Minimum retraite à 1200 euros : chronique d’un accident industriel

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Rien de tel qu’un Macroniste pour dire du mal de la réforme des retraites !

Lors de la matinale de France Inter, le 7 février, l’économiste Michaël Zemmour a mis en pièce le mensonge « des retraites à 1200 euros minimum », répété à satiété par les membres du gouvernement. Ce fut un vrai, et de plus en plus rare, moment de radio.

 

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Les auditeurs ont noté la promesse de Léa Salamé : « On va vérifier dans le texte du gouvernement. Parce qu’effectivement ça change la donne ! » La journaliste-vedette a, un peu, tenu sa promesse, sur France 2, samedi 11 février, autour de minuit. Elle a redonné la parole à Michaël Zemmour.

Et elle a offert une pige supplémentaire à Dominique Seux qui a resservit en temps réel les termes de langage évolutifs du gouvernement : « Une réforme des retraites, c’est un effort ». Le dîneur de l’Élysée s’est, au passage, classé lui-même parmi les « on » qui croyait au « sucré » du projet gouvernemental. Cela ne l’a pas empêché de remettre une pièce dans la machine à fake news en parlant « d’un effort supplémentaire pour à peu près tout le monde ». De temps en temps, il devrait diversifier ses sources d’information, y compris auprès de son co-débatteur du vendredi, Thomas Piketty.

Mais, au moins, a-t-il évité un pitoyable déni comme celui du ministre Frank Riester, ou encore cette cascade sans filet d’Olivier Véran…

Mais il y a pire et peut-être encore plus significatif que ce déni : l’aveu, ce dimanche 12 février, sur France 3, du ministre Dussopt, officiellement en charge d’une réforme dont le Parlement est censé débattre en toute connaissance de cause : « Je ne peux pas vous dire exactement combien » de personnes seront concernées par la retraite minimum de 1200 euros. L’accident industriel !

Tout cela signe le dangereux mépris de la vie réelle des catégories populaires et de la démocratie par les défenseurs politiques ou journalistiques de cette réforme.

1200 euros pour… personne ?

Au reste, une note de trois chercheurs de l’Institut des politiques publiques, Patrick Aubert, Carole Bonnet et Maxime Tô, parue le 9 février apporte, elle, des précisions utiles. Après lecture attentive du projet de loi du gouvernement, les auteurs confirment que l’annonce gouvernementale d’un minimum de pension à 1200 euros « ne vise pas la création d’un nouveau mécanisme de pension minimale, mais est l’illustration de la proposition d’augmenter le « minimum contributif » (parfois appelé par l’acronyme MICO) de 100 euros. Une telle augmentation permettrait effectivement aux salariés ayant travaillé au Smic toute leur carrière d’avoir une pension à 1200 euros ». Mais eux aussi constatent que, « comme il a été souligné au cours du débat, cette situation précise ne concerne qu’un très petit nombre de personnes ». Les auteurs font les calculs pour différents autres cas types illustratifs :

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Certes, cela ne concerne à chaque fois qu’un petit nombre de personnes. Mais ce n’est pas plus arbitraire que le cas type du salarié qui a effectué une carrière complète à plein temps au Smic.

 

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Au total, les chercheurs estiment que « moins de 10% des nouveaux retraités sont potentiellement concernés par l’augmentation maximale de 100 euros ». Et cela ne leur garantit pas une retraite à 1200 euros. Et s’agissant des anciens retraités, les chercheurs estiment qu’une majorité des 40% bénéficiaires d’un minimum de pensions ne bénéficieraient d’aucune augmentation, sans même parler d’un minima à 1200 euros.

À la fin de leur note, les chercheurs participent au débat sur la politique souhaitable en matière de pension de retraite minimale. Question distincte, soulignent-ils, de celle du minimum vieillesse. Il faudrait selon eux continuer de calculer les minimas de retraite en fonction de la durée de cotisations. Mais en cessant de l’aligner sur la durée des carrières complètes. On devrait sans doute aussi sortir du carcan de la revalorisation des minima contributifs et de l’enchevêtrement des conditions d’attribution des différents minima sociaux.

Il y aura même des perdants

Non seulement la revalorisation des minima de pensions ne permettra d’atteindre les 1200 euros qu’à un petit nombre de personnes mais, en plus, il n’y aura même pas que des très petits gagnants. C’est ce que démontre à nouveau Michaël Zemmour dans son blog d’Alternatives économiques. Ceux qui perçoivent à la fois une pension retraite minimum et du minimum vieillesse ne gagneront rien. Ceux qui perçoivent en plus de leur pension minimum des aides au logement verront leur augmentation rognée. Et ceux qui perçoivent minimum retraite, minimum vieillesse et aide au logement y perdront.

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[cliquez sur le graphique pour accéder à l’article]

 

Il est difficile de dire avec certitude quel est le nombre de personnes effectivement concernées par ces différentes configurations. Mais selon Michaël Zemmour, « il est probable que ces cas soient de l’ordre de quelques centaines de milliers d’individus. C’est à la fois relativement peu à l’échelle de la réforme, et non négligeable si on tient compte du fait qu’il s’agit de retraités déjà très modestes ».

Une réforme contre le peuple

Dans sa chronique, Thomas Piketty souligne un fait politique essentiel. Contrairement à ce qu’affirme Dominique Seux, la réforme ne changera pas la situation des cadres supérieurs. A fortiori celle des super riches. Elle nourrira au contraire pour ces derniers, la machine à profits et à rente par la baisse recherchée des coûts salariaux : « Le fait de porter l’âge légal à 64 ans n’a, par définition, aucun impact sur les plus diplômés et les cadres supérieurs : si vous avez commencé à travailler à 22 ou 23 ans, vous devez déjà cotiser 42 annuités (bientôt 43) et donc attendre 64 ou 65 ans pour avoir une retraite à taux plein. L’accélération du passage à 43 annuités va certes toucher une partie de ce groupe (uniquement les plus de 50 ans), mais beaucoup moins que les ouvriers et employés, qui ont commencé à travailler à 19 ou 20 ans : ces derniers vont aussi faire les frais du report de l’âge légal et vont avoir besoin d’avoir 44 annuités pour une retraite pleine (et parfois 45 ou plus, quoi qu’en dise le gouvernement), alors même que ce sont eux qui ont la plus faible espérance de vie et financent la retraite des cadres ».

Deux notes récentes de chercheurs apportent là encore des précisions utiles. L’économiste Christine Erhel et le sociologue et statisticien Thomas Amossé ont utilisé les données des enquêtes emploi de l’Insee pour analyser la situation des travailleurs et travailleuses « de la deuxième ligne »[[Face à l’épidémie de covid-19, les « travailleurs de la deuxième ligne » ont permis la continuité des activités économiques malgré leur exposition au risque sanitaire. Ils et elles sont ouvriers (dans l’agriculture et les industries agroalimentaires, le bâtiment, la manutention), bouchers, charcutiers, boulangers, vendeurs de produits alimentaires, caissiers de la grande distribution, agents du nettoyage et de la propreté, de l’aide à domicile, de la sécurité etc. Ils sont plus de 4,5 millions en activité.]] de plus de 50 ans. Leur analyse est sans appel : les seniors de la deuxième ligne sont, le plus souvent, exclus des dispositifs de pénibilité. Ils sont nettement plus nombreux à être ni en emploi ni en retraite (26% contre 15%). Et quand elles et ils ont un emploi, celui-ci est relativement de plus en plus mal rémunéré.

En 2020, ces travailleurs et travailleuses avaient été quasiment héroïsés par Emmanuel Macron. Élisabeth Borne, elle-même, avait créé une « mission d’accompagnement des partenaires sociaux dans la démarche de la reconnaissance des travailleurs de la deuxième ligne ». Aujourd’hui elles et ils seraient particulièrement victimes de leur réforme des retraites.

Le statisticien Julien Blasco et le philosophe Ulysse Lojkine ont regardé de plus près les statistiques d’espérance de vie selon que l’on est homme ou femme, selon que l’on a été cadre, ouvrier ou employé. Et ils ont aussi regardé les choses en considérant l’espérance de vie en bonne santé ou pas. La réforme du gouvernement va tendre à raccourcir le temps de vie à la retraite en bonne santé.

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Espérance de vie, avec et sans incapacité, pour des actifs de 30 ans. Exemple : un employé masculin de 30 ans peut s’attendre à vivre 50 ans, jusqu’à 80 ans, dont 35 ans, jusqu’à 65 ans, sans incapacité.

 

Mais cela se fera dans l’injustice, en aggravant les inégalités sociales, et non pas « à peu près de la même façon pour tout le monde ». Parce que le recul effectif de l’âge de la retraite sera plus faible pour les cadres que pour les ouvriers et les employés. Et parce que la diminution de l’espérance de vie en bonne santé sera proportionnellement plus importante pour les catégories populaires.

C’est ce que les auteurs appellent la double peine : les ouvriers et les ouvrières meurent plus tôt que les cadres et passent une plus grande partie de leur vie en incapacité. À 30 ans, un ouvrier n’a que 58% de chance d’’être vivant et en bonne santé à 60 ans, contre 79% de chance pour un cadre. Il peut s’attendre à vivre sans incapacité jusqu’à 62,4 ans et jusqu’à 64,7 ans si c’est une femme. Faire passer dans ces conditions l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, c’est vraiment le temps des injustices et du mépris.

 

Bernard Marx

 

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