. Le mouvement de solidarité #JeSuisCharlie de 2015 est devenu une sensibilité politique intolérante, hégémonique – ou du moins prétendant à l’hégémonie –, adossé à l’extrême droite et à la droite extrême, jetant l’anathème sur tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. Le charlisme est une supercherie, une conception étroite de la laïcité mais, surtout, c’est Charlie sans les blagues, sans l’humour – bien qu’ils continuent de s’en revendiquer. Mais qui rit aujourd’hui en écoutant Sophia Aram ?
Le problème est que lorsque l’on écoute les membres de l’équipe actuelle de Charlie, et comme ce matin l’équipe de France Inter, il y aurait en France ou il devrait y avoir une liberté totale d’expression et de caricaturer.
C’est inexact cette liberté est encadrée: la loi ne permet pas l’incitation à la haine raciale , le négationnisme, la diffamation……
Il est bon de rappeler que l’on ne peut pas tout écrire ou caricaturer.
C’est l’extrème droite qui à longueur de temps dit « on ne peut plus rien dire » et demande l’abrogation de la loi Gayssot au nom de « la liberté d’expression ».
Vous oubliez (comme beaucoup…) un point radical, et… philosophique.
La liberté d’expression est totale tant qu’elle est expression d’une pensée. Et toute pensée accepte de se soumettre elle-même à la critique, sinon elle n’est plus pensée.
Les attaques contre les personnes, elles, sont limitées : la simple ironie ou moquerie n’est pas insulte (du latin saltare : sauter, prélude à agression physique) ou injure (jus : atteinte au droit) et encore moins appel à l’exclusion de la communauté humaine (untermensch, chez les nazis pour les juifs, « animaux » chez les extrémistes juifs pour les palestiniens)
et, de plus fort, au meurtre. Les jurisprudences des tribunaux sont multiples là-dessus…
Enfin la liberté ne saurait être « encadrée » (si vous posez un cadre vous fabriquez du hors-cadre et TOUS les progrès humains en arts, sciences et techniques viennent des hors-cadres, des dissidences, des marges…) La liberté (d’expression, donc) n’est pas cadrée, elle est structurée par le droit, et ce sont même les principes du droit qui permettent son exercice réel, qui est illimité. Et même les règles élémentaires : la grammaire (très contraignant !) permet parole et écrit.
Question : au nom de la liberté de penser (acte) et de pensée (résultat de l’acte), ai-je le droit d’avoir des opinions racistes – et de les exprimer ? Vous avez quatre heures…
Oui, tant que vous ne les mettez pas en acte.
Si la réponse à cette question serait hélas oui , il faut militer comme la fachosphère pour l’abrogation de la loi Gayssot.
Je suis Lepenisme !
Ce qui est fascinant chez ce pseudo-journaliste,c’est que lui seul possède la Vérité,Charlie n est plus Charlie et pire ils sont devenus islamophobes,peut-être n à t il pas lu Charlie depuis très très longtemps.Ce triste sire devrait durtout apprendre à se taire cela lui éviterait de proférer de telles billevesees.
Daniel Schneidermann, fidèle à lui-même, ne pense pas : il projette ses propres fantasmes et éructe.
Quant il écrit : « Si on faisait le compte, disons depuis 2000, des couvertures, des dessins de Charlie consacrés à l’islam, au christianisme et au judaïsme, il n’y aurait pas de doute quant à savoir quelle religion les obsède », il oublie – non ! il ignore délibérément qu’il ne s’agit pas d’obsession mais tout simplement de ce que l’actualité relève plus d’événements relatifs à l’intégrisme musulman qu’aux intégrismes chrétiens et juifs. C’est aussi simple que cela. Enfin, n’importe qui fréquente les milieux des médias peut très facilement se rendre compte que l’allusion à des « réseaux », à une « meute » et autres fariboles sur les « ronds de serviette » relève de fantasmes.
Daniel Schneidermann a raison. L’obsession de Charlie Hebdo, ce n’est pas l’islamisme, c’est l’islam. La laïcité, ce n’est pas combattre les religions (que l’on a le droit de critiquer et dont on peut même se moquer) mais parmettre aux croyants de TOUTES les religions et aux non croyants de cohabiter.
Daniel Schneidermann a travaillé au Monde, à Libération, ailleurs aussi probablement. Ces journaux sont-ils islamophobes parce qu’ils ne commentent que les attentats signés « allah akbar » ? Traiter Charlie-Hebdo d’islamophobe, c’est mal connaitre ce canard et ne pas le lire, c’est chercher le buzz à rebrousse-poil, c’est écrire sans connaitre Charlie.
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Certains des commentateurs de Regards bénéficient largement de la liberté d’expression offerte par ce magazine… Les victimes des attentats de Charlie n’ont pas été seulement victimes pour leurs dessins, leurs textes ou leurs caricatures mais victimes pour ce qu’ils représentaient : une certaine idée de la liberté, de l’humour, du mode de vie à la française…
Je trouve certaines critiques à l’égard de D Schneidermann caricaturales.
Il fait un constat sur ce qu’est devenu Charlie, particulièrement depuis la direction du Tartuffe Philippe Val , aujourd’hui chroniqueur d’extrème droite sur Europe 1
Ben, moi, je ris en écoutant Sofia Aram, et surtout je me rassérène. Je ne connaissais pas Schneidermann sous ce jour, je suis triste… Du coup, je me demande quelles positions il y a derrière. Parler d’islamophobie sent son LFI à plein nez, du moins ce qu’il y a de pire chez eux.