Jusqu’où ira la guerre des mots ?

hassanpanot

Des opposants politiques poursuivis pour « apologie du terrorisme », qualifiés d’« éco-rerroristes », la méthode n’est pas nouvelle. L’historien Roger Martelli revient sur cette spirale autoritaire et dangereuse, dont Emmanuel Macron n’est que le dernier avatar.

Rima Hassan et Mathilde Panot sont convoquées par la police  ; un syndicaliste est condamné par la justice. Motif : « apologie du terrorisme ». Peu de temps auparavant, des manifestants écologistes sont réprimés durement. Motif : « éco-terrorisme ».

La méthode n’est pas nouvelle. Au début des années 1950, des responsables communistes sont emprisonnés pour « complot contre la sûreté de l’État » : l’accusation est d’elle-même abandonnée quelque temps après. En 1956, contre le leader égyptien Nasser qui incarne la volonté égyptienne de disposer librement de ses ressources, on justifie un débarquement franco-britannique sur le canal de Suez en assimilant Nasser et… Hitler.

« Terrorisme » ? Quel mot commode ! On s’est rappelé récemment qu’il était utilisé par l’occupant nazi pour justifier la répression de masse contre les résistants, alors que la Résistance armée tuait des soldats et leurs supplétifs locaux, sans s’attaquer à des civils. Parce que le FLN algérien recourait à des attentats aveugles, on assimilait toute forme de résistance et toute forme de soutien aux résistants d’Algérie à du terrorisme, justifiant la torture légale et l’assassinat perpétrés contre tout opposant à la politique coloniale. Parce que le Hamas s’est livré à des crimes de guerre inadmissibles, les combattants palestiniens sont des terroristes.

Depuis 2001, nous nous sommes habitués, du côté « occidental », à ce que la « guerre des civilisations » devienne une « guerre contre le terrorisme ». Et puisqu’il y a guerre, les nuances n’ont plus cours : il faut choisir son camp. Qui n’est pas contre le terrorisme est pour ; qui soutient le combat du peuple palestinien est donc complice du terrorisme. Mais, par extension, qui soutient le droit des Palestiniens à disposer de l’État que lui reconnaît le droit international, celui-là soutient de facto le terrorisme… On ne condamne plus l’injustice ou la tyrannie, mais le fait de s’insurger contre elles. Que la rhétorique est facile, quand il s’agit d’avoir le doigt sur la gâchette !

Quand mettra-t-on un coup d’arrêt à cette folie ?

Mais si nous le voulons, détournons-nous de l’interminable bataille des mots : terrorisme, génocide, fascisme, crime contre l’humanité… Il y a certes eu et il y a encore, derrière ces mots, de cruelles et massives réalités, dont le XXème siècle nous a donné tant d’exemples dévastateurs. Mais il en est des mots comme de la monnaie : à trop en émettre, on les dévalorise. Démultiplié par les moyens modernes de communication, le terme accusateur se banalise et devient une arme comme les autres, hors de toute morale et de toute justice.

Il faut en revenir aux faits et à la simple justice. Ce qui importe n’est pas de savoir s’il faut employer le terme de génocide pour qualifier l’action de l’armée israélienne à Gaza : l’urgence est à l’arrêt du massacre des civils. Ce qui compte à court terme n’est pas de savoir si le sionisme est par nature voué à l’expansion impérialiste : c’est de mettre fin à une colonisation qui, depuis 1967, est source d’inépuisables violences et contrevient ouvertement aux stipulations du droit international.

Ce qui compte n’est pas de savoir ce que l’on pense de la manière dont il faut défendre la cause palestinienne : c’est savoir s’il est tolérable que le soutien à cette cause soit a priori suspect d’encourager le terrorisme. Ce qui compte n’est pas de savoir si le maccarthysme était du fascisme, si nous sommes d’ores et déjà dans une France « fasciste » ou « préfasciste » : ce qui compte est de dire que la spirale autoritaire est injuste, absurde et dangereuse, au moment précisément où l’extrême droite perce à l’échelle du continent européen et au-delà.

Mettre un coup d’arrêt aux désastres réels, à commencer par ceux qui s’étendent au Proche et au Moyen-Orient ; mettre un terme chez nous aux tentations autoritaires et répressives inutiles… Ce n’est pas l’affaire d’une organisation, d’une partie de la gauche, ni même de la seule gauche : c’est affaire de sursaut démocratique et éthique. 

Ce sursaut peut être majoritaire ; tout ce qui freine la dynamique vers cette majorité devrait donc être banni. Il sera bien temps, par la suite, d’en tirer toutes les leçons politiques.

10 commentaires

  1. Cyrano 78 le 24 avril 2024 à 18:38

    « Parce que le FLN algérien recourait à des attentats aveugles, »

    Tout d’abord on rappelle la réalité et le contexte :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_rue_de_Th%C3%A8bes

    En gros ce sont les barbouzes pro Algérie française qui ont commencé les attentats anti personnel, le reste s’appelle de la réécriture de l’histoire.
    Sans compter Sétif et tout le reste …..

  2. Frédéric Normand le 24 avril 2024 à 22:42

    Roger Martelli a l’indignation sélective. Parmi les maux du siècle dernier il omet de citer le communisme. Pourtant si l’on s’en tient aux faits et à la simple justice ainsi qu’il nous y invite, on ne peut que reconnaître le caractère criminel de ce régime, qui a beaucoup pratiqué les massacres de civils. On s’interrogera alors sur ceux qui souscrivent à l’idéologie qui le fondait et ont pour lui toutes les indulgences.

    • Mackno le 26 avril 2024 à 13:23

      Bonjour.
      Ca va Glycere Benoît ?
      Le changement de pseudo se passe bien ?
      😉

  3. Charly P. le 24 avril 2024 à 23:43

    (Bonjour. Pourriez- vous supprimer mon premier commentaire et le remplacer par celui là. Je ne m’attends à rien en écrivant cela mais c’est important pour moi. Merci. Bien cordialement. Charly P.)

    Ce qui comptait le 7 octobre, ce n’était pas dans un communiqué pour les insoumis de « déplorer les morts israéliens et palestiniens » ou d’envoyer des « pensées à toutes les victimes », c’était de faire preuve d’humanité envers les civils israéliens massacrés ce jour-là. Ce n’était pas de contextualiser la barbarie en cours par « l’intensification de la politique d’occupation israélienne », c’était de rappeler que les Kibboutz et le festival attaqués comptaient les plus fervents partisans de la cause palestinienne en Israël. Ce n’était pas de considérer qu’il s’agissait d’une « offensive armée des forces palestiniennes » mais d’une attaque du Hamas qui se définit comme un mouvement de « résistance » ISLAMIQUE.

    Ce qui comptait ce funeste 7 octobre pour Rima Hassan n’était pas de relayer un communiqué de Vincent Brengarth, son avocat, menaçant de poursuivre quiconque dénoncerait les positions pro-Hamas de sa cliente. Ce n’était pas de d’interpeler ceux dont elle ne sait rien dans des tweets en nous demandant « où étiez-vous toutes ces années, 120 000 palestiniens ont été soit tués soit tués blessés par Israël sur la seule période 2008-2020 selon le bureau des Nations Unies … » ou de rappeler à Macron condamnant les attaques que « les politiques qui, depuis 30 ans ont abandonné les palestiniens, livrés à leur propre sort, qui ont échoué à faire espérer une paix durable, qui ont soutenu aveuglement la politique coloniale d’Israël, ont contribué au chaos que nous constatons tous, impuissants, aujourd’hui » . Ce qui comptait ce jour-là était de nous expliquer pourquoi selon la pas encore candidate LFI aux européennes il n’y aurait pas pour elle de solution à deux états, qu’elle le fasse « en arabe, en français ou en anglais, pour que ça rentre », comme elle l’avait écrit dans un de ses innombrables tweets.

    Ce qui comptait pour le NPA ce même jour-là n’était pas de « rappeler son soutien aux palestinien.ne.s et aux moyens qu’ils et elles ont de choisir pour résister » mais de rappeler que du 30 juillet au 4 août 2023, des Gazaouis ont manifesté contre le blocus israélien mais également contre les représentants locaux du Hamas afin de demander de meilleures conditions de vie, la fin des privations d’eau et d’électricité et plus de démocratie par la tenue d’élections municipales et que cela s’est fini par de la violence et de la répression par le mouvement de résistance islamique. (https://www.france-palestine.org/30-juillet-2023-vague-de-manifestations-pour-de-meilleures-conditions-de-vie-a).

    Ce qui comptait le 7 octobre pour Anasse Kazib, ce n’était pas d’afficher dans un tweet « un soutien au peuple palestinien qui est debout face à cet État sanguinaire qu’est Israël », c’était de se souvenir qu’à la mort du jeune Nahel Merzouk en juin 2023, le camarade révélait que sa pire terreur était qu’un jour on vienne lui annoncer la mort d’un de ses enfants (sans même envisager alors qu’il pouvait y assister impuissant).

    Les convocations pour « apologie du terrorisme » de ces quatre-là sont inacceptables. Mais s’étonner de l’instrumentalisation politicienne par le pouvoir en place de leurs déclarations pour judiciariser et salir des opposants politiques, c’est à la fois feindre de redécouvrir ce qu’est ce pouvoir depuis les déclarations de juillet 2018 à la Maison de l’Amérique latine, c’est relativiser le caractère pour le moins problématique humainement, politiquement, culturellement et moralement de leurs déclarations ce jour-là et c’est oublier que depuis le 7 octobre, en France, tous les professionnels de la politique ont contribué à empuantir et instrumentaliser le malheur des uns, la douleur des autres et le massacre de tous les innocents au Proche-Orient sans que jamais les deux radicalismes qui s’affrontent, l’extrême droite messianique israélienne et l’extrémisme islamiste du Hamas, ne soient renvoyés dos à dos. A défaut d’une voix française audible au niveau international, la voie a été ouverte dans le pays à un antisémitisme dégueulasse, une essentialisation sournoise des juifs et des musulmans de France, le campisme des certitudes de chacun, la haine de tous contre tous, l’amalgame entre sionisme et nazisme et l’islamisation de la cause palestinienne.

    Ce qui compte aujourd’hui, c’est de condamner les convocations. Mais n’en attendez pas plus, d’autant que nous savons que ceux qui n’hésitent pas à convoquer Eichmann pour parler d’un Président d’université, à se référer aux heures les plus sombres de la collaboration pour désigner un député (ou Doriot il y a quelque temps pour un autre) en feront des tonnes pour jouer la victimisation. Au nom de la paix, cela va sans dire. Pendant que coule et coule encore le sang from the river to the sea. Et malheureusement, cela ne va pas mieux en le disant…

  4. Marc le 25 avril 2024 à 11:40

    Bonjour,
    Je trouve les différents commentaires faits ici et là sur les retombées judiciaires de divers propos de responsables syndicaux et politiques complètement déplacés.
    Beaucoup de journalistes, commentateurs et politiques ont dénoncé la guerre contre Gaza et n’ont pas eu de problèmes avec la justice.
    Pourquoi ?
    Tout simplement, parce que leurs propos étaient sans ambiguïté.
    Condamner la guerre contre Gaza sans faire référence (ou si peu) au crime de masse perpétré par le Hamas le 7 octobre ou sans le condamner explicitement et sans qualifier le Hamas d’organisation terroriste,oui, c’est ambiguë.
    A force de dire des conneries, faut pas s’étonner quee ça se retourne contre soi.

  5. Lucien Matron le 25 avril 2024 à 18:08

    Les mots ont un sens et Roger Martelli a raison de le rappeler. Le 7 octobre le Hamas a clairement commis un acte terroriste. Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne commet chaque jour des crimes de guerre à Gaza. Il ne devrait y avoir aucun sujet sur ce constat. En ce qui concerne, la situation politique en France, le choix des mots n’est pas anodin et il faut s’en tenir aux tendances reliées à des faits constatés et documentés. Par exemple, personne ne peut nier, par les faits constatés, que l’évolution des doctrines de la police est des forces de l’ordre tend vers moins de démocratie et plus de répression pour les associations, les organisations syndicales ou les partis politiques qui se positionnent hors de la ligne politique présidentielle. Certains droits constitutionnels sont ainsi clairement menacés : les droits d’expression et de manifestation notamment, c’est une vraie question.

  6. lasbleiz le 29 avril 2024 à 01:03

    Merci à Martelli, même si un peu tard et après les propos déplacés de madame Tricot.

  7. Lucien Matron le 29 avril 2024 à 06:10

    Dernière utilisation de mots non inappropriés : celle de Jean-Luc Mélenchon à Lille comparant indirectement le président de l’université au nazi Eichmann pour refus d’autorisation d’une réunion LFI dans l’enceinte de l’Université. Cette volonté de cliver par des mots et des provocations verbales, est un signe de faiblesse chez un leader politique dont les qualités oratoires et la culture politique sont indéniables. Il n’a pas besoin de ce genre de propos pour faire comprendre la situation. C’est donner du mauvais grain à moudre supplémentaire à ces adversaires politiques qui ne s’en privent pas alors que sur le fond, c’est à dire sur le droit d’expression et le droit à manifestation, JLM a raison.

  8. Cyrano 78 le 1 mai 2024 à 12:49

    Comment ça se passe dans les merdias !!!!

    https://www.youtube.com/watch?v=-CJ8ujwitjc

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