Retraites : après le coup de force démocratique, quelles résistances ?

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Tout devrait se jouer ce jeudi : adoption ou rejet de la réforme des retraites, 49.3 ou motion de censure, dissolution de l’Assemblée nationale ? Le tout avec la rue mobilisée en fond sonore.

« Les Français doivent savoir que c’est un coup d’État que vous venez de déclencher ici au Sénat. Vous allez tristement marquer l’histoire. » Ces mots sont ceux de la sénatrice socialiste Sabine Van Heghe, que l’on pourrait difficilement qualifier d’« anarchiste d’extrême gauche », n’en déplaise aux macronistes. Voilà pour l’ambiance.

 

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47.1, 44.2, 44.3, article 38 du règlement du Sénat… et pour finir 49.3 ?[[L’article 47.1 de la Constitution permet de réduire les débat à l’Assemblée nationale ; le 44.2 bloque les amendements ; le 44.3 organise un vote bloqué ; l’article 38 du règlement du Sénat permet de réduire les débats au Sénat.]] Voilà pour les chiffres, ceux du coup de force de l’exécutif pour faire passer sa réforme des retraites. Quoi qu’il en coûte.

Pourquoi un tel besoin d’autoritarisme ? La réponse est limpide : le gouvernement ne veut pas débattre de son projet de réforme et veut en finir rapidement. Pas de débat, pour ne pas avoir à justifier publiquement des effets délétères de la réforme – cf. les mensonges concernant l’impact sur les femmes, le minimum retraite à 1200€, etc. En finir vite, passer vite à autre chose, pour ne pas laisser le pays s’engoncer dans la grève.

Pour le timing, la semaine dernière, les deux premières étapes législatives ont été passées : l’Assemblée et le Sénat. La première chambre n’a quasiment rien voté – tout juste les deux premiers articles de la loi. La seconde en a fait une réforme signée Les Républicains – sans parvenir à concilier l’ensemble des LR !

Troisième épreuve pour le triumvirat Macron-Borne-Dussopt : la commission mixte paritaire, aka la CMP, qui réunira ce mercredi sept députés et sept sénateurs afin de faire ressortir un texte commun – une formalité où les leaders LR et Renaissance vont se faire des papouilles à huis clos car « la majorité présidentielle et la droite disposeront de 10 des 14 sièges au sein de cette commission », précise franceinfo. Ce mercredi même aura lieu une nouvelle journée de mobilisation dans toute la France.

Le texte de la discorde doit ensuite être soumis aux votes des deux chambres. C’est là que ça se corse. « C’est la roulette russe ou c’est la grosse Bertha », résume parfaitement le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau.

Le 49.3, et après ?

Tout le monde ne parle que de ça. Même les membres du gouvernement (en employant la négative, ce qui n’échappe à personne). Et pour cause : le Sénat, s’il a voté sans faiblir la réforme, montre à quel point la droite est fébrile. En première lecture, elle n’a pas franchement plébiscité la réforme des retraite : chez les LR, on compte 18 abstentions et 6 votes contre. C’est ce jeudi 16 mars, au matin, que les sénateurs s’exprimeront pour la dernière fois. L’après-midi, la réforme fera son grand retour à l’Assemblée. Tout le monde s’accorde sur un point : ça se jouera à une voix près. Alors, par peur de la déconfiture, Élisabeth Borne devrait recourir à l’article 49.3. « On n’ira pas au vote si on sait qu’on va perdre », dit-on à Matignon.

Comment qualifier une démocratie où une loi est adoptée sans jamais avoir été votée par la représentation nationale ? On vous laisse y réfléchir.

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Qui dit 49.3 dit… engagement de la responsabilité du gouvernement. Et ça, Élisabeth Borne n’aime pas trop[[On se souvient que lors de son discours de politique générale, après sa nomination à Matignon, Élisabeth Borne s’était refusée au traditionnel vote des députés – le vote sur la confiance, qui délimite la majorité et l’opposition –, par peur d’apparaître comme à la tête d’une majorité… minoritaire.]]. Ainsi donc, en passant en force, l’exécutif pousserait le législatif à répondre coup pour coup, en enclenchant une motion de censure. C’est de la droite que viendrait le tir fatal : le nom de Charles de Courson, figure respectée de tous ses pairs au Palais Bourbon, est cité pour déposer une motion « transpartisane » avec son groupe LIOT, le PS, les communistes et quelques LR, et ainsi offrir une fenêtre de tir pour que les députés RN ceux de la Nupes votent ensemble. Sachant qu’il faut 287 voix pour avoir une majorité à l’Assemblée[[Il y a actuellement cinq sièges vacants à l’Assemblée nationale.]], il ne faudrait que le vote de 25 députés LR pour faire tomber le gouvernement…

Fun fact : pour battre le triste record d’Édith Cresson, Élisabeth Borne doit rester à Matignon jusqu’au 6 avril…

Sauf que… par-dessus la mêlée, se moquant de tous les belligérants, plane Emmanuel Macron. Va-t-il, lui aussi, activer son bouton nucléaire : la dissolution ? Le locataire de l’Élysée en a déjà explicitement formulé la menace en septembre dernier. C’est à se demander ce qu’il a à y gagner, quel que soit le scénario final…

Ou alors, le chef de l’État peut tenter de la jouer plus fine, en s’exposant au rejet de l’Assemblée nationale. Alors, le texte repartirait en deuxième lecture entre les sénateurs et les députés, pour finir son périple au plus tard le 26 mars. Et s’il n’était pas alors voté, l’exécutif pourrait, comme le lui permet la Constitution, légiférer par ordonnance. Mais souhaite-t-il gagner du temps ? Pourquoi alors, depuis le début de cette séquence politique, avoir voulu réduire le temps du débat parlementaire ?

La rue et les Sages

Parallèlement à ce dernier acte de la réforme des retraites, où s’affrontent l’exécutif et le législatif, la bataille se mène sur un autre front : la rue. Laurent Berger et Philippe Martinez n’entendent pas abandonner les manifestants et les grévistes. Le leader de la CFDT juge que « cette réforme aura un vice démocratique si elle passe par le 49.3 », quand le patron de la CGT prévient : « Adopter une telle réforme qui touche au quotidien des citoyens de cette façon-là [peut] mettre le feu aux poudres […] C’est une colère qui va grandir ». Les dirigeants syndicaux ont d’ailleurs annoncé un rassemblement jeudi devant l’Assemblée nationale. La pression sera maximale.

Et si le 49.3 l’emporte, et pas la motion de censure ? Et si le gouvernement réussit sa négociation avec Les Républicains ? Et si Emmanuel Macron ne dissout pas l’Assemblée ? Et si la rue, à défaut d’être entendue par le pouvoir, s’essouffle plutôt que de s’embraser ?

Reste, peut-être, une dernière carte à jouer : la saisine du Conseil constitutionnel. En effet, le Conseil d’État a déjà alerté le gouvernement quant à la possible inconstitutionnalité de certaines mesures de la réforme, tant sur le fond que sur la forme.

Winter is coming.

 

Loïc Le Clerc

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