Derrière l’arbre de la mixité scolaire, la forêt des inégalités sociales

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POST-MACRON. Laurence De Cock déconstruit le discours du gouvernement en faveur de plus de mixité sociale à l’école et avance les pistes d’une véritable politique en la matière.

Une fois n’est pas coutume, la question de la mixité sociale à l’école, que le ministre Pap Ndiaye présentait comme la mesure-phare de son mandat, a fait la une des médias. On peut s’en féliciter car il s’agit en effet d’un chantier important tant la France est championne de la ségrégation scolaire.

 

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Pour calculer le niveau d’entre-soi social à l’école, on dispose d’un indicateur, l’IPS (indice de positionnement social) produit par les services académiques de l’Éducation nationale depuis 2016. Il oscille entre 38 (très faible, caractérisant une situation de grande précarité sociale) à 179 (situation la plus favorable). L’IPS moyen en France est de 103. Une moyenne qui masque les importantes disparités selon la nature des établissements, publics ou privés, ou leur appartenance géographique.

À titre d’exemple, l’IPS moyen à Mayotte est de 88 tandis qu’il est de 126 à Paris. Dans le privé sous contrat, il est de 121, dans le public de 105 et en REP+ (éducation prioritaire) de 74. Surtout, on observe un écart-type très petit dans les collèges les plus défavorisés comme dans ceux qui scolarisent les enfants des catégories sociales supérieures, ce qui signifie que l’homogénéité sociale est très importante. Dit autrement, nous vivons dans un pays dans lequel subsistent des écoles pour les enfants pauvres au côté d’écoles pour les enfants riches.

Une très forte ségrégation scolaire

Rendus publics à l’automne dernier, ces indices ont provoqué un petit électrochoc médiatique sur lequel a pu surfer un moment le ministre allant jusqu’à faire croire qu’il s’apprêtait à franchir le tabou de la « liberté scolaire » pour demander aux établissements privés de s’engager à plus de mixité sociale. On connaît la suite : le flop d’une réforme non soutenue par un gouvernement qui a besoin du soutien de ses droites pour gouverner, lesquelles n’ont ni intérêt ni envie de s’emparer du dossier de la mixité scolaire et encore moins de se mettre l’enseignement privé à dos.

Dès lors, la déception est bien compréhensible. D’autant que toutes les recherches en sociologie de l’éducation montrent le caractère plutôt bénéfique de cette mixité pour les enfants en difficulté comme pour les autres. Les premiers n’améliorent pas leurs résultats de manière miraculeuse, voire ne les améliorent pas du tout, mais connaissent une augmentation significative de leur bien-être social, c’est-à-dire qu’ils se sentent plus considérés, moins stigmatisés. C’est ce que montre la dernière note du Conseil scientifique de l’éducation nationale parue en avril 2023. Les seconds, eux, seraient bons quoi qu’il arrive et où qu’ils soient. La rencontre avec l’altérité sociale participe chez eux d’un contact avec la réalité, ce qui est toujours ça de pris sur le plan de leur éducation citoyenne. La mixité scolaire ne fait pas de miracles mais elle est un préalable intéressant.

L’arbre qui cache la forêt

La focalisation sur la mixité scolaire comme le mantra de la lutte contre les inégalités pose malgré tout quelques questions. Les inégalités scolaires ont d’autres manifestations et origines dont on parle trop peu. En sus d’être un pays scolairement ségrégué, la France est le pays de l’OCDE qui peine le plus à faire réussir les enfants des milieux défavorisés tandis qu’elle excelle à emmener très loin les enfants des milieux favorisés, du fait notamment de son tissu de classes prépas et de grandes écoles qui les accueillent à bras ouverts car elles sont conçues pour eux. Tout cela n’est pas uniquement le produit d’un déterminisme social mais s’explique aussi par des politiques volontaristes pour favoriser les enfants les mieux dotés.

Ainsi, Jean-Paul Delahaye, l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire du ministre Vincent Peillon, a comparé le coût des divers dispositifs d’accompagnement éducatif en éducation prioritaire (aides aux devoirs, activités culturelles et sportives) et en classes préparatoires (essentiellement les khôlles). Pour les premiers, l’État dépense 18,80 euros par élève, pour les seconds, 843 euros… soit 45 fois plus.Notre système éducatif passe son temps à punir les enfants pauvres. La récente réforme du lycée professionnel se comprend également comme cela : constitué de plus d’un tiers d’élèves des milieux populaires, l’enseignement professionnel prépare une orientation précoce dans le monde du travail, un tri social qui ne dit pas son nom et tombe encore sur les plus faibles.

De manière générale, l’école en France n’est pas faite pour les enfants les plus socialement défavorisés. La sociologie de l’éducation depuis Bourdieu-Passeron l’a amplement documenté. Elle a montré la différence de proximité des catégories sociales vis-à-vis de la culture scolaire et la façon dont l’environnement familial des familles à haut capital culturel était déterminant. Certains l’accusent à tort de fatalisme, ceux qui croient encore aux mythes de la méritocratie et de l’« égalité des chance » sans voir qu’ils écrasent la plupart des familles et enfants qui ne disposent pas des codes culturels et scolaires. Pourtant, des solutions existent, même si elles requièrent un fort volontarisme politique.

Pour une école publique et populaire

Se focaliser sur la question de la mixité sociale à l’école est une façon confortable d’éviter de prendre à bras le corps, non seulement la question des inégalités sociales à l’échelle de la société toute-entière, mais aussi celle de la nature structurellement inégalitaire de l’école en France. Mélanger des enfants de catégories sociales dans une même classe ne changera rien si le reste ne suit pas, à commencer par une refonte complète du système éducatif. Concevoir une école pour les enfants qui ont le plus besoin d’école est un vrai projet politique émancipateur. Cela suppose d’inverser la boussole et de cesser de demander aux enfants les plus fragiles de s’adapter aux normes bourgeoises.

Ces dernières sont partout : dans les programmes encyclopédiques qui valorisent des savoirs intellectuels, dans les modalités d’évaluations et de notations qui génèrent une concurrence effrénée, dans l’agencement des parcours (autrefois « filières ») qui privilégient les familles documentées et fines connaisseuses d’un système labyrinthique, dans l’argent demandé aux familles (pour les sorties, les repas, les fournitures) qui interdit désormais de parler d’école gratuite et enfin dans les pratiques pédagogiques encore trop descendantes et peu soucieuses des savoirs populaires.

Le courage politique serait de reposer tout cela sur la table et d’entamer un vaste chantier de refondation. Il faudra de l’argent (et pour cela cesser d’abreuver l’école privée), de la créativité et beaucoup de patience. Il faudra également que la société accepte, et notamment à l’intérieur de la gauche, la responsabilité qui lui incombe de se préoccuper tout autant, voire davantage des enfants des autres que de sa propre progéniture.

 

Laurence De Cock

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