Mayotte : « On a l’impression de se retrouver 60 ans en arrière, au moment de la décolonisation »

Avec son « opération Wuambushu », Gérald Darmanin entend « restaurer la paix républicaine » en détruisant 1000 maisons « dans les deux mois ». Une démonstration de force sous couvert de lutte contre la délinquance et l’immigration illégale. On en a causé avec le porte-parole du DAL.

Jean-Baptiste Eyraud est porte-parole de Droit au logement (DAL).

 

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Regards. En quoi le problème actuel de Mayotte est avant toute chose une question de logement ?

Jean-Baptiste Eyraud. Il y a une amalgame du gouvernement entre plusieurs problématiques : celles de la délinquance, des « bandes de jeunes », des réfugiés et des sans-papiers et la question du logement. Le préfet dit lui-même qu’un tiers des habitants de ces bidonvilles sont des Mahorais, un tiers des migrants pourvus de papiers et un tiers de sans-papiers. En faisant cet amalgame, le gouvernement ne traite pas le principal problème vécu par les Mahorais : la violence. Or, la délinquance ne vient pas des bidonvilles – les bandes habitent ailleurs. La question que l’on se pose est la suivante : pourquoi le gouvernement s’attaque-t-il à l’habitat de personnes et non au cœur de l’insécurité ? Il existe un déficit énorme en matière de protection de l’enfance, ce sont des mineurs qui commettent des délits, des agressions. C’est un fait connu depuis des années à Mayotte. Mais on préfère régler par la répression une carence sociale, un problème de pauvreté, un abandon de la part du gouvernement français. On a l’impression de se retrouver 60 ans en arrière, au moment de la décolonisation. Les lois républicaines doivent s’appliquer à Mayotte, comme ailleurs, car la France est un État de droit – ce qui explique que des juges contestent et suspendent des procédures de destruction. Il faut se rendre compte que détruire des habitations, des lieux de vie, et laisser les gens sur le trottoir, c’est d’une cruauté sociale extrême. L’humain a besoin d’un abri.

Gérald Darmanin a déclaré : « Ce qui met en danger la population c’est l’insalubrité, l’insécurité et la non reconnaissance du droit de propriété. » Qu’en dites-vous ?

Oui, c’est bien beau comme déclaration, sauf que par ses actions en tant que ministre de l’Intérieur, il va mettre les gens encore plus en danger. Pourquoi ce n’est pas le ministre du Logement qui s’occupe de ces bidonvilles ? Où est passé Monsieur Klein ? C’est lui qui devrait être au front pour résoudre la question de l’habitat insalubre !

Cette opération quasi-militaire est permise par la loi « portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique », dite loi Élan. Quel est le problème avec cette loi ?

Il y a une procédure d’exception, créée par l’article 197 de la loi Élan, qui autorise le préfet à expulser sur décision administrative, donc sans jugement, les habitants de « quartiers informels » – des bidonvilles, tout simplement. Normalement, pour tout ce qui concerne un domicile, il faut une décision de justice. La loi Élan en exonère le préfet. Cette procédure expéditive est arbitraire, mais elle prévoit un minimum de protection pour les habitants. En effet, le préfet doit reloger ou héberger, en fonction de la situation, les personnes expulsées. Il doit également s’occuper des biens de ces personnes, car il n’y a aucune raison de les détruire comme les habitations. Mais ce sont des points qui gênent les préfets. Et c’est bien parce que le préfet n’a pas prévu de relogement pour la totalité des personnes qu’un tribunal a suspendu la démolition d’un bidonville. Il faut se rendre compte, à Mayotte, la situation du logement est catastrophique : 27% des Mahorais habitent dans un bidonville ! Tant qu’on n’aura pas une politique du logement avec un droit au logement, ça ne s’améliorera pas. Et en France métropolitaine, même si ça ne sera pas aussi dramatique, on prend le même chemin, celui d’une explosion des sans abri et des bidonvilles

 

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

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