LA LETTRE DU 20 FÉVRIER
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Trump va loin et fort (mais ça résiste aussi)
par Loïc Le Clerc
En 2017, le milliardaire n’était pas prêt pour le pouvoir, surpris lui-même de son élection. Une perte de temps et d’énergie qu’il ne réitère pas pour son second mandat commencé il y a (seulement) un mois tout pile.
« Je ne serai pas un dictateur, sauf le premier jour », avait annoncé à plusieurs reprises le candidat Trump. L’expérience a parlé. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il tient parole. Sauf que c’est un jour sans fin, auquel tentent de s’opposer comme ils peuvent, malgré la sidération devant l’ampleur des décisions prises, certains espaces de la société américaine.
Depuis son investiture en janvier – et même les semaines avant par le biais de déclarations –, Donald Trump se démultiplie pour signer des décrets, mettre des énormes coups de pression au reste du monde. Le président américain est partout : il s’en prend à l’écologie, aux minorités sexuelles, organise une déportation massive d’immigrés, il sort les États-Unis de l’OMS et de l’accord de Paris sur le climat, il apporte un soutien massif à Israël et à la Russie dans leur guerre, quitte à déstabiliser des régions entières, il pressure ses voisins – menace d’annexion du Canada, du Groenland, du canal du Panama – et se lance dans un chantage douanier avec le Mexique, l’Europe, la Chine… Un nombre de décisions impressionnant, que nous avons essayé de recenser ici-même.
L’objectif est simple, mais vicieusement efficace : noyer le monde sous les décisions politiques les plus radicales, disperser l’attention, afin que toute résistance soit sonnée et peine à s’organiser, à s’allier. Les Démocrates ne se sont pas encore remis de leur défaite, le Congrès n’est pas encore à l’oeuvre et il y aura des élections à mi-mandat alors, d’ici là, il faut frapper fort. D’autant plus fort que pour mener à bien sa politique, Donald Trump a besoin de saper toute institution qui pourrait y contrevenir. C’est ce qu’il fait, en licenciant à la pelle des fonctionnaires fédéraux, notamment ceux charger d’évaluer l’action de son administration. À l’instar de l’Argentin Milei, Donald Trump doit démanteler l’État pour pouvoir réformer la société à son idée.
C’est la grande différence entre 2025 et 2017. Le camp Trump est uni, convaincu, organisé, préparé. Ce qu’ils ont réussi à faire lors du premier mandat n’était qu’un entrainement. Conscient qu’il n’y aura pas de troisième mandat, Donald Trump entend submerger et sidérer politiquement, frénétiquement, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus aller plus loin.
Certains espaces de la société américaine n’ont pourtant pas dit leur dernier mot : les juges tentent de ralentir le rouleau-compresseur Trump et ses décrets à foison. Plus de 70 procès ont été intentés en un mois. Avec un risque : que la Maison Blanche décide d’outrepasser toutes ces décisions de justice – Trump n’a-t-il pas dit que « seuls le président ou le procureur général peuvent définir ou interpréter ce qu’est la loi » ou encore, citant Napoléon, que « celui qui sauve sa patrie ne viole aucune loi » ? De même de certains scientifiques manifestent dans la rue depuis hier : évidemment, leur secteur est des plus attaqués par le président américain. Ce sont d’ailleurs eux qui sont parfois à l’origine d’opérations de sauvetage de données : dès les jours qui ont suivi son investiture, Trump a fait supprimer des milliers de pages web, et donc de données, pourtant importantes et pour le grand public et pour la recherche. Heureusement, des équipes de chercheurs, des associations et des collectifs spontanément créés sont à pied d’oeuvre pour dupliquer ces données et les conserver. À noter une victoire contre le président américain : Trump voulait supprimer les aides sociales aux plus pauvres mais a du reculer devant le tollé provoqué. Comme quoi, une action coordonnée des associations, des élus, et populaire peut venir à bout de décisions présidentielles.
Autre secteur qui fait montre d’une (timide mais tout de même) résistance, c’est le secteur économique. Certes, il est au centre de la politique de Trump mais certaines décisions sont jugées erratiques et hautement problématiques pour des pans entiers de l’économie américaine. Par exemple, l’augmentation des droits de douane depuis le Canada ou le Mexique, ou sur les importations d’acier, n’ont pas plu du tout à certains entrepreneurs dont le business a été affecté de plein fouet. Certes, ils ne sont pas descendus dans la rue mais ils ont manifesté leur désapprobation à l’encontre de ce genre de politique, notamment dans les médias, affirmant que cela allait appauvrir les Américains – et Trump n’aime pas cette mauvaise presse qui dit exactement le contraire de ce qu’il affirme.
Il y a donc des mobilisations et des résistances. On peut se poser la question de savoir que fait, entre ces îlots de résistance, le Parti démocrate. On se souvient des auditions musclées par ses représentants des futurs chefs de l’administration Trump. Mais après ? Bernie Sanders produit des discours mais on ne voit pas les Démocrates des plus actifs pour organiser ces différents espaces et leur donner une cohérence propulsive. Peut-être sont-ils encore sous le choc des premières décisions de Trump… Mais il ne faudrait pas que cela dure trop car il faut s’activer pour ne pas laisser tomber le peuple américain et le monde.
Lors de sa campagne, Donald Trump avait fait une promesse aux chrétiens : « Ne vous préoccupez pas de l’avenir. Vous devez voter le 5 novembre. Après cela, vous n’aurez plus à vous soucier de voter. Je m’en fous, parce qu’on va tout arranger. Le pays sera réparé. » Réparé… des affres de la démocratie ? Au nom du père ? Impossible n’est pas trumpiste.
Loïc Le Clerc
ROUSSELADE DU JOUR
Au secours, Fabien revient !
Défait aux législatives, Fabien Roussel s’était fait plus discret dans le débat public. Le temps d’écrire un livre : Le parti pris du travail. Avec cette proposition choc qu’il livre aux journalistes, cité ici par l’Opinion : « Je veux supprimer le RSA ». Et le chef du PCF de développer : « Je condamne cette France qui a assommé des générations entières à coups de RSA. Cela a permis à la droite de séparer les gens entre des travailleurs et des cassos ». Plutôt que des aides sociales, Fabien Roussel veut « un emploi à chacun », sinon « vous aurez des gens qui viendront vous voir en disant : pourquoi je me crève la paillasse à bosser pendant que mon voisin qui touche le RSA vit aussi bien que moi ? » Bref, Roussel persiste dans sa diatribe envers la « gauche des allocations et des minima sociaux ». On se rappelle qu’en leur temps, les communistes étaient opposés à l’instauration du RMI puis du RSA. L’idée était de ne pas sortir les travailleurs du travail. Problème : Fabien Roussel reprend le créneau « sus à l’assistanat » sur les plates bandes de l’extrême droite – mais c’est l’occasion de revoir notre Midinale avec Michel Feher, philosophe, auteur de Producteurs et parasites, l’imaginaire si désirable du RN.
L.L.C.
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Dans l’émission « Avec philosophie » de France Culture, Frédéric Rambeau interroge la pertinence des thèses de Gilles Deleuze et Félix Guattari quant à la remise en cause du capitalisme, notamment via leur Anti-Oedipe écrit en pleine prise de conscience de l’échec de mai 68.
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