Lycée Yabné : antisémitisme au bac ou pas ?

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Des élèves discriminés au bac parce que juifs ? Notre chroniqueur Éric Le Bourg revient sur la fake news et la vraie polémique.

Une polémique est apparue concernant les notes au bac des élèves du lycée confessionnel juif Yabné à Paris. Certains élèves ayant obtenu des notes à un examen oral peu en accord avec leurs attentes, le lycée Yabné (« discrimination probable d’élèves juifs au baccalauréat »), des politiciens (« Il s’est visiblement passé quelque chose de pas très normal ») et médias (« Tous les noms ‘juifs’ ont des notes catastrophiques ») ont déclaré que ces élèves ont probablement été discriminés, alors que l’Organisation juive européenne, célèbre pour poursuivre pour apologie du terrorisme des dizaines de personnes, disait carrément qu’« il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils aient été victimes de discrimination ». Le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC) s’est ému de l’opprobre jetée sur les examinateurs et des risques encourus en rappelant « l’importance de l’anonymat des examinateurs dans les examens nationaux. C’est ce dernier qui a évité à nos collègues une mise en danger de leur personne », ce qui, après les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, n’est peut-être pas une vue de l’esprit.

Devant l’émoi suite à ces accusations d’antisémitisme, le ministère a entrepris une enquête administrative qui a conclu qu’il n’y a pas eu de discrimination. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais certains ne l’entendent pas ainsi, envisageant même de porter plainte si l’enquête n’est pas reprise, tandis que d’autres hurlent au scandale : « L’Éducation nationale se moque du monde. En 24h elle nous dit : on a vérifié, tout est normal’ ?! C’est une honte digne des grandes lâchetés administratives de ce pays ».

Reconnaissons que, si les conclusions de l’enquête administrative sont claires, l’enquête manque d’une analyse statistique des données numériques. Le fichier de l’enquête contenant les notes a été reproduit partiellement par Tribune juive info.

Analyse statistique des notes

Les notes ont été attribuées par les jurys B15 et B25, mis en cause pour leur « discrimination probable », et par un ou deux autres jurys, non mis en cause et qui ne sont pas étudiés ici. Les jurys ont examiné des élèves du lycée Yabné et d’autres lycées, non différenciés aussi dans l’enquête du Ministère. Celle-ci se contente de représenter sur des graphiques les notes des jurys B15 et B25 sans faire d’analyse statistique, ce qui permet à Tribune juive info d’écrire avec raison que« Où sont les concepts les plus élémentaires de tests d’hypothèses? Les graphiques – même pas normalisés – ne peuvent appuyer aucune hypothèse, ni celle de la discrimination, ni son contraire ». On peut combler cette lacune en recourant à une analyse statistique de base, appelée l’analyse de la variance, qui permet de savoir si les jurys B15 et B25 notent de façon similaire ou non, si les différents lycées obtiennent des notes similaires ou non, et, enfin, si les différents jurys notent de la même manière les différents lycées. On pourrait imaginer, par exemple, qu’un jury donne de meilleures notes au lycée Yabné qu’aux autres lycées alors qu’un autre jury ferait le contraire, ce qu’on appelle une interaction. L’analyse de la variance calcule des rapports appelés F qui, quand il sont proches de 1, indiquent qu’il n’y a pas d’effet.

Voici le tableau de données donnant les notes moyennes, entre 0 et 20, avec l’écart-type, qui est une mesure de la dispersion des notes, et, entre parenthèses, le nombre d’élèves, pour un total de 98 candidats (pour les connaisseurs, les F ont 1 degré de liberté au numérateur et 94 au dénominateur, et les résidus suivent une distribution normale).

Jury B15Jury B25
Lycée Yabné12,23 ± 3,12 (22)11,28 ± 5,85 (29)
Autres lycées11,81 ± 3,72 (21)13,12 ± 5,41 (26)

Le lycée d’origine n’a pas d’effet significatif sur les notes attribuées (F = 0,53), et le jury non plus (F = 0,03). L’interaction n’est pas significative, les jurys notant les différents lycées de la même manière (F = 1,33). Comme indiqué par le ministère, le jury B25 « a une échelle de notation plus large » que le jury B15, la dispersion des notes autour de la moyenne étant plus grande.

En résumé, la sévérité des notes ne dépend ni du jury, ni du lycée d’origine, le lycée Yabné obtenant des notes similaires aux autres lycées, et ceci quel que soit le jury : rien n’indique dans les notes obtenues que les candidats venant du lycée Yabné ont été désavantagés.

Conclusions

Comment expliquer cette polémique ? De tout temps, des parents et candidats ont été mécontents quand des notes d’examen n’étaient pas au niveau espéré, blâmant alors un jury trop sévère ou incompétent. Il est vrai que l’épreuve elle-même, le Grand oral, attire les critiques, et pas seulement des parents. 

Par contre, prétendre que ces mauvaises notes pourraient être dues à un jury d’examen désavantageant des élèves parce que juifs est à la fois dangereux et ignoble pour les examinateurs. Oser faire appel à un antisémitisme présumé des jurys pour faire remonter ou annuler des notes en deçà des espoirs, l’avocat du lycée indiquant que « le lycée […] a demandé […] que les notes discriminatoires soient écartées pour ne pas porter préjudice aux élèves« , laisse sans voix. 

Toutefois, si cette polémique avec ses accusations infamantes avait été montée dans des buts bassement politiciens, en se servant de la répulsion devant l’antisémitisme, ce serait abject et, avant d’être un crachat sur les examinateurs, un crachat sur les vraies victimes de l’antisémitisme, et d’abord celles de la Shoah. Dans cette hypothèse, crier faussement à l’antisémitisme  n’aboutit qu’à jeter la suspicion sur les actes antisémites réels, comme dans la fable d’Esope, Le Berger mauvais plaisant : à force de crier au loup quand il n’est pas là, plus personne ne vient quand il est vraiment là.

Quelle que soit la raison de cette polémique, ses instigateurs ont, sans avoir la moindre preuve, porté des accusations ignobles et livré à la vindicte publique des fonctionnaires de la République. 

L’analyse présente complétant l’enquête administrative, on peut toutefois espérer que l’avocat du lycée qui souhaitait « que l’enquête puisse se poursuivre de manière contradictoire, transparente et approfondie pour que ses conclusions s’imposent à tous » sera satisfait et que les choses s’arrêteront là.

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