Ugo Bernalicis : « La première des sécurités, c’est la liberté »

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Dans le débat omniprésent de la sécurité, que dit la gauche ? Que faire des policiers, de leurs syndicats, de leurs dérives ? Quelle formation et quelles missions ? On en a causé avec le député insoumis Ugo Bernalicis.

D’un pas pressé, Ugo Bernalicis nous amène littéralement « Au Coin de la Rue », à côté de l’Assemblée, pour parler sécurité. C’est le thème de prédilection du député du Nord. Quelques jours plus tôt, lui et ses camarades parlementaires ont fait tomber le gouvernement Barnier. Entre l’excitation politique, un pad thaï et une pinte d’IPA, Ugo Bernalicis développe son programme.

Regards. Ma première question sera très ouverte et peut sembler étrange mais… c’est quoi, une politique de gauche en matière de sécurité ?

Ugo bernalicis. Une politique de gauche en matière de sécurité, c’est une politique qui vise à traiter les causes plutôt que les effets. Globalement, la gauche, dans tous les domaines, a pour objectif de s’attaquer aux causes profondes des problématiques, plutôt que de se focaliser uniquement sur leurs manifestations. Concernant les causes de la délinquance, il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, notamment les inégalités sociales, la misère, le manque d’éducation, etc. Dans les déterminants du passage à l’acte, tous ces facteurs pèsent. Il existe des exceptions, bien sûr, mais les études montrent qu’il existe une corrélation claire entre le taux de chômage et le taux d’incarcération. Une politique de sécurité efficace consisterait en une politique de reconnaissance des citoyens, de bien-être, de plein-emploi, d’investissement dans les services publics – remettre des profs dans chaque classe et pas plus de 20 élèves par classe !

À droite, on dit souvent que « la première des libertés, c’est la sécurité » et on accuse la gauche de laxisme, mais on pourrait retourner cet argument en disant que « la première des sécurités, c’est la liberté ». Une autre idée serait de dire que « la première des sécurités, c’est la Sécurité sociale ». D’ailleurs, dans le bloc de constitutionnalité, la seule notion de sécurité explicitement mentionnée est celle de la Sécurité sociale. Pour le reste, on parle de « sûreté ».

Une fois qu’on a ça en tête – et il ne faut pas lâcher ce discours-là –, il faut aussi inclure des mesures préventives. Une politique de gauche ne peut se limiter à une approche purement répressive, c’est un échec absolu qui n’est plus à démontrer. Chaque type de délinquance doit recevoir une réponse appropriée. Celui qui vole parce qu’il a faim ne peut être mis dans le même panier que le crime organisé. Après, ce n’est pas parce qu’on va régler la question sociale qu’on aura tout résolu. C’est peut-être vrai à la fin de l’histoire, mais pas au début !

La gauche répond souvent « police de proximité », comme une formule magique. C’est aussi la proposition de La France insoumise. En quoi est-ce que ça consiste concrètement ?

En effet, il est important de mettre en place une police nationale de proximité. Mais pas en tant qu’un groupement à part du reste de la police. Une police de proximité n’a aucun sens si l’on maintient les brigade anti-criminalité (BAC). Cette police de proximité doit, en fait, être la base de fonctionnement de la police. La « police de proximité », c’est « la police », nationale et municipale, composée de 50 ou 60 000 policiers et, à côté, il y a des polices spécialisées qui font leur travail en fonction de leurs domaines de compétence.

On a déjà un bon exemple de ce que devrait être la police de proximité, c’est la gendarmerie nationale. Elle est, par construction, de proximité. Les gendarmes travaillent pour une caserne et vivent à quelques kilomètres de celle-ci, ils s’occupent d’un territoire à taille humaine, leurs enfants vont dans l’école du coin, ils font leurs courses dans les mêmes supermarchés que tout le monde, etc. Résultat : les gendarmes connaissent les gens et vice versa. Du coup, il y a beaucoup moins de dérives en gendarmerie.

« Ce n’est pas le job de la police de proximité d’arrêter les grands bandits ou les individus les plus dangereux, c’est celui des polices spécialisées comme la police judiciaire. Un policier n’est ni la BRI, ni le RAID. »

Faire un travail de proximité, c’est assumer que le temps de répression n’est pas la principale activité du policier. C’est un temps de présence dans l’espace public et le quotidien, de discussion avec les gens. Être là, tout simplement. Ensuite, quand il y a des problèmes, la police est là pour essayer de les résoudre. Pour ça, il faut être en lien avec les mairies, les bailleurs, être inséré dans le tissu social. Néanmoins, la police de proximité doit rester dans son rôle de répression pour les premiers niveaux d’infraction : tapage, vol à la tire, etc. Car son rôle n’est pas non plus dans la prévention et l’assistance sociale. Pour se faire, il y a deux conditions : la première est que cette police ait peu ou pas d’armes à feu. Quant à l’argument comme quoi « c’est pas votre police de proximité qui va arrêter un mec avec une kalachnikov », je réponds : oui, exactement ! Ce n’est pas le job de la police de proximité d’arrêter les grands bandits ou les individus les plus dangereux, c’est celui des polices spécialisées comme la police judiciaire. Un policier n’est ni la BRI, ni le RAID, par contre, il est la première source de renseignements des enquêteurs.

La deuxième condition pour une véritable police de proximité, c’est de libérer les policiers des deux principales actions qui nuisent à sa mission : les contrôles d’identité – censés lutter contre l’immigration illégale mais qui ne produit que racisme et bavures – et la répression contre le cannabis – qui pèse pour 20% de l’activité policière et oblige les policiers à maintenir la stratégie du harcèlement des points de deal et des consommateurs sans que le trafic ne soit impacté. Ça redonnerait un temps de travail incroyable aux policiers. Et là, tout le problème réside dans les ordres qu’on donne aux policiers.

Côté police, il faut tout réformer, du sol au plafond. Du super-pouvoir des syndicats, à Beauvau comme dans chaque commissariat, jusqu’à la façon dont on recrute et forme les policiers… Mais par où commencer ?

Demain, on arrive au pouvoir, on a 240 000 policiers et gendarmes à diriger, on leur dit quoi ? Qu’on part des besoins de la population. On oblige que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance  – auxquels on invite aussi les gens ! – se réunissent une fois par an afin que les habitants posent des questions, expriment leurs demandes et que les policiers rendent des comptes. Il faut qu’il y ait des aller-retours entre la police et les citoyens.

Concernant les effectifs, on ne va pas virer tous les policiers en fonction au prétexte qu’ils sont sous-formés, qu’ils ont une culture néfaste et que la majorité d’entre eux votent pour l’extrême droite. Les policiers sont conditionnés à une chose : obéir, qu’importe si les syndicats essaient de tout saboter – on n’a pas besoin d’eux, le rapport de force qu’on leur donne n’est que celui qu’on veut bien leur céder – ou si un certain nombre démissionne. On a l’exemple de Pierre Joxe : on ne va pas nous faire croire que quand il arrive au ministère de l’intérieur, les policiers sont tout-gentils et qu’ils n’ont pas été travaillés depuis des années par la droite. S’il faut virer des policiers, ce ne peut être pour leurs idées, mais pour leurs actes : racistes, sexistes, etc. Le cadre permet déjà de sanctionner, pour peu qu’il y ait une volonté politique. La gauche doit assumer que la police, en tant que service public, doit être plus contrôlée que d’autres. Parce qu’elle a des prérogatives qui ne sont pas celles de n’importe quel fonctionnaire : ils ont des armes et la capacité de faire un usage légal de la force.

« On ne gagne pas une présidentielle en parlant mieux que les autres de sécurité. Mais on peut perdre si on en parle moins bien. Ce sera la même chose quand on gouvernera le pays : on ne sera pas jugé sur notre bonne gestion de la police, mais on sera sanctionné si on la gère mal. »

Ensuite vient la question du recrutement et donc de la formation. Ça commence par ouvrir des écoles de police et par rallonger la formation initiale à deux ans, dans un premier temps, puis à trois ans. Il faut assumer de ne plus recruter n’importe qui avant de les lâcher dans la nature sans même connaître les bases des droits et des libertés publiques. Mais ce qui pèse le plus dans les pratiques professionnelles aujourd’hui, ce n’est pas la formation mais le mimétisme des pairs, dont le racisme, le sexisme, les violences, etc.

Début décembre, le site d’informations Basta a publié une enquête montrant que « la France présente les chiffres les plus élevés [d’Europe, ndlr] : entre 2020 et 2022, le pays a enregistré 107 décès en garde à vue ou lors d’interventions policières ». Comment s’extirpe-t-on de cette situation ?

On a aussi les chiffres les plus élevés en prison. On n’a pas le temps de changer la culture violente de la police. Donc, dans un premier temps, on va donner des ordres : fin des contrôles d’identité – autant d’outrages en moins – et fin des gardes-à-vue pour outrage – c’est ce que font les Allemands. Les gardes-à-vue pour flagrant délit, terminé aussi ! Aujourd’hui, il y a des indicateurs de performance au ministère de l’intérieur sur le nombre de garde à vues. La politique du chiffre n’a jamais été supprimée. Avant de mettre quelqu’un en garde à vue, je suis pour que le policier prévienne le parquet et attende son avis. Ça changerait beaucoup de choses ! Je suis aussi pour que le parquet vienne dans les commissariats plus souvent et, dans l’idéal, je suis même pour qu’il y ait un procureur dans chaque commissariat pour assumer son autre mission qui est celle du contrôle de la police, de la régularité, de la légalité de son action. Enfin, s’il faut mettre du pognon dans la police, ça ne doit pas être pour acheter des LBD mais pour avoir des locaux de garde à vue qui soient corrects, dignes. En Écosse, un modèle en la matière, les cellules ressemblent à des chambres, les détenus ont un repas chaud et pour quelle conséquence ? Quasiment pas de violence en garde à vue, ni de la part des policiers ni des détenus.

Et quid du « sentiment d’insécurité » ? Selon une étude Ifop de novembre 2024, « 8 français sur 10 déclarent avoir le sentiment que la délinquance a augmenté ». Fantasme ? Que répondre à ces gens-là ?

Éteignez la télé. Ce sondage ne montre que la puissance de feu médiatique. Plus sérieusement, on a les enquêtes de victimations qui sont faites par l’Insee et le ministère de l’intérieur, les seules enquêtes dont la valeur et la viabilité permettent de construire une politique publique. C’est insuffisant et il faut recréer ce qu’Édouard Philippe a supprimé : l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (qui avait été créé par Joxe). Il s’agit d’une structure scientifique, autonome, chargée d’évaluer l’action publique et de faire des propositions. Mais il faut aller encore plus loin et déployer ce modèle à l’échelle locale, par le biais des CLSPD évoqués plus avant. Ainsi, on partirait des besoins des habitants pour adapter la politique de sécurité selon les territoires. Un tel outil nous permettrait d’éviter les erreurs de Chevènement et de Jospin. Quand ils ont remis en place un peu de police de proximité, il y a eu une augmentation du nombre de plaintes. Ils ont été incapables d’expliquer le phénomène et la droite a gagné en dénonçant une augmentation de la délinquance dûe à leur politique !

Pourquoi la gauche est inaudible sur ces questions ?

La question de la sécurité est victime d’un clivage et ce n’est pas le clivage gauche-droite. C’est celui où, d’un côté, il y a les tenants d’un système – le capitalisme – et de l’autre les « irresponsables ». Il suffit d’agiter le foulard de la peur, à grands coups de reportages sur des faits divers, de dire que la police les protège et de discréditer immédiatement toute personne qui critique la police. Et ça fonctionne hyper bien électoralement, sans parler une seconde des questions sociales. On ne gagne pas une présidentielle en parlant mieux que les autres de sécurité. Mais on peut perdre si on en parle moins bien. Et je pense que ce sera la même chose quand on gouvernera le pays : on ne sera pas jugé sur notre bonne gestion de la police, mais on sera sanctionné si on la gère mal. Je crois que le fond est là, la gauche n’a rien à gagner à parler sécurité, mais elle a tout à perdre.

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Cet article est extrait du n°62 de la revue Regards, publié en avril 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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