TRIBUNE. Reconnaître ne suffit pas à réparer : l’État doit s’engager en faveur des centres d’archives LGBTQIA+

archvies lgbt

Ce mercredi à l’Assemblée, les députés examinent une proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Une loi sensiblement vidée de sa substance par les sénateurs.

Nous, centres d’archives et bibliothèques LGBTQIA+ du réseau interassociatif Big Tata, déplorons la décision du Sénat d’adopter le 22 novembre 2023 une version amoindrie et vidée de sa substance de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 déposée par le sénateur Hussein Bourgi. À quelques heures de sa présentation, mercredi 6 mars à l’Assemblée nationale, nous appelons les député.es à la rétablir dans sa totalité et à soutenir des réparations collectives en faveur des politiques mémorielles, des archives et de la recherche LGBTQIA+.

La réduction des bornes temporelles du texte initial est inacceptable. Elle fait sortir du périmètre de la proposition de loi la période 1942-1945 au motif que la République française ne pourrait être tenue responsable des fautes commises par le régime de Vichy. Pourtant, les deux Républiques suivantes se sont appuyées sur cette législation, et l’ont même aggravée en 1960 en classant l’homosexualité parmi les « fléaux sociaux ». Effacer cette continuité historique serait un signal préoccupant à l’heure où les idéologies fascistes d’extrême droite prospèrent et trouvent des débouchés politiques auprès d’héritières et d’héritiers directs du régime collaborationniste dont une partie siège au Parlement.

Par ailleurs, la suppression par le Sénat des réparations prévues de 10 000 € par condamnation et de 150 € par jour de détention est un non-sens dans le cadre d’une loi mémorielle de reconnaissance d’une faute de la République française. Nous n’avons pas besoin d’une reconnaissance qui ne serait que symbolique et nous ne voulons pas d’une telle loi. Les réparations prévues initialement par l’article 3 de la proposition de loi doivent être rétablies et des moyens substantiels doivent être alloués pour chercher et identifier les bénéficiaires éventuels comme cela s’est fait dans d’autres pays. Le montant de ces réparations – malheureusement uniquement individuelles – sont modiques et supportent mal la comparaison. Pour rappel, l’Espagne, pionnière en la matière, a voté 2 millions d’euros en 2008, l’Allemagne 30 millions en 2016 et le Canada 100 millions de dollars en 2017. Nous demandons des réparations individuelles et collectives à la hauteur de ces exemples internationaux, qui démontrent une véritable reconnaissance des préjudices subis.

Cette proposition de loi doit garantir une reconnaissance et des réparations pour l’ensemble des communautés LGBTQIA+ et des travailleur·euses du sexe. Malgré la disparition du crime de sodomie dans le Code Pénal adopté au lendemain de la Révolution française, tout un appareil répressif, à la fois législatif, réglementaire, administratif, judiciaire, médical et policier vise non seulement les homosexuels, mais aussi les lesbiennes, les prostitué·es, les personnes trans et intersexes. Ces lois et réglementations ne sont pas prises en compte dans le texte actuel. Nous demandons la constitution d’une commission scientifique et culturelle indépendante, dotée de moyens à la hauteur, pour construire des politiques mémorielles LGBTQIA+ justes. Les travaux de cette commission devront notamment établir l’étendue de l’impact structurel des lois et des règlements discriminatoires de l’État à l’encontre de l’ensemble des personnes LGBTQIA+ et des travailleur·euses du sexe depuis la Révolution française et jusqu’à aujourd’hui.

Les réparations individuelles prévues initialement par la proposition de loi doivent être étendues à des réparations collectives au service de la transmission et de la préservation des mémoires, des archives, de l’histoire et des cultures LGBTQIA+. À ce titre, les centres d’archives et les bibliothèques LGBTQIA+ constituent des lieux vivants, populaires et accessibles pour la transmission de ces mémoires dans toute leur diversité et complexité. Des militant·es – comme Michel Chomarat, Claudie Lesselier, Jean Le Bitoux ou encore Christian de Leusse – ont ouvert la voie à ce combat il y a plus de quarante ans. Nous poursuivons aujourd’hui leur engagement. Malheureusement, nos moyens et nos actions demeurent trop limités en France en raison d’un manque chronique de financements, qui fragilise notre travail de conservation et de valorisation. Pourtant, les archives et témoignages oraux collectées au quotidien par nos structures sont essentielles pour accompagner le travail de reconnaissance, de réparation et de recherche engagé par ce type de loi. Nous sommes prêt·es à jouer notre rôle.

Nombreuses sont les réparations collectives à l’étranger qui ont permis un travail de mémoire et une transmission de cette histoire commune à l’ensemble de la société. Les centres d’archives LGBTQI+, accessibles à toutes et tous, sont des lieux de mémoire vivants qui proposent quotidiennement des expositions, conférences, résidences d’artistes, projection… Ce sont des acteurs clés de la lutte contre les discriminations LGBTphobes. En Allemagne, les 10 millions d’euros de dotation ont permis la création de la Fondation Magnus Hirschfeld pour compenser les pertes de la communauté LGBTQIA+ subies pendant le régime nazi. Il est aujourd’hui nécessaire que la France prenne des engagements similaires, en allant vers une réparation collective des préjudices portés à la communauté LGBTQIA+ française. Nous demandons un financement pérenne et significatif des centres d’archives LGBTQIA+ pour nous aider à retrouver la mémoire.

SIGNATAIRES

Bibli Les L’un.e.s – Aubenas
Le Girofard. La Boîte sous le lit – Bordeaux
Espace QG – Bordeaux
La Collection BBQ – Itinérante
Librairie Les Guérillères – Itinérante
Mémoires minoritaires. Le Brrrazero – Lyon
Mémoire des sexualités – Marseille
Queer Code – Montpellier
Archives Gaies du Québec – Montréal
Les Mémoires manquantes. Archives LGBTQIA+ Azuréenne – Nice
ARCL. Archives Recherches et Cultures Lesbiennes – Paris
Collectif Archives LGBTQI+ – Paris
Exaequo. Centre Lesbien, Gay, Bi et Trans – Reims
Collectif Archives TPBGI de derrière les Faggot.es – Toulouse

Laissez un commentaire