Sciences Po : une lutte pour la parole

SP

La semaine du 22 avril, le Comité Palestine de Sciences Po Paris a occupé et bloqué l’entrée du 27 rue Saint-Guillaume. Si le soutien au peuple palestinien est unanime dans l’établissement, la manifestation de celui-ci est davantage discutée.

Mercredi 24 avril, des étudiants occupent le bâtiment principal et historique de la grande école. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des dizaines de CRS ont été chargés de déloger plusieurs dizaines d’étudiants toujours présents à la suite d’un sit-in. Une charge policière vivement critiquée, notamment par les élèves n’ayant pas participé.

Mais les étudiants ont réitéré le jeudi soir et le vendredi au matin, aucune entrée n’est oubliée et toutes sont barricadées. Les drapeaux, les palettes de bois, les poubelles, « il n’y avait pas de négociation possible pour entrer », rapporte un étudiant. Une mobilisation qui fait écho à celle observée à l’université américaine de Columbia à New York.

« On n’est pas 300, Sciences Po, c’est 10 000 étudiants »

Pour Florent, étudiant à Sciences Po, « 99% des étudiants de Sciences Po condamnent ce qui est en train de se passer en Palestine, il n’y a aucun doute là-dessus ». Pour autant, il regrette le basculement en train de s’opérer. Des groupes se font, se déforment et donc polarisent, vont aller encore plus en avant dans leurs positions et si, « jusqu’ici on pouvait discuter, ça devient très compliqué ». Florent décrit l’impression que ceux qui veulent dire autre chose, ou simplement le dire autrement, n’ont pas d’espace de dialogue. « On a envie d’échanger et de pouvoir faire en sorte que la liberté d’expression revienne », insiste-t-il.

Hubert Launois, et plus largement le comité de Palestine de Science Po Paris, estime que « le blocus, quand bien même il n’est pas légal, a permis d’élargir l’espace de discussion. Les négociations ont obligé le dialogue ». Et s’« il y a des personnes un petit peu aigries qui sont agacées par les modalités de mobilisation », on ne peut pas passer sous silence qu’il y en a « beaucoup qui en comprennent la nécessité et énormément qui soutiennent la cause ».

Une appropriation politique

Ce qui est très clair dans le Comité Palestine de Sciences Po Paris, c’est que « c’est un mouvement apartisan et en son sein, il n’y a pas de représentant, pas de chef ». Ses membres restent « conscients du fait que la présence des députés LFI a permis de les protéger de la police et aussi de visibiliser le combat ». Si « LFI est le seul mouvement politique qui a une ligne claire sur la question palestinienne », ce n’est pas « le seul parti à avoir témoigné et apporté leur support ».

Le soutien apporté au peuple palestinien est souvent calomnié et les accusations d’antisémitisme récurrentes. « Le système médiatique est très retors, parce qu’il ne repose pas sur des accusations fondées. S’il y avait eu des faits antisémites fondés, il y aurait eu des dépôts de plainte, et là aussi, ça aurait pu être réglé, et à raison », dénonce Hubert Launois en parlant de « maccarthysme ». « Sciences Po est quand même vraiment favorable au combat. Les gens comprennent plutôt qu’il y a des instrumentalisations contre nous », rappelle-t-il. Mais sur place le mouvement n’est pas sali par cette accusation, « c’est surtout dans les médias ».

En parallèle, le 29 avril, une pétition « apartisane pour la liberté d’étudier et de débattre au sein de Sciences Po«  a été lancée. A ce jour, plus de 900 étudiants l’ont signée. Pour Hubert Launois, « les gens qui ont lancé cette pétition savent que ça va rester assez minoritaire, que ce ne sera pas très favorable. Ils ont beaucoup joué sur l’effet d’annonce ».

Mais le collectif « issu de diverses formations académiques et de différentes sensibilités politiques pour la liberté d’étudier et la liberté d’expression à Sciences Po » à l’origine de la pétition, a également écrit une tribune dans l’hebdomadaire Le Point.

Lorsque Jean-Luc Mélenchon doit tenir une conférence devant les étudiants de Sciences Po et se confronte à des militants d’extrême droite, « ça se traitait de fachos, de collabos, de sionistes, de tout ce que tu veux. Ça ne favorise pas le dialogue », déplore Florent. Et « si le seul moment où on peut s’exprimer, c’est devant le 27 rue Saint-Guillaume, sous le feu permanent des caméras, ce n’est pas un moment qui est propice à ça« .

« La mobilisation continue »

Le Comité Palestine de Sciences Po Paris, n’avait pas prévu d’initier un nouveau blocus mais avait affirmé que l’école resterait le théâtre d’une mobilisation constante. Sauf que jeudi 2 mai, se tenait la réunion avec l’administration de Sciences Po et tous les élèves désireux d’y participer afin de continuer les négociations dans un cadre plus officiel et pondéré. Elle était ouverte à tous, dans la mesure de capacité d’accueil du lieu. Six étudiants mécontents de l’issue de celle-ci, notamment sur la question des partenariats avec des universités israéliennes, ont alors choisi d’initier une grève de la faim “jusqu’à ce que Sciences Po s’engage à tenir un vote non-anonymisé au Conseil de l’Institut pour enquêter sur leurs partenariats avec des universités violant le droit international et les droits humains”.

Le soir même une occupation du campus a été votée par une centaine d’étudiants. En réponse, la direction de l’établissement a annoncé la fermeture vendredi de ses principaux locaux à Paris. Jeudi soir, des membres de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) sont venus coller des affiches sur les murs de l’école : “l’antisémitisme n’aide pas la cause palestinienne”. La police leur a demandé de les retirer et a cherché à empêcher le ravitaillement des élèves à l’intérieur.

Les forces de l’ordre sont déployées sur place pour déloger les étudiants récalcitrants quand, sur la place du Panthéon, des centaines d’étudiants se sont rassemblés pour la Palestine et contre la répression dans les universités.

Si Sciences Po accapare l’attention médiatique ces derniers jours, ce n’est pas la seule école où la mobilisation s’affirme. En début de semaine, c’était la Sorbonne. Hier, c’était l’ESJ Lille. Et demain certainement une autre. La lutte continue, sous toutes ses formes.

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2 commentaires

  1. Lucien Matron le 4 mai 2024 à 09:16

    En 68, j’avais 22 ans et j’étais étudiant. La paix dans le monde, l’anticolonialisme et les revendications sociales et sociétales irriguaient les discussions. Les groupuscules d’extrême droite et la police donnaient déjà des coups de poings et des coups de matraque…Aujourd’hui, si les revendications et les conflits ne sont pas de même nature, les aspirations et les attentes de la jeunesse sont identiques : plus de justice sociale, plus de liberté, paix et amitié entre les peuples.

    De ce point de vue, l’attitude des étudiants de Sciences Po est significative. Les observateurs et les responsables politiques auraient grand tort de considérer ces étudiants comme des «  terroristes » ou complice du terrorisme ». Il suffit de lire les banderoles, les tracts et d’écouter avec un minimum de recul. Il y a de la force dans l’expression des étudiantes et des étudiants, français ou américains, qui réclament un cessez le feu immédiat et dans la reconnaissance d’un état palestinien. Et c’est bien là l’essentiel. Bien évidemment, il existe ici ou là, quelques débordements regrettables et inutiles, mais globalement, la cause est juste. En définitive, même si Israël est en mesure d’écraser par la supériorité militaire une grande partie de Gaza et de sa population, politiquement, Netanyahou et sa clique, perdent chaque jour un peu plus, leur crédibilité politique chez eux et dans le monde. Quelle que ce soit, l’issue de l’affrontement des armes, il y aura, à terme un État Palestinien légitime, reconnu et indépendant. Il serait temps que les élus politiques Français et Européens, prennent les bonnes décisions de dignité et de lucidité pour imposer la chemin vers la Paix.

    Pour les mêmes raisons de fond ( Paix e Coopération entre les peuples), le même type de raisonnement peut s’appliquer en Ukraine : prendre toutes les initiatives possibles, à tous les échelons, pour faire taire les armes est toujours plus intelligent que de vouloir se lancer dans une escalade guerrière.

  2. Carlos le 6 mai 2024 à 11:46

    Ha non !! Et le bizness des vents d’armes alors? et l’autorité sur les peuples du capitalisme, vous y pensez? On va vers une guerre sans doute, le ton monte, les émissions de TV (par exemple j’ai vu quelques images en passant d’un documentaire sur « ce qui se passe si on reçoit des bombes nucléaires ?? que faire etc…etc.. » recemment (je ne connais pas le titre mais c’était sur la TV française), Macron et les USA soutenus sans aucun doute par les Européens (malgré leurs dénagations de faussaires), prend de plus en plus des accents guerriers, il suffit de chercher un peu dans le monde et les médias pour entendre les voix de plus en plus fortes des faucons !! Donc la soit disant ligne rouge qui ne doit pas être franchies par les Russes ? c’est quoi?? elle est inexistante car les russes sont en train de gagner (mais tout le monde est convaincu qu’il ne s’arrêtera pas et que bientôt les chars russes défileront sur les champs Elysée…., ) quels bandes de nazes. La réalité c’est que cette guerre, le capitalisme mourrant la veut vraiment, (une bête à l’agonie est bien plus dangereuse que en pleine forme, c’est connu), ça fait marcher les affaires, les dominants sont à dans leur abri anti atomique peinard, bref la vie suit son cours quoi…
    Pas de paix possible dans ce monde de brutes, la lobotomisation des peuples est incluse depuis des decennies (environ depuis la fin de la dernière guerre, merci les USA) et donc le patient (nous) est condamné !!
    Il nous restera plus qu’à prendre les armes et a résister, du moins pour ceux qui auront survécus !!

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