Ne pas faire des non-vaccinés les boucs-émissaires de tout un système de santé défaillant
Dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche le 2 janvier, le professeur de médecine André Grimaldi se demande si les non-vaccinés ne devraient pas assumer aussi « leur libre choix de ne pas être réanimés ». Une prise de position qui interroge.
Avec l’augmentation vertigineuse du nombre de contaminations quotidiennes du Covid-19, la question du tri des patients refait surface. La question s’était déjà posée lors des premières vagues de la pandémie, entraînant des indignations légitimes face à une triste réalité qui obligeait, par manque de lits, certains hôpitaux à choisir les patients à admettre en réanimation. Les critères d’âge et de bonne santé semblent avoir été privilégiés pour répondre à la problématique du manque de moyens et de places en soins intensifs.
Mais il faut garder en tête que ces critères sont tout le temps pris en considération par le personnel soignant lorsqu’il s’agit de prendre des décisions : pour la même pathologie, on ne soigne pas de la façon identique, une jeune personne de 15 ans dont l’état général de santé est bon, et une personne de 95 ans aux multiples pathologies.
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Les non-vaccinés, causes de tous les maux de notre système de santé ?
Seulement, depuis un peu moins d’un an, un nouveau paramètre est venu perturber cette éthique à l’équilibre déjà si fragile : la vaccination. Aujourd’hui, près de 89,7% des Français sont vaccinés. Ce qui veut dire que 11,3% ne le sont pas. On le sait, le gouvernement veut officiellement « faire peser la contrainte sur ces non-vaccinés. » Témoin de cette société en voie, une nouvelle fois, de fracturation, l’animosité des vaccinés envers les non-vaccinés ne fait que croitre car ces derniers apparaissent comme responsables de nombreux maux, notamment les règles sanitaires qui s’appliquent encore à nous. Pis, ce sont eux qui seraient responsables de la submersion actuelle et à venir des hôpitaux.
Il faut d’abord souligner le caractère quelque peu raccourci de telles relations de causalité : le manque de moyens de l’hôpital public, l’inorganisation de l’ensemble du système de santé, notamment du rapport avec la médecine de ville, l’absence d’efficacité à 100% du vaccin doivent aussi être invoquées pour tenter d’expliquer la situation actuelle. S’il ne s’agit pas de dédouaner les non-vaccinés de leur part de responsabilité (dont il faudrait établir l’importance avec rigueur et nuance), il ne faut pas non plus qu’ils deviennent des boucs-émissaires systématiques. Le pass sanitaire puis maintenant le pass vaccinal sont autant de moyens pour mettre la pression sur ceux qui ne veulent pas se faire vacciner.
De la responsabilité des soignants
Mais voilà que certains veulent faire de l’hôpital un lieu où l’on ferait aussi pression sur les non-vaccinés. Seulement, les raisons – qu’elles soient de l’ordre de la raison ou du ressentiment – ne sauraient justifier de s’éloigner autant du code de déontologie médicale. Ni les soignants ni les médecins en particulier ne peuvent s’ériger en juges moraux et décider du sort de tel ou tel patient en fonction de choix qu’il aurait fait préalablement. Rappelons ici que le rôle délétère des réseaux sociaux dans la diffusion de fausses informations à des fins mortifères et souvent politiques voire pécuniaires compte pour beaucoup dans ces choix.
Allons même plus loin : il est impensable de faire peser sur les soignants cette responsabilité. Aujourd’hui, nous manquons de lits en réanimation, dans certaines régions (comme en Guadeloupe et en Martinique), nous manquons de bouteilles d’oxygène. Les soignants ne peuvent payer pour tous les dérèglements de notre société. Depuis le début de la pandémie, ils sont en premières lignes pour tenter de sauver le maximum de vies possibles. Seulement, ils le font avec un manque criant de moyens. Leur faire peser la responsabilité du tri des patients entre vaccinés et non-vaccinés est d’une inhumanité qui va à l’encontre de quiconque a dédié sa vie aux soins des autres.
Une priorité : repenser tout notre système de santé
Aujourd’hui, il est impensable de penser que les pneumologues puissent refuser de soigner les fumeurs qui ont un cancer des poumons sous prétexte qu’ils sont responsables de leur état et encombrent l’hôpital, que les hépatologues puissent renvoyer chez eux les alcooliques qui ont des cancers du foie et, tout simplement, que les médecins arrêtent de s’occuper de ceux qui ne suivent pas leurs recommandations. Et ce, pas seulement pour le bon fonctionnement de la société mais d’abord et avant tout pour l’état de santé mental de nos soignants.
Qu’un professeur des universités praticien hospitalier du niveau d’André Grimaldi parle de tri des patients dit beaucoup de la perte totale d’espoir dans le fait que l’on puisse soigner tout le monde. C’est comme la chute ultime de la foi dans notre système de soins. Certains soignants commencent vraiment à avoir du ressentiment vis-à-vis de leurs conditions de travail et de ce qu’ils se retrouvent obligés à faire. C’est la déroute de tout un système dont c’est le témoin.
Alors si l’on doit se placer du point de vue de l’hôpital pour parler des non-vaccinés, la seule chose qu’il faut souhaiter mais surtout pour laquelle il faut se battre, c’est qu’il y ait assez de lits en réanimation pour pouvoir tous les accueillir. Pour eux, mais aussi pour nos soignants.