LA LETTRE DU 22 MAI

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Adama Traoré n’est pas mort

Huit ans. Et une famille qui attend toujours qu’on lui explique comment Adama a pu mourir le jour de son anniversaire.

Symbole des violences policières, l’affaire Adama Traoré est en passe de devenir un symbole d’impunité judiciaire. Jeudi 16 mai, près de huit ans après sa mort, la cour d’appel de Paris a rendu sa décision : un non-lieu pour les gendarmes.

Si la famille d’Adama Traoré a instantanément annoncé un pourvoi en cassation, il est une question qui résonne fortement : de quoi est mort le jeune homme, cet été de 2016, si ce n’est du fait de son interpellation ?

Admettons donc que ces gardiens de la paix n’y soient pour rien. Voilà les faits : le 19 juillet 2016, jour de son anniversaire, Adama Traoré est avec son frère, Bagui. Ce dernier est « recherché pour extorsion de fonds sur personne vulnérable », lit-on dans l’article très détaillé du Monde. Les gendarmes de Persan le repèrent et le contrôlent. Adama, lui, préfère fuir. Pas envie de passer son anniversaire au poste pour X ou Y raison.

450 mètres en moins de 20 minutes

Adama fuit à vélo, dans un premier temps, puis à pied. Il est 17h10. 250 mètres plus loin, il est attrapé par un des gendarmes. Un second arrive et, à deux, ils menottent Adama, dans le dos. Revenant vers le véhicule des militaires, le jeune homme demande à reprendre son souffle, « s’ensuit une bousculade au cours de laquelle les trois hommes se retrouvent au sol. Adama Traoré, dont le bras gauche s’est libéré des entraves au moment de la chute, en profite pour se relever et prendre à nouveau la fuite ». Il est 17h14.

À 17h29, à 200 mètres de là, Adama Traoré est repéré, caché entre deux voitures, avant qu’il ne trouve refuge chez un homme. C’est là que se termine la « course-poursuite ». Adama Traoré est décrit comme essoufflé.

Une première course de 250 mètres, en moins de 4 minutes. Une seconde course de 200 mètres, en 15 minutes. Soit 450 mètres parcourus en moins de 20 minutes.

Adama Traoré a 24 ans, ce jour-là. Il est sportif, athlétique, ne souffre d’aucune pathologie qui viendrait expliquer son asphyxie – contrairement à ce que l’accusation a tenté de démontrer.

Personne de l’âge et de la condition d’Adama Traoré ne perd la vie pour avoir fait 450 mètres en 20 minutes. Quand bien même il ferait 35°C.

Police partout, justice nulle part

Adama Traoré serait-il mort s’il n’avait pas été interpellé par trois gendarmes, pesant de tout leur poids pour l’immobiliser ? La réponse est moins sûre. Après cette intervention, le jeune homme signale une difficulté à respirer. À 17h41, dans le véhicule, « l’agonie a déjà commencé ». Adama Traoré a perdu connaissance à l’intérieur du véhicule, s’est uriné dessus. « Les gendarmes sont alors persuadés que le jeune homme simule un malaise. Ils ne retirent donc pas les menottes, mais vérifient le pouls et la respiration. Ils ne trouvent rien d’anormal mais appellent tout de même les secours à 17h44. »

Les pompiers retrouveront Adama allongé sur le ventre, menottés dans le dos. Il sera déclaré mort, deux heures après son interpellation.

Il y a eu une douzaine de rapports et d’expertises médicales concernant cette mort suspecte. Seule l’intervention des gendarmes expliquent la mort d’Adama Traoré.

Au tribunal, le ministère public et le parquet général ont reconnu « un lien de causalité » entre l’interpellation et la mort. Même le dernier rapport médical conclut à un décès suite à un « coup de chaleur » qui n’aurait « probablement » pas été mortel sans l’interpellation.

Ce 21 mai 2024, le ministre de l’Intérieur affirmait que « la parole du policier et du gendarme est supérieur à la personne qu’il arrête ». Une déclaration contraire au Code de procédure pénale, mais qui en dit long sur les us et coutumes des forces de l’ordre françaises.

En Nouvelle-Calédonie, en ce moment même, un jeune homme, Jybril, a été tué par la police d’une balle dans le dos car il représentait un danger. Des Jybril, des Adama, il y en a des dizaines par an en France.

La seule conclusion que l’on peut tirer, encore et encore, est la suivante : filmez la police. Car Adama Traoré n’est pas mort. Il a été tué.

Loïc Le Clerc

INGÉRENCE DU JOUR

Les mains rouges étaient russes

Des mains rouges taguées sur le Mur des Justes, au Mémorial de la Shoah. C’était le 14 mai dernier. Et il y eut deux types de réaction. La première, intriguée, de celles et ceux qui avaient encore à l’esprit les étoiles de David sur les murs de Paris, en novembre 2023, et qui trouvaient le geste un peu étrange, comme trop gros pour être vrai. La seconde, indignée, des agitateurs télévisés, hurlant à l’antisémitisme, accusant à tout-va (la gauche, les immigrés, les musulmans, les pro-palestiniens), pressant les autorités à engager des poursuites judiciaires fantômes. Même Macron a réagi, c’est dire si l’affaire est grave. Or, dans le Canard de cette semaine, on apprend que « les enquêteurs considèrent que cet acte de vandalisme relève d’un ‘coup de Moscou’ destiné à déstabiliser la France ». L’histoire se répète et les mêmes idiots jouent la même farce.

L.L.C.

ON VOUS RECOMMANDE

  • « Le Deuxième acte ». Le dernier film de Quentin Dupieux, qui a fait l’ouverture du Festival de Cannes, est à ne pas manquer pour si vous aimez rire (de nous, de vous), de nos stars bien aimées, pour apprécier les exploits des comédiens dans des plans long sans interruption… mais aussi pour se poser deux trois questions sur le temps : #MeToo, le sens du divertissement dans ces temps angoissants, le mentir vrai. En plus le film est super poli – 1h16 –, il considère notre temps précieux.

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