Le temps n’est plus à la guerre des gauches

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L’espérance est une construction politique, que le gauches ne sauront bâtir en se repoussant les unes les autres. Sinon, au jeu du désespoir et du ressentiment, on sait d’avance qui fait la course en tête.

La crise sociale ne bénéficie pas à la gauche. La lutte contre la réforme des retraites doit continuer, mais mieux vaut se persuader, une bonne fois pour toute, que la colère sans l’espérance conduit au ressentiment et que le ressentiment est le terrain historique par excellence de l’extrême droite.

 

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L’espérance, c’est celle d’une société qui ne repose plus sur la coupure inéluctable entre le haut et le bas, les exploitants et les exploités, les dominants et les dominés, les démunis et les nantis. C’était le vieux rêve des soulèvements des esclaves, des serfs, des ouvriers. « Quand Adam bêchait et qu’Ève filait, où donc était le gentilhomme ? », questionnait le prêtre John Ball, chef des paysans anglais révoltés de 1381[[En ce temps-là, bien sûr, il allait de soi qu’Adam bêchait (et chassait) et qu’Ève filait (et s’occupait des enfants et du ménage).]]. C’était la « Sainte Égalité » des sans-culottes, la « République démocratique et sociale » de 1848 et de 1871, devenue « la Sociale » du mouvement ouvrier. C’était le beau slogan « le Pain, la Paix et la Liberté », qui dynamisa le Front populaire et qui le porta à la victoire en 1936.

L’idéal s’est embourbé dans les grandes tentatives du 20ème siècle. Mais est-ce la faute du rêve, ou celle des conditions et des méthodes choisies pour le faire advenir ? Dans les sociétés déchirées et inquiètes qui sont les nôtres, dans le monde dangereux que nous bâtit la logique de puissance, dans une planète au bord du désastre écologique, qu’y a-t-il de plus réaliste que le rêve antique de la solidarité, du partage et du bien commun ?

Encore faut-il que le rêve ne soit pas relégué au rang des eschatologies par nature inaccessibles ici-bas, renvoyé au succès des révolutions brusques et purificatrices, ou encore arc-bouté sur des îlots de bonheur parsemés dans un monde de malheur. Encore faut-il qu’il puisse s’appuyer sur une majorité, patiente et déterminé, qui la fasse vivre, démocratiquement et dans la durée. Encore faut-il donc qu’il ait pour lui le nombre, que la masse des exploités-dominés-aliénés s’assemble en multitude qui lutte et que cette multitude se constitue en peuple politique, capable d’imposer sa volonté souveraine.

Le brouillage de la gauche et de la droite a rendu confuse la lecture de la vie politique ? Réactivons-le de façon moderne. Relançons la gauche, en faisant en sorte qu’elle retrouve du sens. Or, son moteur se trouve dans ses valeurs, condensées dans la trinité de 1848 : liberté, égalité, fraternité.

La crise politique a commencé de ronger nos démocraties depuis que le rêve s’est brouillé, que l’Histoire a semblé finie, que la gauche et la droite ont perdu de leur sens. On ne reviendra pas en arrière. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier : non pas tout détruire, mais tour repenser, de la cave au grenier. La question décisive reste toutefois celle du nombre, suffisant pour constituer de larges majorités. Socialement, ce nombre se trouve du côté des catégories populaires, telles qu’elles sont, dans leur diversité qui n’est plus celle d’hier. Politiquement, la majorité se trouve du côté du conflit fondateur de la droite et de la gauche.

Ce conflit a perdu de son sens ? Il n’est pas pour autant dépassé. Cessons donc de nous imaginer que nous allons trouver un autre ressort politique dans le grand conflit fondamental sur l’ordre des sociétés : le haut contre le bas, le peuple contre l’élite, le « 99% » contre le « 1% ». Le brouillage de la gauche et de la droite a rendu confuse la lecture de la vie politique ? Réactivons-le de façon moderne, en l’ouvrant notamment vers tous les combats que ce conflit avait ignorés ou sous-estimés (féminisme, écologie, lutte contre les discriminations de tout type, etc.). Relançons la gauche, en faisant en sorte qu’elle retrouve du sens. Or, son moteur se trouve dans ses valeurs, condensées dans la trinité de 1848 : liberté, égalité, fraternité. Chacun sait que la gauche a toujours hésité sur la manière de réaliser ces valeurs : en rompant avec l’ordre social dominant ou en composant au mieux avec lui ? Il n’y a pas une vraie gauche et une fausse : il y a, au moins depuis 1789, « une » gauche et « des » gauches.

Il n’est certes pas indifférent de savoir où est le pôle le plus influent. Le pôle du socialisme l’a été pendant quelques décennies, après celui du communisme français. Ce socialisme s’est enfoncé de plus en plus dans la logique du « social-libéralisme » : du coup, la gauche s’est rabougrie. En 2017, le curseur à gauche s’est déplacé à nouveau vers la gauche de la gauche : il valait mieux, car cela peut aider quand le temps est à la lutte sociale. Mais la gauche plus à gauche domine dans une gauche affaiblie.

Le temps n’est plus, ou plutôt ne doit plus être, à la guerre des gauches. On peut préférer une gauche persuadée que les valeurs de la République et de la démocratie n’ont pas d’avenir, si on ne tourne pas le dos aux logiques, aux pensées et aux pratiques qui les contredisent absolument. On doit ainsi tout faire pour que cette gauche ne se disperse pas et qu’elle reste donc aujourd’hui regroupée autour de la Nupes. Ce n’est pas pour autant que l’on doit repousser cette autre part de la gauche qui ne se résout pas à la rupture : sans elle, il n’y a pas de majorités possibles, qu’elles soient partielles ou plus globales.

Il convient de consolider l’espace politique d’une gauche de gauche ; mais pour que la gauche soit majoritaire, on ne peut pas l’installer dans une guerre ouverte, pôle contre pôle, camp contre camp. L’extrême droite, elle, n’a pas ce problème : elle marche très bien sur deux pieds.

 

Roger Martelli

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