Les primaires sont ce qu’on veut qu’elles soient

On les dit sources de divisions, gadgets médiatiques, pièges à ego. Les primaires à gauche n’ont pas bonne presse. Pourtant, ces dernières années, elles ont aussi été des lieux de débat démocratique, d’élaboration de projets et d’émergence de nouvelles figures. Au fond, il ne faut pas nier que c’est là une des pratiques vivantes de la gauche politique.
La gauche est diverse, c’est un fait. Il faut même le revendiquer comme une richesse. Mais cette diversité n’a de sens que si elle s’affronte, s’exprime, se met en scène. C’est exactement ce que permettent les primaires. Celle du Parti socialiste en 2011, avec ses meetings et ses débats télévisés, a remis le politique au cœur de la campagne. Celle de 2017 a peut-être été minée par l’implosion du PS, mais elle a permis à Benoît Hamon d’énoncer une série de propositions – revenu universel, transition écologique – qui ont marqué durablement le débat public.
Mais c’est sans doute du côté des écologistes qu’on trouve l’exemple le plus convaincant. En septembre 2021, la primaire des Verts – organisée par EELV et ouverte à l’ensemble des citoyens – a été une réussite à plus d’un titre. Participation massive : plus de 100 000 votants. Débat riche, parfois tendu, mais toujours politique. Quatre profils, quatre lignes : Delphine Batho, et sa radicalité décroissante ; Sandrine Rousseau, et son écoféminisme assumé ; Yannick Jadot, sur une ligne écologiste qu’il affirme réaliste ; Éric Piolle, le maire de Grenoble et sa vision municipale de la transformation. C’est cette confrontation-là, franche, respectueuse et ancrée dans des projets, que la gauche devrait retrouver.
Certes, la « primaire populaire » qui suit en 2022 est un semi-échec. Mais elle dit quelque chose de l’époque. En l’absence d’un espace commun à gauche, c’est la société civile qui tente de l’inventer. Elle veut forcer le rassemblement par la base. Cela n’a pas fonctionné, car la logique de parti, d’appareil, et parfois d’ego, l’a emporté. Mais la tentative n’est pas ridicule. Elle témoigne d’une soif de démocratie, d’un besoin de participation, d’une envie de politique.
La primaire n’est pas magique. Elle ne règle pas les conflits de fond. Elle ne fait pas exister une coalition là où il n’y a pas de volonté commune. Mais elle offre au moins un cadre pour que les désaccords soient tranchés démocratiquement, pour que les électeurs et électrices prennent part à la décision, pour que la gauche se regarde et se parle. C’est aussi une réponse à la personnalisation croissante de la vie politique. Plutôt que des candidatures autoproclamées, des leaders qui s’imposent par le fracas ou les médias, la primaire rend le choix collectif. Elle oblige à débattre, à convaincre, à composer.
La gauche pourrait cesser de voir la primaire comme un pis-aller ou un gadget. Pour que ce soit un outil qui ait une efficacité, cela suppose des règles claires, une volonté commune, un calendrier partagé. Mais surtout, cela suppose une culture politique. Celle qui accepte que le désaccord ne soit pas la fin du monde mais le commencement d’un chemin partagé. En 2027, si la gauche veut peser, il lui faudra davantage qu’un bon programme. Il lui faudra un projet qui embarque plus que 30% des votants… et il lui faudra une méthode. Et la primaire, si elle est bien préparée, peut être cette méthode. Non pas une fabrique de sauveurs, mais un lieu de choix, de démocratie, de refondation collective.