TRIBUNE. La France : une dérive vers quel régime ?
Du mépris de la population, de sa représentation nationale, à l’usage démesuré de la force pour faire passer sa réforme des retraites, Emmanuel Macron abuse toujours plus des pouvoirs que lui confère la 5ème République.
Il est très rare que je prenne des positions publiques en dehors des questions relatives au vieillissement et à la longévité, ou à d’autres questions scientifiques. Cela n’est arrivé qu’une seule fois, pour L’Huma en janvier 2020, quand j’écrivais, à propos du précédent projet de réforme des retraites du Président Macron, qu’« en renonçant à son projet, le gouvernement ne s’abaisserait pas mais se grandirait, et cela serait responsable et raisonnable. » Je me demandais aussi : « Les choses iront-elles jusqu’au point où beaucoup en viendront à considérer que nous nous acheminons vers une dictature en formation » ? Aujourd’hui, je crois nécessaire de faire part de mon inquiétude depuis quelques années sur, simplement, l’avenir de la démocratie dans notre pays.
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>> Tentations et impasses de la violence
Après les attentats islamistes de 2015 et la proclamation de l’état d’urgence permettant l’assignation à résidence, le même état d’urgence a été utilisé contre des militants écologistes lors de la COP21. Cette décision a semblé à beaucoup un détournement de la justification de cet état d’urgence et une entorse aux libertés fondamentales. Lors de la contestation de la loi Travail, dite El Khomri, et depuis, la police a été et est massivement utilisée dans des conditions aboutissant, entre autres, à de graves blessures oculaires, à la mort de Zineb Redouane à Marseille, tuée par une grenade lacrymogène, et on ne peut que craindre un prochain nouveau Malik Oussekine, voire, pire, un nouveau Charonne.
Des personnes sont gardées à vue pendant des heures alors qu’on a rien à leur reprocher. La criminalisation des activités syndicales s’est installée, aboutissant par exemple à l’interpellation de militants syndicaux à 6 heures du matin, comme à Albi récemment. Ce qui nous rappelle la citation attribuée à Winston Churchill que, si vous n’êtes pas un criminel, la différence entre une démocratie et une dictature est que si l’on sonne à votre porte à 6 heures du matin, dans une démocratie c’est le laitier.
Quant au processus législatif de la loi sur les retraites, tous les articles de la Constitution permettant d’accélérer les débats parlementaires ont été utilisés les uns à la suite des autres : il n’est pas sûr que les rédacteurs de la Constitution, comme Michel Debré, avaient prévu un tel usage transformant ces articles en un moyen de se passer du vote des élus de la Nation.
« Le régime gouverne sans et contre le peuple et ses élus, et mise sur la peur en usant de tous les moyens coercitifs. Une situation pareille peut mener à des drames et à l’abîme. On en vient à se demander non pas si, mais quand, le régime va utiliser l’article 16 de la Constitution. »
Le régime en place fait donc un usage brutal de la force publique, ceci de façon maintenant habituelle ; il restreint les libertés publiques par des interpellations arbitraires ; il recourt à tous les artifices pour obtenir l’adoption d’une loi qui a contre elle la grande majorité de la population et la majorité de l’Assemblée nationale ; par son arrogance et son mépris de « ceux qui ne sont rien » – qui ne se démentent pas avec le temps –, il fait monter la colère de ce qu’il appelle la « foule », pour ne pas dire la populace. En somme, le régime gouverne sans et contre le peuple et ses élus, et mise sur la peur en usant de tous les moyens coercitifs. Une situation pareille peut mener à des drames et à l’abîme. On en vient à se demander non pas si, mais quand, le régime va utiliser l’article 16 de la Constitution.
En 2021, le journal The Economist a classé la France dans la catégorie des démocraties défaillantes (flawed democracy), mais il y a encore deux degrés en dessous : les régimes hybrides et les régimes autoritaires. Les premiers se caractérisent par « de graves faiblesses […] dans le fonctionnement du gouvernement et la participation politique », et les derniers, entre autres, par « un mépris des abus et des violations des libertés civiles ». Dans quel type de régime la France est-elle en train d’entrer ?