Le communisme était un parti et il n’était pas que cela…
ARCHIVES. Comment réinventer des partis ou des mouvements politiques ? Comprendre ce qui fit la puissance du PCF et ce qui provoqua son déclin est riche d’enseignements sur les conditions de leur renaissance, sous une forme ou une autre.
Pendant plusieurs décennies, le PCF regroupa entre un cinquième et un quart des suffrages exprimés et alla jusqu’à dépasser les 500.000 adhérents à la fin des années 1970. Aux dernières élections législatives, il a dû se contenter d’un bien modeste 2,7% et il n’annonce aujourd’hui qu’un peu plus de 50.000 cotisants…
Malgré les apparences, la force du PCF n’a pas tenu d’abord à ce qu’il était un parti cohérent, centralisé et hiérarchisé. À l’instar des social-démocraties de l’Europe du Nord et du Nord-Ouest, il s’est trouvé au centre d’une remarquable galaxie d’organisations de tous types. Les communistes contrôlaient les organisations du premier syndicat français, la CGT, et se trouvaient à la tête d’une kyrielle d’associations, créées à sa main ou existant avant lui. À quoi il convient d’ajouter un réseau de municipalités, dont le nombre monta jusqu’à près de 1500, et qui constitua la trame de ce « communisme municipal » colorant de façon si originale les territoires de la « banlieue rouge ».
Plus qu’un parti
Au fond, le communisme était un parti et il n’était pas que cela. C’est cette caractéristique qui a fondé son utilité. Grâce à elle, il a pu « représenter » le groupe ouvrier et faire reconnaître la dignité ouvrière dans l’espace public, notamment au travers de son réseau de cadres et d’élus issus directement du monde du travail industriel et agricole.
Par cette imprégnation et en usant du mythe soviétique – le mythe, pas la réalité… –, il est parvenu à donner corps à la vieille espérance populaire dans les lendemains qui chantent, celle de la « sainte Égalité » des sans-culottes et de la « Sociale » du mouvement ouvrier. Il a été ainsi le pivot d’une gauche plus radicalement keynésienne qui offrait aux couches populaires, en attendant la grande révolution sociale, une perspective leur assurant la dignité et la protection des statuts, en même temps que la redistribution d’une part des richesses.
Tant que le PCF appuyé sur sa « galaxie » sut être tout cela, son influence resta forte. Mais, il ne comprit pas assez vite que les sociétés développées allaient vers d’autres équilibres que ceux de la seconde révolution industrielle. Il demeura ainsi figé sur une représentation ancienne du peuple et du monde ouvrier et, de façon plus générale, il ne perçut pas ce bouleversement qui, en une trentaine d’années, de 1945 à 1975, transforma la société française au moins autant que dans le siècle et demi précédent.
Perte d’utilité
Ajoutons-y que la réalité du soviétisme et son incapacité à se transformer pénalisèrent la capacité du PC à incarner les voies d’un autre avenir possible. Enfin, il finit par être victime de cela-même qui fit sa force. Tant que le Parti socialiste refusa obstinément les propositions d’entente faites par les communistes, le PCF apparut aux yeux de millions de Français comme le meilleur rassembleur d’une gauche que les institutions de la Ve République cantonnaient dans la minorité. Mais quand le PS de François Mitterrand décida en 1972 d’accepter cette union, c’est lui qui en tira le bénéfice. Il parut plus crédible, plus interclassiste, plus ouvert sur les aspirations nouvelles à l’autonomie des individus et sur les questions dites « sociétales ». Il était très à gauche – n’avait-il pas signé un programme très ambitieux de transformations sociales ? – et semblait moins figé dans le passé.
Le PCF perdit peu à peu de son prestige. Les ouvriers le reconnurent tant qu’ils voyaient en lui un outil pour faire prévaloir leurs droits. Quand cette utilité ne fut plus si évidente, ils se détournèrent de lui. C’est ainsi que, faute de renouvellement suffisamment précoce et audacieux, les responsables communistes s’enfermèrent dans la posture d’héritiers timorés d’un patrimoine exceptionnel.
La force du communisme français fut d’être un parti et pas seulement un parti. Quand il ne fut plus qu’une organisation partisane parmi d’autres, quand il cessa de s’identifier aux visages nouveaux du peuple, il perdit de son originalité et de son utilité. Il s’étiola donc.