Retraites : souvent gouvernement varie et fol est qui s’y fie
À la question « Pourquoi faut-il réformer les retraites », la Macronie a bien du mal à donner une réponse cohérente. Et ils s’étonnent que les Français n’en veulent pas de leur réforme…
Mardi 10 janvier, au terme d’un long monologue social et après une exigeante concertation avec elle-même, la Première ministre a présenté la réforme des retraites du gouvernement. Au-delà des principales mesures annoncées, deux aspects du discours méritent attention : toutes les économies réalisées par ses réformes seront destinées à pérenniser le système des retraites ; le nécessaire travail de pédagogie pour engager la bataille de l’opinion.
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Sur ce second point, le gouvernement est en passe de réaliser une forme d’union nationale… contre lui. Selon un sondage IFOP pour le JDD, paru dans l’édition du dimanche 15 janvier, 68% des Français sont hostiles à la nouvelle réforme des retraites – ils ne sont même que 29% à soutenir le recul de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite.
Dans les dernières semaines, Élisabeth Borne a privilégié la recherche d’une majorité parlementaire plutôt qu’une majorité dans le pays. Si l’accord avec Éric Ciotti a bel et bien été scellé, le front LR semble se fissurer. Treize des 62 élus LR ont d’ores et déjà annoncé qu’ils voteraient « non » en l’état de la réforme. C’est le cas notamment d’Aurélien Pradié, candidat malheureux à la présidence des Républicains, par opposition à tout allongement de l’âge de départ à la retraite au profit d’autres solutions. À l’extérieur du groupe, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, a dénoncé « une réforme pour les gens qui vont bien ».
Plus inquiétant encore pour le gouvernement, seuls 51% des sympathisants LR se déclarent favorables au texte, une donnée susceptible d’élargir la fronde chez certains députés.
Ajoutons que pour un économiste comme Philippe Aghion, qui peut difficilement passer pour le porte-parole de la CGT ou de LFI, cette réforme « revient à opérer un transfert de revenus des catégories les moins favorisées, à espérance de vie plus faible, vers les couches les plus aisées ». Pas exactement la définition d’un « progrès social » pourtant annoncé par la Première ministre.
Pour l'économiste Philippe Aghion, invité du #le1314inter, la retraite à 65 ans est "injuste et inefficace" : "Ça revient à opérer un transfert de revenus des catégories les moins favorisées, à espérance de vie plus faible, vers les couches les plus aisées" pic.twitter.com/mHN81e2iAl
— France Inter (@franceinter) October 10, 2022
La réforme, c’est pour les retraites… ou pas
Élisabeth Borne l’a indiqué dès le début de son intervention du 10 janvier : « Nous proposons un projet qui finance exclusivement nos retraites. Chaque euro cotisé servira à financer nos retraites. » Un beau spectacle, bien répété, qui ne doit pas faire oublier que souvent gouvernement varie et fol est qui s’y fie.
Si le ministre de l’Économie Bruno Le Maire martelait à son tour le 10 janvier que « chaque euro économisé ira aux caisses de retraites et uniquement aux caisses de retraites », le même avait un tout autre discours au mois de septembre devant les micros de France Inter : « Il faut bien financer nos hôpitaux, nos collèges, nos lycées, nos universités, et c’est la réforme des retraites qui permettra de garantir ce financement ».
Peu avant le premier tour des élections législatives, le représentant de la majorité présidentielle, Olivier Véran, déclarait quant à lui : « Oui, réformer les retraites est nécessaire. Nécessaire pour financer davantage de services publics ».
Dans un intéressant document gouvernemental publié en juillet 2022, et sobrement intitulé « Programme de Stabilité », on peut ainsi lire page 16 de l’étude : « Sur la période 2023-2027, le gouvernement s’est fixé pour objectif le retour à des comptes publics normalisés une fois la crise sanitaire passée : le déficit public reviendrait sous le seuil de 3% à l’horizon 2027, grâce à un ajustement structurel de 0,3 point de PIB par an à compter de 2024 ». Puis au paragraphe suivant : « Ces différentes mesures pourront être mises en oeuvre tout en garantissant la soutenabilité de nos finances publiques via une maîtrise de la dépense publique sur tous les sous-secteurs (+0,6% en volume hors urgence et relance en moyenne sur la période 2023-2027). Une réforme des retraites, comme le président de la République s’y est engagé au cours de la campagne électorale, contribuera notamment à cet objectif. »
Le président de la République n’a pas été en reste. Après avoir abondamment expliqué en 2019 qu’un allongement de l’âge de départ à la retraite était au grand jamais exclu, puis avoir indiqué à l’automne 2021 qu’une réforme du système des retraites pourrait financer une loi sur le grand âge, Emmanuel Macron en septembre 2022 défendait désormais qu’une telle réforme permettrait d’investir dans la transition écologique, l’école et l’hôpital. N’en jetez plus, on finit par avoir le tournis.
En marge de la communication gouvernementale, les fous du Roi, ceux qui donnent les vraies raisons de la contre-réforme, agitent leurs grelots dans la presse libérale. C’est le cas de la chronique d’Éric Le Boucher dans Les Échos du 13-14 janvier. D’une part l’enjeu est bien la question des 3% de déficit public – « l’équilibre financier général de la France et la dynamisation de la croissance par le travailler plus longtemps ne peuvent pas être ignorés » –, et d’autre part, « l’argument de la nécessité d’une réforme pour rassurer les marchés financiers sur la signature de la France ne peut pas être repoussé sans irresponsabilité ».
Les taux d’intérêt sur les marchés financiers ayant à peine commencé à remonter, voilà un argument promis à un bel avenir et qui sera actionné le moment venu pour saper un peu plus les droits à la retraite des Français.