La répression politique en 3 ou 4 exemples

Un éditeur français arrêté à Londres par l’antiterrorisme, un avocat poursuivi par le préfet et des manifestants arrêtés voire condamnés, pour rien. Une nouvelle semaine en Macronie.

« La France : une dérive vers quel régime ? » Tel était le titre de la tribune d’Éric Le Bourg, publiée sur notre site début avril. L’auteur s’inquiétait du durcissement autoritaire de notre République, ne mâchant pas ses mots : « Le régime en place fait donc un usage brutal de la force publique, ceci de façon maintenant habituelle ; il restreint les libertés publiques par des interpellations arbitraires ; il recourt à tous les artifices pour obtenir l’adoption d’une loi qui a contre elle la grande majorité de la population et la majorité de l’Assemblée nationale ; par son arrogance et son mépris de « ceux qui ne sont rien » – qui ne se démentent pas avec le temps –, il fait monter la colère de ce qu’il appelle la « foule », pour ne pas dire la populace. En somme, le régime gouverne sans et contre le peuple et ses élus, et mise sur la peur en usant de tous les moyens coercitifs. Une situation pareille peut mener à des drames et à l’abîme. »

 

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Sans prétendre affirmer si, oui ou non, la France est en train de dériver vers une forme d’illibéralisme à la Viktor Orban, voici quelques faits qui ont eu lieu ces derniers jours. Chacun jugera.

Le 17 avril, Ernest, responsable des droits étrangers aux éditions La Fabrique, est interpellé à son arrivée à Londres, apprend-on via Mediapart. Il s’y rend pour la Foire internationale du livre. Motif de l’arrestation : « Vérifier qu’il n’est pas sur le point de commettre des actes terroristes ou en possession de matériel destiné à une entreprise terroriste ». S’en suivent 24 heures de garde à vue et une libération sans poursuite, pour l’heure – son téléphone et son ordinateur ont été conservés par les policiers.

Voilà le genre de questions auxquelles il a été sommé de répondre : « Soutenez-vous le président Macron ? Avez-vous participé aux récentes manifestations en France ? Quels livres vont être publiés prochainement par La Fabrique ? » Des questions assez éloignées de l’antiterrorisme, à moins que les Britanniques aient fait leur la définition de Gérald Darmanin

Sur Mediapart, on lit ceci : « L’avocate dénonce une « instrumentalisation » britannique qu’elle suspecte être en lien avec les autorités françaises. […] Interrogé, le ministère de l’intérieur n’a pas répondu, et a renvoyé vers le ministère des affaires étrangères. Quant à eux, les policiers britanniques ont argué, selon ses employeurs, du fait qu’ »Ernest aurait participé à des manifestations en France ». »

Ou, comme le tweete Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de Socialter : « Ce type de manœuvre vise à mettre la main sur des documents et communications qui permettent avant tout de connaître les réseaux militants et engagés : qui communique avec qui et pourquoi. Un éditeur est un point névralgique a la croisée de militants, intellos et auteurs. On se doute bien que ces informations devraient fort peu intéresser les autorités britanniques et qu’elles sont destinées aux services français, qui multiplient les agitations de terrorisme et autres menaces pour justifier des restrictions de libertés publiques. »

Arrestations arbitraires et justice expéditive

Sur Politis, on découvre l’histoire de l’arrestation de quatre enseignants. Ils s’étaient retrouvés devant le Conseil constitutionnel, le matin du jeudi 13 avril, avant de rejoindre la manifestation parisienne. Ils portent une banderole contre la réforme des retraites et l’un d’eux arbore un chasuble du syndicat Solidaires. Contrôlés par la police, ils sont immédiatement embarqués et placés en garde à vue pour « organisation de manifestation non déclarée », leur dit-on alors.

Au commissariat, les accusations se sont muées sans plus d’explications en « attroupements, entrave à la liberté de circuler et intimidation à l’égard des magistrats ». Vient alors un chantage assez courant : « Si vous donnez votre code de téléphone, vous sortez ». Trois des enseignants refusent, mais le quatrième – un certain Marc – n’a pas son téléphone sur lui. Voilà pourquoi il passera une nuit au tribunal judiciaire de Paris et se verra ensuite notifier d’un « avertissement pénal probatoire » au motif que « l’enquête a démontré votre implication dans la ou les infractions pénales suivantes : refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie à Paris le 13 avril 2023 […] Vous avez reconnu votre culpabilité. »

Passons sur les arrestations et accusations arbitraires des trois autres enseignants… et savourons la chute de l’article de Politis : « Non seulement le parquet de Paris exige de Marc et de ses amis qu’ils versent 400 euros à une association d’aide aux victimes mais leur demande, en plus, de « se dessaisir au profit de l’État du produit de l’infraction : téléphone portable ». Or pour Marc, ce produit de l’infraction est inexistant. Ce dernier, comme les trois autres, a refusé de signer ce document mais il n’existe aucun recours possible contre cette mesure. »

Dans la même veine, on pourrait évoquer le témoignage de « Greg, étudiant en socio » (tel qu’il se présente sur Twitter), qui raconte sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris pour être passé devant une poubelle en feu alors qu’il rentrait chez lui.

Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Souleymane, malheureusement connu pour avoir été arrêté arbitrairement à deux reprises. La première fois, le 20 mars, le jeune étudiant avait était victime des propos homophobes, des menaces, des coups et de l’agression sexuelle des agents de la Brav-M ; la deuxième fois, le 14 avril, il est accusé d’avoir mis le feu à des poubelles. Relâché car relaxé, ce sont finalement les policiers qui sont l’objet d’une enquête pour cet incendie. Son avocat, Arié Alimi, tweete alors : « Les policiers avaient menti. La préfecture avait menti. Les policiers ont-ils provoqué et participé à des incendies ? Est-ce une pratique courante sur instruction de la préfecture. Les vidéos parleront. » Réaction de la préfecture de police : une plainte en diffamation contre le juriste. De quoi indigner le syndicat des avocats de France, qui écrit dans un communiqué : « Nous nous inquiétons de cette nouvelle dérive autoritaire de la préfecture n’hésitant plus à s’en prendre aux droits de la défense et à ceux qui l’exercent. »

Une « dérive autoritaire ». Nous y revenons donc. Pendant cette séquence politique des retraites, on ne compte plus les scènes de violences policières à l’encontre de journalistes, de députés, de manifestants pacifiques, de simples passants, ni les personnes blessées par la force de l’ordre, parfois grièvement ; on ne compte plus les jours sans la moindre réaction du pouvoir face à un manifestant dans le coma ; on ne compte plus les arrestations arbitraires, les condamnations abusives.

Alors, ils sont où les « factieux » ?

 

Loïc Le Clerc

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