Du jamais vu… déjà vu

rima panot

La répression policière et judiciaire des opposants politiques, une première dans l’histoire ? L’historien Roger Martelli revient sur les années 40-50, quand la France faisait la chasse aux « rouges » – et ce qui l’a empêchée de sombrer dans le fascisme.

Le tropisme à droite qui enlise la politique française pousse le macronisme du côté de « l’ordre » et de « l’autorité ». La justice et la police fonctionnent aujourd’hui comme des instruments de régulation de la controverse politique et, en fait, deviennent des moyens de disqualifier les opinions jugées déviantes en les criminalisant. Parce que le Hamas a commis des crimes épouvantables, toute dénonciation des massacres de masse perpétrés par l’armée israélienne à Gaza, tout soutien à la cause palestinienne relèveraient potentiellement de « l’apologie du terrorisme ».

Cette évolution est déplorable. Elle appelle au sursaut démocratique et citoyen. Elle est inacceptable en elle-même, dans un pays qui a historiquement poussé la passion des droits jusqu’à énoncer un droit à l’insurrection face à tout ce qui pourrait relever de la tyrannie. Contre la dérive en cours, il faut donc rassembler largement, sans exclusive, quoi que l’on puisse penser de tel ou tel propos, de telle ou telle attitude. Sur ce terrain, nous devrions être au-delà même du conflit fondamental de la droite et de la gauche. La seule boussole devrait être la mobilisation du simple esprit démocratique.

Il y a toutefois un danger à user de l’outrance dans la désignation des maux qui nous frappent. Dans une France où le Rassemblement national impose sa marque, dans une Europe où l’extrême droite prospère, la tentation est grande d’utiliser une tonalité et des termes qui sont censés stimuler l’inquiétude et l’indignation populaires. « Fascisation », « préfascisme », « du jamais vu »…

Entre 1950 et 1953, 800 actions judiciaires ont été engagées. Des responsables communistes et syndicaux de haut niveau ont été inculpés. Des centaines voire des milliers de militants ont été révoqués ou licenciés, à tous les niveaux.

Jamais vu ? Entre 1946 et 1958, la France vivait dans un cadre constitutionnel coloré par le dur combat contre les fascismes. Or, la guerre froide est venue perturber la dynamique démocratique originelle. Du point de vue officiel, l’idée directrice est alors passée à la défense du « monde libre ». Le danger, dénoncé à droite comme à gauche, fut à partir de 1947 le « complot communiste ». En vertu de quoi, en octobre 1950, on publia un décret qui instaurait le délit de « participation à » et « d’organisation d’une manifestation non autorisée ». Et, à l’occasion, l’armée fut appelée contre les grévistes et les manifestants.

Entre 1947 et 1952, 230 demandes de levée d’immunité parlementaire ont été déposées à l’Assemblée (210 concernent les seuls députés communistes). Entre 1950 et 1953, 800 actions judiciaires ont été engagées. Des responsables communistes et syndicaux de haut niveau ont été inculpés, emprisonnés. Des centaines voire des milliers de militants ont été révoqués ou licenciés, à tous les niveaux. Pendant quelques années, peu de manifestations se sont tenues sans des violences plus grandes que celles que nous connaissons, non sans cadavre laissé parfois sur le pavé. Était-ce du fascisme ? Heureusement non : seulement le prurit d’un maccarthysme à la française qui n’est d’ailleurs jamais parvenu à s’étendre aussi loin qu’aux États-Unis.

Où est le barrage, où est le cordon sanitaire ?

Qu’est-ce qui perturba la dérive répressive au point de la rendre inefficace ? Ce fut au premier chef la présence maintenue d’un esprit républicain qui s’est imposée jusque dans de larges fractions de l’appareil administratif, judiciaire et policier, même politiquement bien à droite. Il n’y eut heureusement pas d’unanimité au sein de ce que l’on pouvait pourtant considérer comme un bloc « bourgeois » ou « atlantiste ».

Ce fut aussi le fait que, après une tentation de radicalisation assumée jusqu’en 1952, le PCF – première victime du processus – revint à l’idée qui fut la sienne dans les années trente. Il contint sa tendance initiale à stigmatiser, dans un même opprobre, l’ensemble du monde politique, à droite comme à gauche. Il sut retrouver, quand il le fallut, les mots des périodes plus unitaires. Rassembler autour de l’idéal démocratique devint plus important que de fulminer contre le « parti américain ».

Si la situation actuelle relève du fascisme ou nous en approche, l’arrivée au pouvoir du RN est-elle si catastrophique ? Si l’essentiel est de mettre au ban du consensus démocratique ces « extrêmes » que l’on cristallise sur les personnes de Mélenchon et de Zemmour, Le Pen ne fait-elle pas d’ores et déjà partie de « l’arc républicain » ? Si Macron est préfasciste et si Le Pen n’est plus vraiment d’extrême droite, est-il besoin de tenir cette dernière pour le danger par excellence ? Entre la régression existante et le désastre à venir, tout ne serait-il plus désormais qu’une question de nuance ?

Il ne faut pas accepter l’intolérable. Il ne faut pas s’accoutumer au détestable. Mais, paradoxalement, l’outrance des mots peut, au nom du détestable d’aujourd’hui, banaliser un peu plus l’inadmissible de demain.

Ne tombons pas dans le piège.

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

9 commentaires

  1. gb le 2 mai 2024 à 10:53

    Un article qui incite à maitriser sa propre communication concernant le conflit Israël Hamas. La LFI a souvent dérapé par souci de montrer une sorte de « radicalité », radicalité de pacotille, à mon avis, à usage électoraliste.
    Si le monde s’oriente vers des économies de guerre, les dépenses de service public , de lutte contre le dérèglement climatique seront sacrifiée. Et notre avenir sera la première victime.

    • Carlos le 2 mai 2024 à 18:01

      @gb : avec des mots qui montrent votre entrée sans détour dans la bergerie des moutons de panurge répétant les mêmes mots sans aucun sens si ce n’est propagandistes .. je cite… :
       » LFI…dérapé…radicalité…et surtout l’emploi de « conflit Israel Hamas » qui montre bien que vous n’avez pas stoppé votre abonnement à Ouest France (anciennement journal collabo pendant l’occupation sous le nom de Ouest Eclair, on ne se refait pas)

  2. gb26100 le 2 mai 2024 à 11:52

    Les outrances de la LFI relèvent de la communication électoraliste pour cibler un électorat particulier. Quel sera le résultat ?
    Il vaudrait mieux travailler pour la paix.
    Si nous allons vers une économie de guerre, répondre aux besoins ( services publics..) et aux urgences climatiques ne pourra pas être prioritaire.
    les actionnaires trouveront leur compte et les peuples …?

    • Carlos le 2 mai 2024 à 18:04

      Le mieux serait d’arrêter de regarder BFM et Cnews… c’est comme un régime amaigrissant, on se retrouve bien mieux dans sa peau et on respire mieux….et surtout on ne répéte plus ce qu’on entend à longueur de journée sur tout les médias (outrance, LFI, communication electoraliste du Barbier de service etc…)et de plus on se sent moins disons…idiot ?…essayez, vous verrez comme c’est salutaire !!

  3. Lucien Matron le 3 mai 2024 à 12:45

    Ne tombons pas dans les pièges tendus par l’extrême droite, la droite, la macronie et hélas une partie de la gauche. Comme le précisait, l’avocat Henri Leclerc, ce matin sur une radio de service public : «  Manouchian, entré au Panthéon il y’a quelques semaines, était qualifié de terroriste par l’armée d’occupation nazie » …et les collaborateurs du régime de Vichy.
    Dans la même émission, il ajoutait que la condamnation du militant CGT de Lille et la convocation de Mathilde Panot et de Rima Hassan «  pour apologie du terrorisme » étaient ridicules. Nous pourrions évoquer la réaction de Raphaël Gluksmann à propos de son éviction de la manifestation de Saint Étienne, réaction à des provocations idiotes et inacceptables, et qui donne l’occasion au candidat PS-Place Publique de justifier son indignation à géométrie variable sur les horreurs subies par des innocents à Gaza et de se positionner en candidat Macron compatible pour la suite.

  4. gb26100 le 3 mai 2024 à 16:15

    Le groupe MANOUCHIAN ciblait l’occupant militaire de l’armée allemande !

    • Cyrano 78 le 3 mai 2024 à 17:35

      Donc des terroristes car leurs actions visaient à développer la peur donc la terreur des occupants : attaques des restaurants, bibliothéques, expositions etc…

  5. Cyrano 78 le 3 mai 2024 à 17:43

    « Il contint sa tendance initiale à stigmatiser, dans un même opprobre, l’ensemble du monde politique, à droite comme à gauche. »

    Martelli parle du PCF durant les années 50 celle de la guerre froide et de la décolonisation.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestation_contre_le_g%C3%A9n%C3%A9ral_Ridgway

    Lisez cela ou les anciens ont participé. Une fois de plus Martelli a des « problèmes » avec la réalité.
    La légende veuille que durant les manif contre la venue de Ridway les dockers marseillais pour montrer leur retenue, ont balancé les CRS dans le vieux port.

  6. lecteur assidu le 4 mai 2024 à 07:54

    Si je comprends bien le propos de monsieur Martelli, il soutient la dénonciation de la tendance liberticide du pouvoir comme la corde soutient le pendu. On ne pouvait pas en attendre moins de sa part.

Laissez un commentaire