LR se trouve un destin : être l’extrême droite des beaux quartiers
La droite glisse vers l’extrême droite. Son nouveau pivot idéologique : les idées de Reconquête. Réussir là où Éric Zemmour a défriché.
Hier soir, 18 députés LR ont soutenu Sébastien Lecornu ; 28 se sont abstenus. Seuls trois ont voté contre le projet de budget de la Sécurité sociale. Bruno Retailleau, qui avait publiquement appelé à voter contre, est plus isolé que jamais parmi les députés LR. Ce vote en ordre dispersé est une nouvelle manifestation d’un parti qui se délite. Derrière les hésitations visibles et les guéguerres entre chefs de la droite, c’est pourtant bien un nuage de trajectoires qui convergent : une droite qui cherche à se réinventer en flirtant avec le RN, sans pour autant se livrer complètement.
On mesure le chemin parcouru depuis le « cordon sanitaire » de Jacques Chirac. Déjà en 2007, Nicolas Sarkozy avait changé son fusil d’épaule en siphonnant les voix de l’extrême droite, bricolant de facto une première fusion des imaginaires. Depuis, la droite zigzague : soutien à Emmanuel Macron pour éviter le gouffre, puis signaux en direction du RN. Les jalons sont connus : candidature de François Fillon en 2017 appuyée par la matrice catholique-conservatrice de la Manif pour tous ; Bruno Retailleau en était le porte-parole. Puis élection de Laurent Wauquiez, puis d’Éric Ciotti, puis de Bruno Retailleau à la direction des LR. De congrès en crises internes, la droite institutionnelle se déporte vers un bloc réactionnaire composite.
Pourtant, LR reste dans une position paradoxale. Malgré leur faiblesse, ceux qui rêvent d’une alliance des droites n’ont pas renoncé à la conduire. Si la mue culturelle est largement achevée, sa transposition dans l’espace politique reste à faire. Et l’affaire n’est pas simple.
Bruno Retailleau comme Marine Le Pen imagine une union par les électeurs : les deux camps ne veulent pas se compromettre ensemble. LR redoute de devenir supplétif d’un parti trop populaire ; le RN craint de se dissoudre dans une bourgeoisie réactionnaire. Jean-Marie Le Pen les avait mis en garde :« Ne pas devenir un parti de droite comme un autre ».
Laurent Wauquiez a des plans d’ores et plus précis. Il projette une grande primaire allant de Gérald Darmanin à Sarah Knafo, mais n’incluant pas le RN. LR veut aujourd’hui être ce que le candidat Reconquête n’a pas réussi à incarner : respectable, bourgeoise, lettrée, catholique, autoritaire et libérale, bref une extrême droite de salon, débarrassée de ce que le RN a de trop populaire et de trop social. Les évolutions du patronat accompagnent ce glissement : il entend bien obtenir une nouvelle radicalisation des politiques sociales et économiques. Eric Zemmour avait proposé cette synthèse : la droite bourgeoise, mais en plus dur. LR s’y installe désormais, avec plus d’habileté, parce qu’elle parle le langage des élites économiques. Avec le LR nouveau, le patronat trouve un bon cheval, bien qu’encore très faible.
Marine Le Pen n’a jamais voulu d’alliance avec Éric Zemmour. Sa stratégie est une alliance par le bas qu’elle a déjà largement gagnée. La confrontation avec LR est donc autant une concurrence électorale qu’une bataille sociologique. Jordan Bardella veut faire le pont, tout sourire sur TikTok et à l’aise dans les congrès du Medef.
Le RN avance. Sa banalisation est achevée, sa base populaire consolidée, sa ligne lisible. Ce n’est pas lui qui dérive vers la droite, c’est la droite qui s’y reformate. Après la dissolution par le macronisme, LR trouve sa place : être la droite radicale qu’Éric Zemmour n’a pas su devenir, être la respectabilité que Marine Le Pen n’endosse pas. Devenir l’extrême droite des beaux quartiers, celle qui réconcilie patrimoine et autorité. C’est un projet mais ça ne fait toujours pas beaucoup d’électeurs.